À quoi un gouvernement du Nouveau Front populaire doit-il servir ?


Par Bradley Smith.

Le Nouveau Front populaire (NFP), dans son choix de Premier·e ministre et au-delà, doit éviter une erreur stratégique majeure : celle de construire coûte que coûte une coalition majoritaire à l’Assemblée nationale actuelle. Qui peut croire que le NFP paraîtrait plus légitime et responsable s’il diluait son programme pour pactiser avec la Macronie ? L’heure n’est pas aux « compromis pragmatiques » pour débloquer une Assemblée nationale divisée en trois blocs. L’heure est à une « guerre de position » pour installer le NFP, contre le Rassemblement nationale (RN), comme la véritable force d’opposition crédible au président Macron et au bloc Ensemble.

Un gouvernement du NFP, même avec une majorité relative, peut consolider sa position en stoppant l’avancée du rouleau compresseur macroniste, tout comme celle de l’extrême-droite ; en restant fidèle à son programme, à la fois en portant des projets de loi à la hauteur des enjeux de justice sociale et d’écologie et en utilisant toutes les marges de manœuvre du pouvoir exécutif ; et en rendant responsables des blocages les élu·es Ensemble, LR et RN.

En revanche, le NFP se fragiliserait en formant une coalition avec Ensemble ou tout autre soi-disant « arc républicain » sous prétexte de construire une majorité parlementaire « responsable ». Cette stratégie trahirait son programme et son électorat, briserait son unité et renforcerait surtout le RN, qui apparaîtrait alors comme la seule véritable opposition au bloc macroniste.

La représentation spatiale des positionnements politiques est un enjeu majeur de la période. Ensemble se présente comme le « centre » entre deux « extrêmes ». Le RN veut se débarrasser de l’étiquette d’« extrême droite » pour devenir l’alternative de droite face à Ensemble à « gauche ». Dans les deux cas, le NFP est relégué à « l’extrême gauche », aux marges donc de la vie politique française, dans un glissement vers la droite de la « fenêtre d’Overton » – cet espace des idées et opinions considérées comme acceptables par une société. Le NFP doit refuser cela et tenir le cadre de cette fenêtre autant que la barre du navire.

Pour éviter cette marginalisation, il ne suffit pas de dire que « le NFP est de gauche, pas d’extrême gauche », et encore moins de se rapprocher d’Ensemble. Il faut profiter de la majorité relative pour repositionner le clivage politique clairement entre le NFP à gauche et Ensemble/LR à droite, avec le RN bien à l’extrême droite.

Par exemple, le NFP ne doit pas renoncer par anticipation à des mesures populaires comme la hausse du SMIC, l’indexation des prix, le rétablissement de l’ISF ou le retour à la retraite à 60 ans. Il doit laisser les élu·es Ensemble/LR/RN voter ensemble contre elles. Le clivage gauche/droite sera ainsi clarifié.

De même, si l’arc qui va d’Ensemble au RN risque de censurer un gouvernement du NFP jugé « trop ambitieux », cela ne fera que révéler une fois de plus leur collusion antisociale et antidémocratique. Le soutien du mouvement social à un gouvernement du NFP sera d’autant plus fort que celui-ci n’aura pas trahi son programme.

Une coalition parlementaire basée sur un amoindrissement programmatique, en revanche, par exemple avec Laurence Tubiana, brouillerait les lignes politiques et renforcerait l’idée que le véritable clivage est entre le RN et « le système ». En effet, le compromis législatif serait vite interprété comme une compromission globale.

Le NFP doit donc rester hermétique à la Macronie pour s’ériger comme l’alternative au bloc Ensemble et au RN, notamment en vue des prochaines échéances électorales. Reconnaissons qu’une Assemblée nationale relativement paralysée, avec un gouvernement minoritaire du NFP limité au plan législatif, mais arrivant à passer certaines mesures par décret, c’est bien préférable à une Assemblée et un gouvernement macronistes avançant sur des réformes néolibérales et réactionnaires. Le pire serait que la Macronie continue d’avancer grâce au concours d’une partie du NFP.

C’est en se positionnant clairement contre la politique macronienne, et en maintenant son unité, que le NFP peut espérer remporter aux prochaines élections une majorité absolue à l’Assemblée et la Présidence de la République. C’est alors qu’il pourra véritablement passer à l’offensive.


Image d’illustration : « Portail d’entrée de l’Assemblée nationale, place du Palais Bourbon, à Paris », photographie du 9 novembre 2012 par novopress.info (CC BY-NC-ND 2.0)


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