ÉDITO. Interdire le voile dans le sport : ni laïque, ni féministe


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Le 18 février 2025, le Sénat adoptait en première lecture une proposition de loi visant à interdire le port du voile — et plus largement de tout signe religieux — dans les compétitions sportives. Sous couvert de « respect de la laïcité », cette mesure n’a rien d’un débat technique : c’est une offensive politique, ciblée, assumée, et dirigée contre une catégorie précise de femmes : les femmes musulmanes qui portent un voile. 

Ce vote n’est ni un accident, ni un malentendu. Il s’inscrit dans une succession de dérives où la laïcité a été instrumentalisée pour restreindre des libertés individuelles, et le féminisme convoqué pour servir à justifier l’exclusion.

Mais le plus sidérant et indigne dans cette affaire, est la position tenue dans ce débat par certains parlementaires communistes, à l’instar de Cécile Cukierman et Pierre Ouzoulias. Ces derniers ont repris à leur compte les discours de la droite la plus obsédée par le contrôle des corps – une position réitérée par Cécile Cukierman lors de sa récente interview dans l’émission Ça ira de L’Humanité1. Cela est d’autant plus dommageable que bien d’autres parlementaires communistes, à l’inverse, ont su tenir leurs positions. Sur le terrain, les militants communistes sont aussi nombreux à se tenir du côté des femmes, sans exclusive.

Depuis vingt ans, une partie de la gauche se range derrière les obsessions de la droite et des classes dominantes, adoptant leurs lois, leurs peurs et leur imaginaire colonial, persuadée que trahir ses principes lui rapportera des voix. Elle n’y a gagné que sa propre décomposition morale.

La loi de 2004, déjà soutenue et célébrée par une large partie de cette gauche, n’était pas un acte de laïcité mais d’exclusion : une mise au pas, une suspicion généralisée envers les jeunes filles qui portent un voile. Tout le monde savait ce que cela signifiait concrètement : on allait sortir de l’école celles qu’on prétendait protéger. Cette gauche l’a fait malgré tout, avec la droite et les éditorialistes qui dictent depuis leurs plateaux de télévision qui a le droit d’exister dans notre République. Il faut rappeler cependant que les parlementaires communistes, eux, votaient alors majoritairement contre cette loi2, conscients de la dérive discriminatoire qu’elle portait.

La même mécanique s’est répétée pour le burkini : un simple maillot de bain transformé en menace civilisationnelle, des policiers sommant des femmes qui portent un voile sur les plages de se déshabiller sur la place publique au nom de la liberté.

Ces prises de position ne sont ni féministes ni laïques : elles n’invoquent le féminisme que lorsqu’il s’agit de démolir la laïcité, et ne brandissent la laïcité que pour cibler et sanctionner des femmes. Cette double instrumentalisation brouille volontairement les principes, au lieu de les défendre. On invoque la laïcité pour justifier la suppression des droits des femmes qui portent un voile, on parle d’émancipation féminine pour légitimer une exclusion qui n’a rien de libérateur. C’est un mensonge : la loi de 1905 ne régule pas les vêtements, elle organise la séparation entre l’Église et l’État et protège la liberté de conscience. Le féminisme, quant à lui, ne peut être utilisé pour contrôler le corps des femmes.

Cette confusion sert de couverture morale à une politique de répression : faire passer la contrainte pour de l’égalité, la discrimination pour de la neutralité, et punir une catégorie de femmes au nom de la République. Nous refusons cette instrumentalisation. Nous refusons que l’émancipation soit détournée pour justifier l’exclusion.

Il est donc désolant de constater que Cécile Cukierman, Pierre Ouzoulias et ceux qui les suivent ne mènent pas une politique de gauche : ils reprennent, malheureusement, mot pour mot les positions de la droite. C’est une vieille histoire, celle d’une gauche incapable de voir les femmes qui portent un voile autrement que comme un problème à gérer, espérant gagner en respectabilité ce qu’elle a perdu en ancrage populaire.

Ironie suprême : celles et ceux qui prétendent parler au nom des femmes se sont coupés des dynamiques féministes des vingt dernières années. Car le mouvement féministe, lui, a appris. Il a regardé la réalité. Il a compris que l’égalité ne se construit pas en excluant, et que la liberté des femmes ne grandit pas sous la contrainte. Toutes les grandes organisations féministes ont intégré les réalités spécifiques des femmes qui portent un voile, trop souvent ciblées par l’État et ses relais. Elles savent que l’émancipation ne passe pas par la police des vêtements, ni en Iran ni en France.

Malgré les assauts répétés, les femmes qui portent un voile, comme celles qui n’en portent pas, restent au centre des luttes les plus fécondes, refusant l’humiliation et l’exclusion comme outils politiques.

Il est temps de cesser de protéger la gauche de ses propres renoncements. Il est temps de le dire clairement : punir une catégorie de femmes, ce n’est pas de gauche. Un féminisme qui exclut n’est qu’un vernis moral, posé sur un racisme crasse.

Nous nous tenons aux côtés de celles qu’on vise, qu’on contrôle, qu’on efface. Car depuis vingt ans, ce sont elles qui ont fait progresser nos luttes, pendant que d’autres piétinaient la République.


Image d’illustration : « Senate of France Amphitheater », photographie du 20 septembre 2009 par Jackintosh (CC BY-SA 3.0)

  1. https://www.youtube.com/watch?v=uaYWapvscPA ↩︎
  2. https://www.assemblee-nationale.fr/12/scrutins/jo0436.asp ↩︎
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