Nouvelles de la crise britannique. Partie 1 : Pour les Tories, une défaite qui vient de loin


Par Antoine Guerreiro.

Première partie de notre série en 4 volets sur les élections générales du 4 juillet 2024 au Royaume-Uni.

Alors que la France s’enfonce dans une grave crise institutionnelle, nombreux sont les commentateurs français à lorgner outre-Manche, où se sont tenues le 4 juillet les élections générales. Bien loin de la tripartition de l’Assemblée nationale tricolore, c’est en effet une nette majorité qui est sortie des urnes britanniques, avec 411 député·es travaillistes, contre seulement 121 Conservateurs1.

En France, des sociaux-démocrates à la droite extrême, chacun a trouvé matière à se féliciter de ces résultats, tout en en profitant pour apposer son commentaire à destination des forces politiques françaises. Ainsi pour David Assouline ex-sénateur PS de Paris, la nette majorité des travaillistes est le résultat de « la gauche anglaise débarrassée du leadership de Corbyn »2. Quant à l’éditorialiste de droite extrême Eugénie Bastié, elle estime que la démarche du nouveau Premier ministre Keir Starmer serait « le contraire du Nouveau Front populaire »3.

Que penser de ces affirmations ? Les secousses signalées par le Brexit et le retour de la gauche radicale sont-elles dépassées pour de bon ? Le Royaume-Uni est-il désormais promis à la quiétude d’un paradis social-libéral, comme un revival des années Blair ? Rien n’est moins sûr, pour qui veut bien passer outre les apparences et s’intéresser aux réels enseignements du scrutin.

Pour les Tories, une défaite qui vient de loin

À partir de 2010 et l’installation de la coalition des Conservateurs et Libéraux-Démocrates, les Tories se sont accaparés le pouvoir à Westminster pendant pas moins de 14 ans. Cela en promouvant des politiques parfois très contradictoires, conformément à la tradition de ce parti « caméléon » capable de changer d’orientation au gré de ses intérêts électoraux.

Ainsi en 2015, après 5 ans de violentes politiques d’austérité ayant démoli les services de santé, l’éducation ou encore les collectivités locales, le Premier ministre sortant David Cameron promet pour se faire réélire d’organiser un référendum sur la sortie de l’Union Européenne. C’est le fameux vote du Brexit de 2016, qui sera suivi par 4 années de crise autour des négociations sur la sortie. Car dès lors la bataille fait rage, entre les franges du patronat commerçant au sein du marché unique, et celles estimant plus profitable de se libérer des régulations de l’UE pour développer les échanges avec les États-Unis et les puissances du Commonwealth.

Face aux blocages internes à sa majorité, Theresa May, Première ministre installée en 2016, provoque des élections anticipées au printemps 2017. Elle espère ainsi retrouver des marges de manœuvre dans ses négociations avec la Commission européenne. Mais ce scrutin est marqué par l’incroyable percée des Travaillistes4 sous la houlette de Jeremy Corbyn, autour d’un programme radical de transformation sociale. Privée de majorité absolue, Theresa May tiendra encore deux ans avant de démissionner le 7 juin 2019.

Entre alors en scène Boris Johnson, soutien de la campagne du Brexit, promoteur du populisme droitier et de l’adresse aux territoires désindustrialisés du Nord pour vaincre les Travaillistes. Déclenchant une nouvelle élection générale le 12 décembre 2019, c’est en effet ce qu’il parvient à faire, constituant du même coup un groupe parlementaire conservateur à sa main… c’est-à-dire, flirtant avec l’extrême-droite. Cependant le règne de Johnson bute dès le printemps 2020 sur la pandémie de Covid-19, qui met en relief la destruction du système de santé et l’incurie du gouvernement. Mis en cause dans le scandale du « partygate », lié à des fêtes illégales organisées pendant le confinement5, Johnson démissionne le 7 juillet 2022.

C’est lors du mandat de sa remplaçante, la libertarienne Liz Truss, que le destin des Conservateurs s’est sans nul doute joué. Sortie victorieuse contre Rishi Sunak de l’élection interne au parti, Truss nomme le 6 septembre 2022 un gouvernement de libertariens forcenés et d’extrémistes de droite, parmi lesquels prévaut depuis le Brexit un réel sentiment de toute puissance. Son chancelier de l’Échiquier (ministre des Finances) Kwasi Kwarteng présente le 23 septembre un « plan pour la croissance », surnommé « mini-budget »6, prévoyant des baisses massives d’impôts pour les entreprises et les plus riches. Panique sur les marchés financiers, chute de la livre sterling, hausse des taux d’intérêt… Des millions de Britanniques, titulaires de prêts immobiliers, en font les frais. Un mois plus tard, Truss met fin au plus court mandat de l’histoire britannique, remplacée par Rishi Sunak.

Dès lors malgré toutes les tentatives de Sunak pour remonter la pente, rien n’y fera. Pendant plus d’un an et demi, l’ensemble des sondages promettent une défaite monumentale aux Conservateurs. L’électorat n’oubliera pas les conséquences bien concrètes du mini-budget. Pire encore pour la droite, de larges fractions des classes dominantes ne pardonneront pas aux Tories cette démonstration d’amateurisme et d’incompétence économique. De nombreux acteurs économiques, dont le très puissant magnat des médias Rupert Murdoch, se tournent vers le Labour de Keir Starmer7. Le 4 juillet la défaite est donc cuisante, comme annoncée. Seule consolation, alors que certains sondages annonçaient sa quasi-disparition de la Chambres des Communes, le parti conserve 121 sièges et hérite du statut d’opposition officielle.

Rendez-vous le 21 juillet pour la deuxième partie de notre série en 4 volets sur les élections générales du 4 juillet 2024 au Royaume-Uni.


  1. Le reste des 650 député·es se répartit comme suit : 72 Libéraux-Démocrates, 9 du Scottish National Party (SNP), 5 du parti d’extrême-droite Reform UK, 5 du Parti Unioniste Démocrate (DUP) d’Irlande du Nord, 4 du parti indépendantiste gallois Plaid Cymru, 4 Verts, 5 de divers partis d’Irlande du Nord, et 6 Indépendants. Enfin, les 7 député·es du Sinn Féin ne siègent traditionnellement pas à Westminster, et le président de la Chambre renonce à toute affiliation politique pendant la durée de ses fonctions. ↩︎
  2. https://x.com/dassouline/status/1808972188742975792 ↩︎
  3. https://x.com/Europe1/status/1809120205064245366 ↩︎
  4. Lire à ce sujet notre article publié le 22 juin 2023 sur Nos Révolutions : Les années Corbyn, 2015-2019. Partie 1 : Les raisons d’un succès. ↩︎
  5. « Partygate: A timeline of the lockdown parties », le 21 mars 2023 (BBC) ↩︎
  6. « The mini-budget that broke Britain – and Liz Truss », Richard Partington, le 20 octobre 2022 (The Guardian) ↩︎
  7. « Champagne with Rupert Murdoch … Keir Starmer’s Labour is preparing for power », Toby Helm et Michael Savage, le 9 juillet 2023 (The Guardian) ↩︎

Image d’illustration : « Prime Minister Rishi Sunak leaves 10 Downing Street », photographie du 5 juillet 2024 par Kirsty O’Connor – No 10 Downing Street (CC BY-NC-ND 2.0)


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