Par Patrick Le Hyaric.
Cet article du 7 octobre 2023 est extrait de la lettre hebdomadaire de Patrick Le Hyaric. Cliquez ici pour lire la lettre de cette semaine en intégralité et ici pour vous y abonner.
Les pressions de la puissante industrie agrochimique poussent la Commission européenne à revenir sur l’interdiction à terme de l’herbicide le plus vendu, le glyphosate, pourtant considéré selon le centre international de recherche sur le cancer (Circ) comme « cancérogène probable ». En effet, des études de l’INSERM prouvent le lien entre l’exposition au glyphosate et certains cancers. Une telle décision serait contraire aux objectifs proclamés du « pacte vert » européen prévoyant de réduire de moitié l’usage des pesticides et herbicides dans l’Union européenne.
Alors que le parlement européen (seule instance élue dans l’Union européenne) a voté l’interdiction de l’utilisation du glyphosate en octobre 2017, des discussions sont entamées entre la Commission européenne et les États membres en vue d’aboutir à une décision de prolongation de l’utilisation de l’herbicide.
Celle-ci pourrait être rendue dans le courant de ce mois d’octobre. Dans un avis flou rendu le 6 juillet dernier, l’autorité européenne de sécurité des aliments déclare que l’herbicide ne présente aucun « domaine de préoccupation critique », mais cache les annexes de son rapport et ne tient aucun compte des alertes des autres organismes scientifiques. Mieux, elle admet une insuffisance de connaissances des effets du glyphosate sur l’ADN, le microbiote et la biodiversité et confirme que la plupart des études sur lesquelles elle fonde sa décision ont été fournies par…. Bayer racheté par Monsanto.
C’est ce même groupe qui a fait l’objet de 100 000 plaintes aux États-Unis à la suite desquelles il a été contraint de débourser 11 milliards de dollars en dommages et intérêts. Or, le « principe de précaution » est codifié comme un principe fondamental de l’Union européenne.
C’est l’article 191 du traité de l’Union européenne. Il a été réaffirmé par « l’arrêt Blaise » en 2021 stipulant que les « procédures conduisant à l’autorisation d’un produit phytopharmaceutique doivent impérativement comprendre une appréciation non seulement des effets propres des substances actives contenues dans ce produit, mais aussi des effets cumulés de ces substances et de leurs effets cumulés avec d’autres composants dudit produit ».
Or, rarement est analysé « l’effet cocktail » de l’utilisation du glyphosate c’est-à-dire ses effets mélangés à ceux d’autres substances chimiques. Ajoutons que cette « ré-autorisation » serait contraire à la directive-cadre sur l’eau qui fixe des normes pour la bonne qualité de l’eau des rivières, lacs, fleuves, sources et nappes phréatiques.
Des études documentent désormais la présence de glyphosate dans les eaux de surface de tous les pays européens. La chercheuse d’INRAE, Céline Pélosi, a montré les effets délétères des pesticides, fongicides et herbicides sur les vers de terre, indispensable à la vie et la fertilité des sols. Autrement dit, la chimie fait mourir à petit feu la faune et la flore indispensables à l’humus pour produire.
Il ne s’agit pas ici d’incriminer les paysans-travailleurs qui, les premiers, subissent les effets de leur insertion dans un complexe agro-industriel et agrochimique organisé par un système qui exploite les deux facteurs de productions que sont leur travail et la nature.
Libérer l’agriculture de la chimie c’est les libérer de cette dépendance. Cela ne se fera pas en un jour. Et, il n’y a pas plus à incriminer les paysans que les ouvriers qui produisent ces substances chimiques. Mais il y a urgence que les institutions européennes et le gouvernement les aident au changement en revenant à l’agronomie. Déjà, des expérimentations d’ampleur sont en cours : agroécologie, agroforesterie, agriculture régénérative ou agriculture biologique… Un processus de réorientation des aides européennes vers ces pratiques tout en garantissant une correcte rémunération du travail paysan est possible. Il va de pair avec l’augmentation des salaires et des retraites pour que le droit à l’alimentation devienne réalité. C’est la condition pour une alimentation de qualité pour toutes et tous, la vie des territoires, la revalorisation du métier de paysans. Les paysans comme tous les travailleurs ont besoin de reprendre la main sur leur travail, la production et les orientations qui les concernent en lien avec les recherches scientifiques et avec l’ensemble de la société.
Loin des faux-fuyants du gouvernement qui après avoir proclamé l’interdiction du glyphosate s’apprête courageusement à s’abstenir lors de la réunion du conseil européen. Il n’est pas trop tard pour lui faire connaître notre désapprobation.
Image d’illustration : Photographie prise le 3 décembre 2014 par Chafer Machinery (CC BY 2.0 Deed)