Cet article du 11 octobre 2025 est extrait de la lettre hebdomadaire de Patrick Le Hyaric. Cliquez ici pour lire la lettre de la semaine, et ici pour vous y abonner.
Une puissante onde de fraîcheur parcourt la planète. Par-delà les frontières, comme les lumières d’agiles lucioles, elle scintille de mille feux un monde noirci par l’âtre des velléités impériales, des marches proto-fascistes conquérantes, des voracités d’un capitalisme refusant désormais toute entrave.
Dans la rue et interconnectées, les jeunesses des quatre coins de ce monde convulsé de multiples violences s’affranchissent des frontières du nationalisme et des clivages culturels, elles font communauté mondiale d’intérêts, soudées par de mêmes combats en faveur de la justice, du respect et du partage des richesses.
On les appelle la « génération Z ». Née bien après la chute du mur de Berlin, elle s’est donc construite avec d’autres références politiques que celles de la guerre froide. Quinze années après les printemps arabes et les mouvements des places publiques, elle porte haut le flambeau de la justice, de la liberté et de l’émancipation.
Constituant le tiers de la population mondiale en moyenne – bien plus que le tiers, sur certains continents –, ces nouvelles générations, portées par le souffle des réseaux de partage de leurs aspirations communes, prennent ainsi conscience de leur force contre les autocrates ou contre les apparences démocratiques des régimes parlementaires qui n’ont pour seule vocation que le maintien du système.
Du haut de leurs vingt ans, elles sont le XXIe siècle. Elles affrontent, avec une conscience aiguë et sensible, les réalités et les questions d’avenir sur les grands enjeux de justice sociale et écologique, de respect des diversités et de l’humanité, de l’altérité contre les racismes et les rejets de l’Autre, de promotion de la sororité et de l’égalité des genres. Autant d’aspirations que répriment et tentent d’étouffer les « grands de ce monde ».
Cette jeunesse s’insurge partout contre l’effroyable projet d’anéantissement du peuple palestinien et le relie aux combats pour les droits et la libération du genre humain. Elle fait flotter aux vents le drapeau palestinien en le mêlant aux demandes de justice sociale et de respect de la dignité de chacune et de chacun. Elle s’élève pour faire cesser le détraquage du climat et elle refuse le primat de « l’avoir » sur « l’être ». Elle porte en son cœur l’humanité, la civilisation contre la montée des barbaries et contre l’atrocité de toutes les guerres.
Du Maroc au Népal, du Pérou au Bangladesh, du Sri Lanka au Kenya, de la Birmanie à Madagascar, d’Indonésie au Timor-Oriental ou aux Philippines, de plurielles mobilisations partent à l’assaut des inégalités et de l’appauvrissement des populations, des pénuries d’eau ou d’électricité, des inondations destructrices, pour la défense ou la construction de services publics, notamment de l’éducation et de la santé, contre la dette comme instrument de domination au service des possédants et des banquiers. Partout est mis en évidence l’immense fossé entre la classe des privilégiés et celle des dépossédés.
La mondialité des réseaux sociaux décuple les courants d’informations, de partage d’expériences, d’idées, de luttes et de résultats, enrichissant ainsi chaque action nationale de l’expérience d’une autre au point de faire mouvement émancipateur.
Au Maroc, ceux que l’on baptise les « Gen Z 212 » s’attaquent à l’abîme que constituent la débauche d’argent dépensé pour construire un stade géant en vue d’accueillir le mondial de football en 2030 et les conséquences de ce chantier pour l’environnement, alors que l’argent manque pour les hôpitaux et pour les écoles, alors que des enfants ne sont pas correctement soignés et des femmes meurent en accouchant. Huit femmes en dix jours ont ainsi perdu la vie à l’hôpital d’Agadir. Ici, les ressorts de la société du spectacle et de l’argent contre les biens communs sont mis à nu. Ce sont bien les ressorts du capitalisme qui sont mis en accusation.
Dans d’autres pays, la jeunesse privée d’accès à l’eau et à l’école se mobilise contre la corruption endémique de ses dirigeants, jusqu’à écrire au Fonds monétaire international contre le pompage des richesses nationales au prétexte de la dette.
À l’opposé de l’internationale des réactionnaires brandissant leurs vieux oripeaux, éructant cris de guerre et de haine, aiguisant leurs voraces mâchoires parasites, la Gen Z se reconnaît dans la pop culture et brandit partout le drapeau pirate inspiré du célèbre manga One Piece, en signe de rébellion contre l’injustice et l’oppression. Nous avions chaud au cœur en voyant flotter ce drapeau rebelle dans nos cortèges des 10 et 18 septembre, puis dans ceux du 2 octobre.
La nouvelle génération qui tente des expériences d’auto-organisation ne réclame pas un simple renouvellement de systèmes démocratiques – quand ils existent – à bout de souffle, mais de reconstruire, de refonder la démocratie. Celle qui garantit la souveraineté de chacune et de chacun dans tous les lieux de vie et de travail. Plus ou moins confusément, elle se rend compte que les compromis avec le grand capital n’existent pas ou alors,ils empruntent des voies sans issue.
Le capitalisme s’est, en effet, doté partout d’institutions pour contourner les aspirations populaires et pour protéger les cadres de la propriété lucrative. L’aspiration à dépasser, pour l’abolir, ce système grandit, et des luttes font plier sans attendre les puissants et les dominants. Au Pérou, au Bangladesh, au Sri Lanka, au Népal ou à Madagascar, des dirigeants d’État ont dû plier bagage sous la pression populaire. Au Maroc, la démission des gouvernements est réclamée.
Ici, c’est ce mouvement, essentiellement porté par la jeunesse, qui a permis de bloquer les mégabassines ou l’autoroute A69 et, grâce à une pétition de plus de 2,5 millions de signataires, de contraindre à la censure de la partie de la loi Duplomb, qui autorisait la réintroduction de l’insecticide l’acépamipride dans le traitement de certaines cultures, au détriment de la santé. Du reste, et comme ailleurs, les trois quarts de nos concitoyens souhaitent le départ du président de la République.
Les générations nouvelles ne fuient pas la politique mais ses traductions politiciennes, ses guerres de pouvoir et de places, ses mensonges, ses mots vides et ses phrases prémâchées, formatées pour le média business. Elle rejette les entourloupes et les ridicules courses de petits chevaux présidentiables, alors que la question principale est de chercher la voie pour rendre le pouvoir au citoyen travailleur et d’imaginer un système éducatif lié à un projet de république sociale.
Cette jeunesse en quête d’un nouveau projet civilisationnel porte en elle les graines d’une refondation de la politique. Un militant progressiste ou révolutionnaire ne peut qu’être interpellé et se mettre au diapason de ce mouvement qui, par certains égards, revêt un caractère historique.
De même, contrairement aux élucubrations de quelques fabricants de tableaux comptables, le rapport des jeunes avec le travail est porteur de neuf. Quand, selon les enquêtes, 72 % d’entre eux recherchent « plus d’autonomie et de pouvoir de décision dans leur travail », cela ne signifie pas un rejet du travail, mais la quête du pouvoir souverain sur le travail et le sens de la production, condition du progrès social et écologique.
La Gen Z qui se soulève partout dans le monde porte la forte aspiration à un « autre monde », à un plus haut degré de civilisation. Elle allume partout des lucioles d’espoir.
Image d’illustration : « Manifestation intersyndicale du 2 Octobre 2025 à Paris, Génération Z », photographie par jpromani – Photothèque du mouvement social