Par Basile Noël.
Une partie de la jeunesse française aurait une “addiction à la violence”. C’est le Premier ministre Gabriel Attal qui l’a dit lors d’un discours prononcé à Viry-Châtillon, dans le cadre de la visite d’un collège touché par le drame de l’assassinat du jeune Shemseddine. Pour y faire face, le chef du Gouvernement a proposé tout un arsenal de mesures visant à un “sursaut d’autorité”, seule solution selon lui pour endiguer cette violence.
Cette séquence politique fait suite à une macabre coïncidence, qui en un laps de temps assez court a vu plusieurs faits de violence grave engendrer la mort de plusieurs jeunes, dont Shemseddine à Viry-Châtillon. Il est évident que la seule réaction face à ces actes atroces ne peut être que la colère et la tristesse. Mais tirer de ces drames une conclusion générale pour toute la jeunesse, comme semblent le faire le gouvernement et une partie du champ politique, c’est faire preuve de beaucoup de mauvaise foi et de démagogie.
La surmédiatisation et le fait de relier ces actes pour en faire une vérité universelle sur toute la jeunesse contribuent à un climat de violence, de peur et de “guerre civile”. En cela, une partie des médias et la macronie se font les complices de l’extrême-droite, qui se nourrit plus qu’elle ne se désole de ces faits violents. L’utilisation de termes comme “l’hyperviolence” par BFM TV ou “l’ultraviolence” sur les médias Bolloré (CNEWS, Europe 1, le Journal du Dimanche), comme si celui de “violence” ne se suffisait pas à lui-même, illustre assez bien la construction de cette atmosphère.
Une attaque contre les classes populaires
La rhétorique d’une jeunesse toujours plus violente est loin d’être nouvelle. À bien des égards, le discours de Gabriel Attal sent le réchauffé, jusque dans ses propositions pour un “sursaut d’autorité”. On y retrouve les poncifs habituels des discours conservateurs et réactionnaires sur la jeunesse et son éducation : les familles et l’école sont trop laxistes, il faut plus d’autorité, plus de sanctions, etc. En cela l’objectif du Premier ministre semble évident : flatter un électorat conservateur et réactionnaire, alors que les élections européennes approchent et que la tête de liste du camp présidentiel, Valérie Hayer, peine à se faire entendre.
Mais il ne faut absolument pas minimiser la portée de ce discours. On doit y voir une attaque en règle contre les classes populaires. En effet, si beaucoup des mesures annoncées le sont en théorie pour l’ensemble de la jeunesse, il ne fait aucun doute que c’est d’abord la jeunesse des quartiers populaires urbains qui est visée. D’ailleurs, une des mesures phares annoncée par Attal, le fait pour les collégiens de REP/REP+ d’être présents dans leur établissement de 8h à 18h, n’est pas nouvelle. L’idée que les établissements soient ouverts toute la journée faisait déjà partie des “réponses” du gouvernement aux émeutes de juin 2023 suite à la mort de Nahel, 17 ans, tué par un policier à Nanterre.
De la même manière, il était déjà question à l’été 2023 de “responsabiliser” les parents des jeunes impliqués dans les émeutes. À l’époque, ces mesures visaient explicitement la seule jeunesse des quartiers populaires. Cette stigmatisation de cette frange spécifique de la jeunesse sous-entend qu’elle serait toute entière concernée par cette “addiction à la violence”. Dans le même ordre d’idées, en voulant “responsabiliser” les parents, le gouvernement instille l’idée que les parents de milieux populaires seraient responsables de cette situation. Ces parents s’en trouvent ainsi infantilisés, soi-disant incapables de s’occuper de leurs enfants et nécessitant l’aide bienveillante de l’État. En disant cela, Gabriel Attal, porte-parole d’une classe bourgeoise en voie de radicalisation, attaque et insulte les familles des classes populaires, redevenues les “classes dangereuses”.
La militarisation contre l’éducation
Les mesures annoncées par Gabriel Attal le 18 avril dernier pour la jeunesse populaire concernent plusieurs aspects, notamment l’école et la justice. Si on peine depuis à entendre les ministres concernées, ces annonces ont d’ores et déjà suscitées de nombreuses réactions et critiques. Une des plus fortes est probablement celle de l’UNICEF, ayant exprimé sa “vive préoccupation” à l’égard de mesures risquant “de porter atteinte aux principes fondamentaux qui favorisent la primauté de l’aspect éducatif sur le répressif et encouragent le relèvement de l’enfant”.
Concernant les annonces sur l’école, de nombreux syndicats ont, en plus de critiquer la conception de l’éducation sous-tendant ces mesures, pointé leur infaisabilité au regard des moyens et infrastructures de l’Éducation nationale. Alors que la plupart des établissements manquent de personnels, on voit mal comment il serait possible d’encadrer sérieusement les élèves sur un temps plus long. Mais peu importe, en réalité, si toutes ces mesures s’appliqueront ou non, du point de vue de la majorité. Seule compte la communication et le fait que l’électorat qu’ils visent ait le sentiment que le gouvernement ait agi, et avec fermeté en plus !
Au-delà de ce qui s’appliquera ou non, avec les moyens nécessaires ou non, ce qui ressort ici c’est d’abord la vision qu’a le camp présidentiel de l’éducation. Là encore, cette vision n’est pas nouvelle. Bien avant le discours de Gabriel Attal, cinq ans de Jean-Michel Blanquer à la tête de l’Éducation nationale ou la création du Service National Universel (SNU) illustrent bien une conception autoritaire et réactionnaire de l’école. Les jeunes manqueraient de cadre, d’autorité, notamment à cause de parents laxistes et d’enseignants trop bienveillants, influencés par le “pédagogisme” (terme péjoratif visant à décrédibiliser les pédagogies mettant l’élève au cœur des apprentissages). Il faudrait donner à cette jeunesse des repères et cela passerait par une forme d’endoctrinement militaire et nationaliste (soi-disant “républicain”). Une vision qui ne jure pas avec l’atmosphère va-t-en guerre installée, entre autres, par Emmanuel Macron ces derniers temps.
Dans cette vision de l’éducation et de l’école, il n’est plus question d’émancipation, de développement de l’esprit critique et d’élévation intellectuelle. Et il faut ici en revenir à l’idée que les mesures annoncées s’adressent d’abord, si ce n’est exclusivement, aux jeunes des classes populaires. On peut s’interroger sur les objectifs, ou au moins les conséquences de ces mesures. Car le discours d’Attal fait écho à la nostalgie d’une école du passé, soi-disant plus exigeante mais surtout plus autoritaire (quitte à user de la violence physique et psychologique), avec l’internat (quand ce n’est pas l’armée) servant de menace.
Mais aussi une école élitiste, qui ne voyait presque exclusivement que les enfants de la bourgeoisie aller au-delà de l’école primaire. Alors que le projet de l’école de l’après-guerre, hérité du Conseil national de la Résistance et du plan Langevin-Wallon, visait à la démocratisation de l’école, c’est-à-dire à l’accès de toute la jeunesse à l’école et à l’élévation intellectuelle qu’elle permet, le projet Macron-Attal abandonne cette perspective pour la jeunesse populaire, lui préférant une école coercitive teintée de militarisme.
Outre le manque de moyens et d’investissements visant à un accès réel aux savoirs et à l’esprit critique de toute la jeunesse, plusieurs des réformes éducatives de la présidence Macron semblent illustrer cette perspective. D’un côté, la réforme du baccalauréat général et technologique de 2018 a vu la fin des filières littéraire, scientifique et économique et sociale au profit d’un choix de spécialités avec des programmes réécrits. Depuis, les syndicats et associations de professeurs des disciplines concernées dénoncent régulièrement des programmes trop lourds au regard du temps imparti pour les traiter. De plus, le Grand oral, nouvelle épreuve phare de la réforme de 2018, doit être préparé par les élèves de terminale et leurs enseignants sans temps prévu dans l’emploi du temps pour le faire.
Si le “bac Blanquer” est dans l’ensemble dénoncé comme difficile et stressant pour tous les élèves, ce sont d’abord ceux issus de milieux populaires, également les plus en difficultés scolaires, qui en pâtissent. Les enseignants dénoncent la difficulté croissante à mettre en place des dispositifs pédagogiques visant à ce que tous les élèves, notamment les plus éloignés au départ de la culture scolaire dominante, puissent réussir. Le Grand oral est aussi dénoncé comme une épreuve inégalitaire car l’absence d’horaire dédié pour le préparer fait reposer sur une maîtrise de l’oral acquise en dehors de l’école. Faute de moyens nécessaires pour permettre la réussite de tous les élèves, le risque est de transformer le baccalauréat général en un diplôme élitiste, réservé aux jeunes de la bourgeoisie. Un dramatique retour en arrière.
De l’autre côté, la réforme en cours du baccalauréat professionnel, au sein duquel les jeunes issus des classes populaires sont surreprésentés, semble vouloir transformer les lycées professionnels en usines de chair à patron. Il est notamment question, pour les élèves ne souhaitant pas poursuivre au-delà du baccalauréat, d’augmenter les semaines de stage en entreprise lors de l’année de terminale au détriment des cours d’enseignement général. Le message est clair : on veut favoriser l’insertion sur le marché du travail au détriment de la culture générale, on veut des travailleurs dociles et qui réfléchissent le moins possible prêts à l’emploi pour le patronat. L’école de l’élite pour les enfants de bourgeois, l’école coercitive au rabais pour les enfants des milieux populaires.
Moins de démocratisation, moins de démocratie ?
Cette séquence s’insère dans un contexte d’attaques inédites contre la démocratie. Une répression sans précédent vise les voix défendant la paix en Palestine, tandis que l’exécutif semble vouloir préparer l’Europe à la guerre. Le renoncement à la démocratisation scolaire s’inscrit dans un contexte où la démocratie elle-même semble en danger. Le renoncement à la démocratisation, c’est le renoncement de l’accès d’une part importante de la population à l’esprit critique, absolument essentiel au débat démocratique.
Alors que la macronie se pose depuis son arrivée à la tête du pays en 2017 en rempart contre l’extrême-droite, elle ne se contente plus de lui être un marchepied, elle commence déjà à appliquer son programme. Après la loi immigration il y a quelques mois, on retrouve dans le discours de Gabriel Attal la rhétorique mais aussi des propositions concrètes directement issues des programmes de l’extrême-droite pour l’école.
Alors que la gauche avance une fois de plus en ordre dispersé pour les élections européennes de juin prochain, elle doit absolument opposer un sursaut progressiste fort et unitaire au sursaut autoritariste de la bourgeoisie radicalisée.
Image d’illustration : « Ministère de l’Éducation nationale, 52 rue de Bellechasse (Paris, 7e). », le 13 juin 2019 par Celette (CC BY-SA 4.0)