« Dans notre New York, le pouvoir appartient au peuple » : le discours de victoire de Zohran Mamdani


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Le 25 juin dernier à l’issue d’une longue campagne de primaire du Parti démocrate, le candidat de la gauche radicale Zohran Mamdani, un socialiste convaincu soutenu par Bernie Sanders, battait Andrew Cuomo, ex-gouverneur de l’État et ministre, candidat de l’establishment. Certain·es que cette victoire de l’aile progressiste du Parti démocrate peut constituer un tournant majeur pour New York, mais aussi dans le combat de la gauche états-unienne contre le trumpisme, nous proposons ici la traduction de son discours de victoire, réalisée par Hadrien Bortot.

« Ce soir, nous avons fait l’Histoire.

Dans les mots de Nelson Mandela : « Cela semble toujours impossible… jusqu’à ce que ce soit fait. » Mes ami·es, nous l’avons fait : je serai votre candidat démocrate à la mairie de New York.

Il y a une heure, Andrew Cuomo m’a appelé pour reconnaître sa défaite et parler de la nécessité de rassembler notre ville. Je remercie aussi Brad Lander, qui a su tendre la main. Ensemble, nous avons démontré la force d’une politique tournée vers l’avenir — fondée sur la coopération et la sincérité.

Huit mois après le lancement de cette campagne imaginée pour qu’un·e New-yorkais·e puisse vivre dignement, nous avons gagné : de Harlem à Bay Ridge, de Jackson Heights à Port Richmond, de Maspeth à Chinatown. Nous avons gagné parce que les New-yorkais ont levé la tête pour exiger une ville accessible, où l’on fait plus que survivre : une ville où ceux qui triment la nuit récoltent les fruits de leur labeur le jour ; où le travail est justement récompensé ; où huit heures à l’usine ou au volant suffisent à payer un crédit, à subvenir aux besoins essentiels et à envoyer ses enfants à l’école.

C’est une ville où les loyers gelés le sont vraiment, où les bus sont rapides et gratuits, où la garde d’enfants ne coûte pas plus cher qu’un loyer, où la sécurité publique signifie réellement sécurité. Une ville où le maire rejette le fascisme de Donald Trump, empêche les rafles de l’ICE et gouverne en modèle pour un Parti démocrate qui se bat pour les travailleurs sans jamais s’excuser. Une vie digne ne doit pas être le privilège de quelques-uns ; elle doit être un droit garanti par la mairie à chaque New-yorkais.

Si cette campagne a prouvé quelque chose, c’est que nos rêves peuvent devenir réalité. Rêver exige de l’espoir, et l’espoir prend ici la forme d’une coalition inédite. Ce n’est pas ma victoire, c’est la nôtre. C’est la victoire de la tante bangladaise qui a frappé aux portes jusqu’à en avoir les pieds en feu ; du jeune de dix-huit ans qui a voté pour la première fois ; du tonton gambien qui, pour la première fois, s’est reconnu dans ce combat et dans cette ville qu’il considère enfin comme la sienne.

Rêver exige aussi de la solidarité. Quand je regarde cette salle, puis la ville qui s’illumine dans la nuit, je vois les porte-à-porte sous la pluie, les enfants qui appellent leurs parents pour voter, des inconnus qui prennent soin de gens qu’ils ne rencontreront jamais. Voilà la solidarité qui définit notre victoire.

Mais rêver exige surtout du travail. Vendredi dernier, au coucher du soleil, j’ai parcouru treize miles, du nord de Manhattan jusqu’à la pointe sud. À Inwood, la musique résonnait ; des voisins jouaient aux dominos sur le trottoir. Il était 19h : pour beaucoup, la journée de travail finissait, mais à New York le travail ne s’arrête jamais. Des serveurs servaient sur la 181e rue, des métros aériens grondaient au-dessus de la 125e, des musiciens accordaient leurs instruments à Lincoln Square. En arrivant au sud de l’île, une foule nous suivait — incarnation vivante de l’énergie de cette campagne. Et bien après minuit, la ville travaillait encore : camions-poubelles, poissonniers, agents du ferry de Staten Island à 2 h 20 du matin. Chacun portait un rêve, tout comme nous portons celui d’une New York plus juste, plus solidaire, plus accessible.

Cette course a été l’une des plus âpres de l’histoire récente, saturant nos écrans de calomnies. À présent que la primaire est terminée, je veux me présenter à vous tel que je gouvernerai : je serai le maire de tous les New-yorkais, que vous ayez voté pour moi, pour le gouverneur Cuomo ou que la faillite d’un système politique usé vous ait détourné des urnes. Je me battrai pour une ville au service de ses habitants, où l’on vit dignement et en sécurité. Je m’efforcerai d’être un maire dont vous serez fier, sans jamais me cacher ; si vous souffrez, je tenterai de soulager cette douleur ; si vous vous sentez incompris, je chercherai à vous comprendre.

Je sais que nos espoirs dépassent les cinq arrondissements. Des millions de New-yorkais s’engagent sur ce qui se passe au-delà des frontières ; j’en fais partie. Je ne renierai jamais mes convictions d’égalité et d’humanité, mais je promets de comprendre celles et ceux qui pensent autrement et de confronter sincèrement ces désaccords.

En ces temps sombres, il est difficile de garder confiance dans la démocratie. Elle est attaquée par des milliardaires, des élus cupides et des dirigeants autoritaires. Mais surtout, elle a été minée de l’intérieur. Après tant de trahisons, la confiance s’effrite. Alors, oui, il devient plus facile pour un Trump de séduire, pour les puissants de prétendre devoir toujours diriger. Roosevelt rappelait que “La démocratie a disparu dans plusieurs grandes nations, non pas parce que leurs peuples n’aimaient pas la démocratie, mais parce qu’ils étaient épuisés par le chômage et l’insécurité — de voir leurs enfants affamés, alors qu’ils restaient impuissants face à la confusion et à la faiblesse des gouvernements. Dans leur désespoir, ils ont choisi de sacrifier la liberté dans l’espoir d’avoir simplement de quoi manger.

Ensemble, nous avons bâti un mouvement où chaque New-yorkais se reconnaît. Chaque nouvel électeur inscrit, chaque vote sous la chaleur, chaque citoyen voyant en cette campagne des solutions, c’est la confiance retrouvée. Ensemble, New York, nous avons redonné vie à notre démocratie et rendu à cette ville l’élan d’y croire à nouveau.Je vous promets que nous rebâtirons cette grande ville, non pas à mon image, mais à celle de chaque New-yorkais qui n’a connu que la lutte. Dans notre New York, le pouvoir appartient au peuple. »


Image d’illustration : « Zohran Mamdani at the Resist Fascism Rally in Bryant Park on Oct 27th 2024 », photographie du 27 octobre 2024 par Bingjiefu He (CC BY-SA 4.0)

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