Par Hugo P.
Katia Ruiz Berrocal est partie ce 1er avril 2025.
Quand quelqu’un meurt, c’est un fragment de l’histoire du monde qui disparaît. Avec Katia, nous perdons aussi un fragment de l’histoire de la révolution, passée et à venir. C’était une Bordelaise d’Espagne – ou une Espagnole de Bordeaux –, qui n’a jamais oublié ni d’où elle vient, ni où elle va. Après la mort de Franco, elle a traversé les Pyrénées dans l’autre sens, pour se jeter dans les luttes accompagnant la Movida. Hélas, ils ont encore réussi à escamoter la République. Mais on les aura !
Elle aimait tout ce qui permet de rencontrer les autres : les voyages, les livres, la politique.
C’était une syndicaliste, une féministe, une internationaliste. Ses premiers engagements d’adolescente, avec les jeunes communistes, étaient tournés vers le Chili, les rafles, les gens entassés dans les stades, les guitaristes mutilés. Nous sommes en 1973, elle a 16 ans.
C’était aussi une femme de parti, de carte, de tracts et d’affiches, mélangée à la grande vague du peuple ; une marxiste et une communiste, libre, exigeante, dissidente, comme on devrait toujours l’être quand on prétend changer le monde. Il faut éduquer les éducateurs, disait Marx, et il faut transformer le parti, répondait Katia. Sans perdre de vue la braise palpitante, l’étincelle d’humanité qui nous relie et qui passe avant la polémique ! Elle avait rendu sa carte dans les années 80, mais l’a reprise au printemps 2002, après la tuerie de Nanterre qui avait fauché tant de camarades et l’avait profondément choquée. Quand c’est dur, on répond présent.
Ici, à Nos révolutions, elle nous aidait à suivre l’actualité politique en Espagne.
Elle écrivait toujours de la même manière ; d’abord, elle rassemblait une quantité invraisemblable d’informations, qu’elle synthétisait dans de petits textes denses et panoramiques, conçus pour que le lecteur ne passe pas à côté de la situation. Pendant une dizaine de jours, elle réécrivait et modifiait pour être sûre de ne rien manquer. Puis, elle finissait par envoyer son texte, en s’excusant qu’il ne soit pas assez ceci ou trop cela, modifiez-le si besoin. Mais non, Katia, tu rigoles, il est excellent ton papier ! En général, 48 heures plus tard, elle alertait : stop, il ne faut pas le publier ! La situation a changé, car tel parti politique a adopté telle position, ou tel journal a révélé tel scandale ! Et elle réécrivait l’article une dernière fois, quelques heures avant sa publication.
Telle était Katia, toujours disponible, travaillant dur, débordant d’énergie, attentive au changement et à ce que les mots des militants en rendent compte. Par-dessus tout, elle détestait les choses figées, les idées ossifiées, les formules routinières. Elle était toute entière tournée vers l’avenir : que fait-on ? Que dit-on ? Tu as vu tel événement, telle déclaration de telle personnalité publique ? Il faut qu’on réagisse !
Elle parlait vite, elle riait beaucoup. Nous l’aimions. Nous pensons à elle.
Retrouvez ici les articles de notre site écrits par Katia :
– « Sécheresse historique en Espagne », le 23 mai 2023
– « Après l’investiture de Pedro Sánchez : comprendre la crise en cours en Espagne », le 22 novembre 2023
– « L’Espagne à la veille des élections européennes », le 7 juin 2024
Image d’illustration : Photographie choisie par Lydia, la sœur de Katia.