« Être de gauche aujourd’hui ». Retour sur l’enquête 2023 de l’Ifop


Par Marie Jay.

À l’occasion de la Fête de l’Humanité, l’Ifop a publié la 10ᵉ vague de son baromètre « Être de gauche aujourd’hui ».

Ce sondage nous enseigne plusieurs choses. D’abord, la polarisation des positionnements entre personnes de droite et de gauche est profonde et reflète des visions du monde opposées : solidarité contre mérite, refus du capitalisme contre peur du communisme et de la Nupes, volonté de mettre fin à l’article 49-3 contre volonté de donner plus de liberté aux entreprises, etc.

Ensuite, la différence factice entre « positionnement social » et « positionnement sociétal », ou même entre « social » et « écologie », n’est pas faite par les populations de gauche : celles-ci se positionnent aussi nettement en reconnaissant le racisme systémique ou en se disant favorable au droit de vote des étranger.es aux municipales, qu’en citant dans les actions prioritaires une meilleure répartition des richesses et la protection de l’environnement.

On note néanmoins un invariant intéressant sur les valeurs : la liberté est citée comme le mot le plus positif tant pour la gauche que pour la droite et que pour l’ensemble des Français·es. Derrière ce mot, il semble donc y avoir une bataille idéologique sur le sens qui lui est donné, et sur le « pour qui » est revendiquée la liberté.

Enfin, la logique qui est intéressante dans ce sondage, c’est notamment qu’il souligne les « aspérités », c’est-à-dire les valeurs et les positions politiques qui diffèrent le plus entre la droite et la gauche, ainsi que pour la gauche ou la droite par rapport à l’ensemble des Français·es. Je crois qu’il est important, lorsqu’on observe les différentes polémiques sur ce que penserait la gauche, de voir ce qui la solidarise réellement.

Sur les marqueurs politiques de la gauche, celle-ci reconnaît plus que l’ensemble de la population l’existence d’un racisme systémique et de violences policières, est plus favorable au droit de vote des étranger·es aux municipales, souligne plus un rôle positif de l’immigration et se positionne plus pour l’abrogation du 49-3 :

  • « Le racisme systémique est une réalité aujourd’hui en France » : 76 % sont d’accord à gauche, contre 63 % de l’ensemble des Français·es et 55 % à droite ;
  • « Les violences policières sont une réalité aujourd’hui en France » : 69 % sont d’accord à gauche, contre 53 % de l’ensemble des Français·es et 41 % à droite ;
  • « Tous les étrangers résidant en France depuis plusieurs années devraient avoir le droit de vote aux élections municipales » : 67 % sont d’accord à gauche, contre 48 % de l’ensemble des Français·es et 33 % à droite ;
  • « L’immigration rapporte plus à la France qu’elle ne lui coûte », 53 % sont d’accord à gauche, contre 37 % de l’ensemble des Français·es et 24 % à droite
  • « L’article 49.3 de la Constitution devrait être supprimé » : 70 % sont d’accord à gauche, contre 59 % à droite.

Au contraire, la gauche se positionne moins sur les marqueurs de sécurité, croit moins à l’accusation d’assistanat des chômeurs, croit moins que les chefs d’entreprises doivent avoir plus de liberté et voit moins la défense de l’environnement comme compatible avec le capitalisme :

  • « On ne se sent en sécurité nulle part » : seul.es 54 % sont d’accord à gauche, contre 64 % de l’ensemble des Français·es et 72 % à droite ;
  • « Les chômeurs pourraient trouver du travail s’ils le voulaient vraiment » : seul·es 54 % sont d’accord à gauche, contre 65 % de l’ensemble des Français·es et 74 % à droite ;
  • « Il faut que l’État donne plus de liberté aux chefs d’entreprises » : seul·es 49 % sont d’accord à gauche, contre 61 % de l’ensemble des Français.es et 70 % à droite ;
  • « La défense de l’environnement est compatible avec le capitalisme » : seul·es 45 % à gauche sont d’accord contre 58 % à droite.

À gauche, les trois thèmes cités comme constituant une priorité pour une politique de gauche sont une meilleure répartition des richesses, la protection de l’environnement et la revalorisation des salaires :

  • Une meilleure répartition des richesses : cité à 45 % ;
  • La protection de l’environnement : cité à 43 % ;
  • La revalorisation des salaires : cité à 40 %.

Sur les domaines d’actions prioritaires pour la gauche, la gauche se distingue de l’ensemble des Français en voulant que les partis et élu·es de gauche se saisissent davantage de :

  • La lutte contre la pauvreté : 26 % à gauche contre 20 % en général ;
  • La lutte contre le dérèglement climatique : 26 % à gauche contre 18 % en général.

Et elle se distingue également en citant moins :

  • L’insécurité : 14 % à gauche contre 26 % en général ;
  • L’immigration : 9 % à gauche contre 21 % en général.

Sur les mots les plus appréciés en fonction du positionnement politique, on note que :

  • La gauche cite la liberté (58 %), tout comme l’ensemble des Français (54 %) et la droite (51 %) ;
  • En revanche, la gauche cite ensuite la solidarité (51 %), la protection de l’environnement (51 %), l’égalité (49 %) et le bien-être animal (46 %) ;
  • La droite cite, elle, le mérite (45 %), le bien-être animal également (43 %), la laïcité (38 %) et le travail (36 %).

Sur les mots les moins appréciés, les mêmes qui ont peur du communisme ont désormais encore plus peur de la Nupes, tandis que la gauche se déclare profondément opposée au capitalisme :

  • La gauche cite le capitalisme (31 %), l’ubérisation (28 %), la mondialisation (20 %), la finance (18 %) et le patronat (17 %).

La droite cite la Nupes (55 %), le communisme (47 %), l’immigration (42 %), l’ubérisation (27 %), la grève et les mouvements sociaux (27 %).


Image d’illustration : Concert à la Grande Scène de la Fête de l’Humanité (Angela Davis), le 14 septembre 2019 – par Chang Martin (CC BY-SA 4.0)


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