Nouvelles de la crise britannique. Partie 3 : Les germes d’une crise plus grave ?


Par Antoine Guerreiro.

Troisième partie de notre série en 4 volets sur les élections générales du 4 juillet 2024 au Royaume-Uni.

L’équation est bien connue : si le peuple n’attend rien d’un gouvernement, peut-il ne pas en être déçu ? C’est dans un style se voulant sobre, studieux et efficace que Starmer a ouvert son mandat, en envoyant cependant quelques signaux de changement. Comportant plusieurs femmes aux postes importants du gouvernement (chancelier de l’Échiquier, ministre de l’Intérieur…), son gouvernement voit l’accession d’une grande majorité de ministres éduqués dans le public, et non dans les prestigieuses écoles privées comme précédemment1. Starmer a également immédiatement mis fin au projet de déportation de migrants vers le Rwanda2, tandis que son nouveau ministre des Affaires étrangères David Lammy a davantage mis (timidement) l’accent sur l’importance d’un cessez-le-feu à Gaza3.

Au-delà de ces quelques symboles, tout observateur attentif conviendra que le peuple n’a pas grand-chose à attendre de ce gouvernement. Le parcours de Keir Starmer, ancien procureur général de la Couronne de 2008 à 2013, parle pour lui. Malgré ses engagements à gauche dans les années Thatcher puis en 2003 contre la guerre en Irak, sa carrière au Ministère public est marquée par sa fermeté lors des émeutes populaires de 20114, ainsi que par son implication dans le processus d’extradition de Julian Assange5. Sa soumission aux intérêts des classes dominantes et aux dogmes néolibéraux a dès lors été constante, malgré ses « 10 engagements » de 2020 pour se faire élire leader du Labour, visant à « maintenir [les] valeurs radicales » de l’ère Corbyn »6… Engagements vite abandonnés au profit d’un violent virage à droite. Le nouveau Premier ministre sait aussi être sensible aux thèmes de l’extrême-droite, comme il l’a prouvé en mai dernier en annonçant vouloir recourir à des centaines d’agents du MI5 (le service national de contre-espionnage) pour arrêter les migrant·es traversant la Manche7.

Les orientations du nouveau gouvernement – progressiste dans sa communication, orthodoxe au plan économique et budgétaire, parfois poreux aux idées nationalistes – laissent donc craindre le pire lors des prochaines années et en vue des élections générales de 2029. Plus que jamais l’extrême-droite est en embuscade avec cinq député·es de Reform UK à la Chambre (dont le très médiatique Nigel Farage), prête à profiter du ressentiment populaire. Par ailleurs, le Parti Conservateur s’est lui-même largement déplacé à l’extrême-droite ces dernières années. Selon le militant de gauche Joe Todd dans Novara Media, « l’approche de Farage a toujours été claire : changer la politique nationale en transformant le parti Conservateur en véhicule pour la droite populiste. Il a créé un nouveau parti qui prive les Tories de votes, de sièges et de majorités, tout en organisant en même temps des député·es sympathisants [de ses thèses] dans leurs rangs »8.

L’avenir est donc très incertain, d’autant qu’une remise en cause du scrutin « first past the post » (uninominal à un tour, favorisant lourdement le bipartisme), commence à poindre. Lors du vote du 4 juillet, le Labour et les Tories ont cumulé à eux deux seulement 58,5% des voix. C’est 6,5 points de moins qu’en 2010, qui constituait déjà le seuil le plus bas pour le vote bipartisan depuis 1918… Au vu de la disproportion entre les voix recueillies par chaque parti et les sièges obtenus, de nombreux appels se font jour pour un passage au mode de scrutin proportionnel.

Autre signe de la crise politique, 6 candidat·es Indépendant·es (c’est-à-dire, n’étant enregistré·es auprès d’aucun parti national) ont été élu·es le 4 juillet. C’est un vrai séisme silencieux au Royaume-Uni : de 1950 à 2024, seules 7 candidatures indépendantes étaient parvenues à se faire élire dans des élections générales. Quant aux Verts, ils obtiennent 4 sièges contre 1 précédemment, finissent deuxième force dans de nombreuses circonscriptions, et attirent 15% des 18-24 ans ; 11 points de plus qu’en 2019. Dans les années à venir pour le meilleur ou pour le pire, le jeu risque donc d’être très ouvert…

Rendez-vous le 27 juillet pour la dernière partie de notre série en 4 volets sur les élections générales du 4 juillet 2024 au Royaume-Uni.


  1. « Starmer’s state-schooled cabinet is unusually reflective of Britain », par Jack Brown, le 11 juillet 2024 (King’s College London) ↩︎
  2. « Starmer confirms Rwanda deportation plan ‘dead’ », par Sam Francis, le 6 juillet 2024 (BBC) ↩︎
  3. « David Lammy calls for Gaza ceasefire in first trip to Israel as foreign secretary », par Faye Brown, le 15 juillet 2024 (SkyNews) ↩︎
  4. « Rapid riot prosecutions more important than long sentences, says Keir Starmer », par Fiona Bawdon, Paul Lewis et Tim Newburn, le 3 juillet 2012 (The Guardian) ↩︎
  5. « CPS has destroyed all records of Keir Starmer’s four trips to Washington », par Matt Kennard, le 29 juin 2023 (Declassified) ↩︎
  6. Starmer Ten Pledges : https://www.clpd.org.uk/wp-content/uploads/2020/10/Keir-Starmers-10-Pledges.pdf ↩︎
  7. « Hundreds of MI5 officers to be hired to help stop migrant boat crossings, Sir Keir Starmer vows », par Natasha Clark, le 9 mai 2024 (LBC) ↩︎
  8. « What Can the Left Learn From Nigel Farage? », par Joe Todd, le 11 juillet 2024 (Novara Media) ↩︎

Image d’illustration : « London February 2013 », par Martin Robson (CC BY-SA 2.0)


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