Par Patrick Le Hyaric.
Cet article du 24 juin 2023 est extrait de la lettre hebdomadaire de Patrick Le Hyaric. Cliquez ici pour lire la lettre de cette semaine en intégralité et ici pour vous y abonner.
L’écran de télévision est divisé en quatre. Il montre quatre catastrophes à la même origine. En haut à gauche un paysan français, les larmes aux yeux, accroupi sur un sol craquelé, tient dans sa main une poignée de terre sèche. Morte peut-être. En haut à droite, alternativement, l’écran montre des habitants de New Delhi qui cherchent des sous-sols pour échapper aux températures dépassant 45° en Inde, puis une tornade qui ravage tout sur son passage aux États-Unis et une autre qui détruit un village en France. En bas à gauche, les images des mégas feux qui ravagent les forêts canadiennes alternent avec celles en provenance de Sibérie, que l’on imaginait jusque-là glaciale, alors que le mercure vient d’y dépasser 40°C.
En bas à droite, une plage du Texas recouverte de poissons morts, faute d’oxygène dans les eaux du golfe du Mexique.
Le péril est là
De telles images étaient impensables il y a une trentaine d’années. Moqueries et accusations de complotisme auraient été réservées à quiconque aurait prédit tel scénario catastrophe.
Pourtant, c’est cette violente réalité qui nous saute à la figure. De la terre au fond des océans, la planète est une bouilloire. Au train où vont les choses, elle pourrait devenir invivable dans de grandes régions du monde. Le péril n’est pas pour demain. Sa gueule brûlante et ses yeux de foudre sont là. L’océan Atlantique s’est réchauffé de 1,1°C en moins de quarante ans. Quand en Méditerranée, le thermomètre a gagné 3 à 4°C.
La banquise fond. Les forêts brûlent. De toutes parts les signaux d’alarme sont passés au rouge écarlate.
L’heure n’est donc plus à ânonner les discours creux pour camoufler l’inaction. Le moment n’est plus aux projets bidon, à la démagogie, aux pseudos théories rassuriste à bas prix. La planète, les animaux, les arbres, les champs, les oiseaux, les poissons, les insectes, le plancton, les cours d’eau, les êtres humains se consument.
Pendant ce temps, les plateaux de télévision bruissent de petites phrases emberlificotées, de polémiques de gladiateurs à la petite semaine. Que l’on ouvre enfin les antennes et les colonnes des journaux aux chercheurs, aux scientifiques ! Qu’on leur permette de discuter avec les citoyens, les travailleurs, les syndicats et les associations afin de délibérer publiquement des moyens d’une transition environnementale et sociale au bénéfice de toutes et tous ! Le temps presse, chaque dixième de réchauffement rend les marges de manœuvre plus étroites encore.
Ce n’est pas ici une opinion. C’est un fait. Les catastrophes vont prendre de l’ampleur. Avec l’extraction du charbon, du pétrole et du gaz, la déforestation, de puissantes forces industrielles et financières continuent sans vergogne à réchauffer notre unique terre. La sempiternelle reprise du disque de la maison qui brûle n’empêche toujours pas de regarder ailleurs.
Pendant ce temps le pouvoir fait taire toutes les sirènes d’alarme
Et, pendant ce temps-là le pouvoir ivre d’autoritarisme a adopté mercredi dernier au conseil des ministres un décret pour dissoudre le mouvement « Les Soulèvements de la Terre ». Face à cette inique décision, on oscille entre effarement et détermination.
Les Soulèvements de La Terre, ne sont ni un groupuscule, ni une nébuleuse, mais un mouvement important pour lequel plus de 100 000 personnes ont signé une pétition avec des organisations nationales, syndicales, des collectifs de fermes, des scientifiques, dont des responsables du GIEC, des intellectuels, dont la prix Nobel de littérature.
Il existe aujourd’hui 170 comités locaux des soulèvements de la Terre. Si ce regroupement est dissous, il y aura demain beaucoup de monde à arrêter. Le pouvoir parle de violence. Personnellement je ne préconiserai pas certains modes d’action mis en œuvre. Je crains que certains d’entre eux soient contre-productifs. Mais parlons violence comme la FNSEA. Ce syndicat qui, des années durant faisait arracher les grilles de préfectures et de sous-préfectures, déchargeait dans les rues de villes moyennes des charretées de fumier, bloquait des routes, retardait la circulation derrière de longs convois de tracteurs, entrait de force dans le ministère de l’Agriculture, se permettait d’aller décharger un dimanche soir à 22h du fumier dans le jardin d’un ministre de l’agriculture. Je ne les condamne pas, tant il faut se battre pour échapper totalement à la misère. Mais qu’il ne fasse pas de morale aujourd’hui. Ils doivent être conscients que leurs ennemis ne sont pas les jeunes qui demandent à sauver le climat et la biodiversité. Leurs ennemis sont dans les bureaux de directions des firmes agro-chimiques et des conseils d’administration de celles-ci pour toucher leurs juteux dividendes. C’est ensemble pour la santé des paysans, la rémunération de leur travail, et l’emploi agricole que paysans –jeunes et salariés doivent agir pour que nous n’étouffions pas tous ensemble, pendant qu’un gouvernement ennemi de l’intérêt général humain empêche le peuple de parler.
Y a-t-il un thermomètre fiable pour mesurer le degré de violence imposé à tous les êtres humains dont les paysans et les générations qui viennent quand ces firmes agro-chimiques ne respectent pas les directives européennes. Mieux elles cachent aux autorités de sécurité sanitaire européennes la composition de plusieurs pesticides. (Voir La Terre qui parait cette semaine)
Mesure-t-on le degré de violence de l’industrie pétrolière et gazière qui enfume notre atmosphère.
Le cœur pollué de la crise climatique : les énergies fossiles
Durant l’année 2022, à l’échelle planétaire, les rejets de gaz carbonique liés aux énergies carbonées ont encore augmenté de 0,9 %.
Quand, va-t-on prendre enfin au sérieux cette alerte récente du secrétaire général de l’ONU, M. Antonio Guterres : « Nous nous précipitons vers la catastrophe les yeux grands ouverts, avec bien trop de gens à tout miser sur des vœux pieux de technologie qui n’ont pas fait leurs preuves (…) Il faudrait commencer à agir sur le cœur pollué de la crise climatique : les énergies fossiles. »
Il aurait pu ajouter que les profits flambent aussi vite que le prix de leur pétrole. Les cinq majors pétrolières occidentales – ExxonMobil, Chevron, Shell, BP et Total – ont battu leur record historique absolu de profits l’an dernier : 180,5 milliards de dollars. Et celles-ci continuent, en lien avec les grandes banques et les fonds financiers, à forer de nouveaux puits de pétrole et de gaz. Le GIEC montre que « les émissions de gaz carbonique projetées par les infrastructures fossiles existantes nous mènent tout droit vers une augmentation de 1,5° de la température. »
Face à cela le ministre Béchu est aussi créatif que comique. Il nous a annoncé le 8 juin dernier que face à la canicule, nous serions avertis par SMS « des comportements à adopter pour se protéger »… Sans rire, il nous incite même, pour faire face au monde qui brûle, à « poser des stores ». Voilà les bas-fonds où cogitent nos gouvernants !
Changer de système, pas le climat
Pourtant des solutions efficaces, accessibles, porteuses de mieux-être existent. Les scénarios de transition sont évalués avec leurs coûts et leurs effets. Qu’est-ce qui bloque alors ? Un système prédateur court-termiste à la recherche de l’accumulation et de la suraccumulation de capital alors que les véritables producteurs de richesses sont les travailleurs et la nature qui souffrent. Le capitalisme sacrifie l’un et l’autre.
On vient de voir encore la semaine dernière au Parlement européen, les droites et l’extrême droite refuser de voter le texte sur la sauvegarde de la nature et cultivent la mauvaise herbe climato-négationniste, élément constitutif de leur identité, pour ne pas changer de système, pour défendre les intérêts des grandes firmes, de l’agrochimie et du pétrole.
À un an de l’élection des députés au Parlement européen, il conviendra de s’en souvenir. Mais, au-delà, face à la catastrophe qui se profile, n’est-il pas temps de réfléchir à la construction d’une coalition large, unissant les gauches, les écologistes, les communistes et les progressistes ainsi que des associations, des syndicats et des mouvements pour la justice sociale et climatique, afin de constituer au sein de cette enceinte européenne, un front progressiste et écologiste qui fasse passer les hommes et la nature avant l’argent, avant les absurdes critères de sauvegarde du néo-libéralisme ravageur. L’enjeu est désormais de transformer le mouvement de contestation des choix européens et mondiaux en une force solide, crédible, de transformation sociale démocratique et écologique, et pour défricher les chemins d’une paix durable en Europe et ailleurs.
La gauche politique et syndicale, intellectuelle et associative doit porter les deux fers dans la plaie : lutter contre les bouleversements climatiques, c’est lutter contre les inégalités. Ce sont les plus fortunés et les actionnaires qui contribuent aux plus fortes émissions de gaz à effet de serre. Les moins fortunés et les pauvres sont les premières victimes des pollutions sonores, de la pollution de l’air, des méfaits d’une alimentation à bas prix. Avec toutes les conséquences que cela implique pour leur santé. Ils n’ont souvent pas le choix de leur lieu de vie, de leur alimentation, ni de leur lieu de travail.
Ils ont créé un fond pour la guerre, je propose un fond pour la justice sociale et climatique
Il est temps de créer à l’échelle de l’Union européenne, par-delà les traités européens, un fonds permettant d’accélérer partout l’isolation des bâtiments, de pousser à une mutation de l’agriculture en utilisant également, les crédits de la politique agricole commune pour la préservation du vivant. Il est temps de mettre les camions sur les trains, d’investir dans les énergies renouvelables et dans les mobilités collectives. Il est temps de construire en coopération avec les pays volontaires des projets industriels s’inscrivant dans cette indispensable transition écologique.
Même un économiste proche du président de la République se voit reprocher avec véhémence son idée de taxation infime du capital pour la transition environnementale. On voit ici à quel point la partie la plus radicale de la bourgeoisie n’est même pas capable d’entendre l’un de ses penseurs. Ils ont bien créé un fond commun européen pour la guerre. On peut donc créer un Fonds européen pour le développement de services publics pour la transition environnementale et le progrès social alimenté par la banque centrale européenne, un impôt sur le capital et une taxe sur les transactions financières.
La vie, pas le capitalisme « vert »
Ce qui est à l’ordre du jour, ce n’est pas un capitalisme vert, comme s’évertuent à le promouvoir les dirigeants européens, mais une transformation sociale et écologique. Une transformation du travail pour améliorer la vie humaine et l’environnement, une prise en main par les travailleurs eux-mêmes de leur travail, de son sens et de la nature de la production en lien avec le bien-être humain et environnemental général. Le verdissement du capitalisme ne modifie évidemment en rien les rapports de production, ni la stratégie productiviste extractiviste, colonialiste qui surexploitent, loin d’ici, des travailleurs au fond des mines pour fournir des composants rares nécessaires aux batteries des voitures électriques et les téléphones portables.
C’est ce chemin qui pourrait demain permettre d’apprécier à nouveau, des poissons dans les cours d’eau et les océans, la neige sur le toit des montagnes, la danse aérienne des oiseaux et leurs concerts matinaux, la reprise du ballet des abeilles, d’écouter le bruissement des feuilles dans les forêts, le ruissellement de l’eau des rivières, de parcourir les champs nourriciers aux couleurs des saisons, de sentir la biodiversité vivante.
Changer la trajectoire climatique est un impératif pour les générations qui viennent. Des mobilisations s’organisent. Elles mettent en cause le capitalisme mondialisé et appellent à son dépassement, pour préserver la vie et les communs. Nous en sommes !
Image par Matt Palmer sous Licence Unsplash.