« L’espoir est un choix » : le discours de victoire de Zohran Mamdani


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Mardi 4 novembre, le candidat démocrate socialiste Zohran Mamdani a été triomphalement élu maire de New York avec plus de 50% des voix, ce malgré une campagne médiatique dans laquelle Donald Trump et ses amis milliardaires ont pesé de tout leur poids. Nos Révolutions propose en exclusivité son discours de victoire, traduit en français. Traduction par Hadrien Bortot.

« Merci infiniment. Le soleil s’est peut-être couché sur notre ville ce soir, mais comme l’a dit Eugene Debs, « Je vois poindre l’aube d’un jour meilleur pour l’humanité« .

Depuis aussi longtemps qu’on s’en souvienne, les riches, les bien nés, ont répété aux travailleuses et travailleurs de New York que le pouvoir n’était pas fait pour être dans leurs mains. Des doigts meurtris d’avoir porté des cartons dans un entrepôt. Des paumes durcies par les guidons des vélos de livraison. Des jointures marquées par les brûlures de cuisine. Ce ne sont pas des mains auxquelles on a permis de prendre le pouvoir. Et pourtant, au cours des douze derniers mois, vous avez osé viser plus haut.

Ce soir, contre toute attente, nous l’avons pris. L’avenir est entre nos mains.

Mes amis, nous avons renversé une dynastie politique. Je ne souhaite à Andrew Cuomo que le meilleur dans sa vie privée. Mais que ce soir soit la dernière fois que j’honore son nom, parce que nous tournons la page d’une politique qui abandonne le plus grand nombre et ne répond qu’aux intérêts de quelques-uns.

New York, ce soir vous avez donné un mandat pour le changement — un mandat pour une nouvelle manière de faire de la politique, un mandat pour une ville abordable, un mandat pour un gouvernement qui apportera exactement cela.

Le 1er janvier, je prêterai serment comme maire de New York. Et c’est grâce à vous. Donc, avant de dire quoi que ce soit d’autre, je dois dire ceci : merci.

Merci à la nouvelle génération de New-Yorkais qui a refusé que la promesse d’un avenir meilleur ne soit qu’un vestige du passé. Vous avez montré que lorsque la politique se fait sans condescendance, elle peut faire advenir une nouvelle ère. Nous nous battrons pour vous parce que nous sommes vous — ou, comme on le dit à Steinway, parce que vous faites partie de la famille.

Merci à toutes celles et ceux que la politique municipale oublie trop souvent, et qui ont fait de ce mouvement le leur. Je parle des épiciers yéménites, des grands-mères mexicaines, des chauffeurs de taxi, des infirmières sénégalaises, des cuisiniers trinidadiens, des “tantes” éthiopiennes. Oui, des tantes. À chaque New-Yorkais de Kensington, de Midwood, de Hunts Point, sachez-le : cette ville est la vôtre, et cette démocratie est la vôtre aussi.

Cette campagne est à propos de gens comme Wesley, un militant du 1199 que j’ai rencontré jeudi soir devant l’hôpital d’Elmhurst — un New-Yorkais obligé d’habiter ailleurs, qui fait deux heures de trajet matin et soir depuis la Pennsylvanie parce que les loyers sont trop chers ici. Elle est à propos de cette femme que j’ai rencontrée il y a des années dans le BX33, et qui m’a dit : « J’aimais New York, mais maintenant c’est juste l’endroit où j’habite. » Elle est à propos de Richard, ce chauffeur de taxi avec qui j’ai fait une grève de la faim de quinze jours devant l’Hôtel de ville, et qui doit toujours conduire son taxi sept jours sur sept. Mon frère, nous sommes à l’Hôtel de ville maintenant !

Cette victoire est pour eux. Elle est pour vous toutes et tous — les plus de 100 000 militant·es qui ont fait de cette campagne une force irrésistible. Grâce à vous, nous ferons de cette ville une ville où les gens qui travaillent peuvent à nouveau vivre et aimer vivre. À chaque porte frappée, chaque signature recueillie, chaque discussion difficile, vous avez grignoté le cynisme qui était devenu la marque de notre vie politique.

Je sais que je vous ai beaucoup demandé cette année. Encore et encore, vous avez répondu à mes appels… Mais j’ai encore une dernière chose à vous demander. New York, respire cet instant.

Nous avons vécu en apnée plus longtemps qu’on ne veut bien le dire. Nous avons retenu notre souffle dans l’attente d’une défaite annoncée. Nous l’avons retenu parce qu’on nous a coupé le souffle trop de fois pour qu’on les compte. Nous l’avons retenu parce que nous n’avions même pas le luxe de souffler.

Et ce soir, grâce à toutes celles et tous ceux qui ont tant donné, nous pouvons enfin respirer l’air neuf d’une ville qui se relève.

À mon équipe de campagne — celle qui y a cru quand plus personne n’y croyait, celle qui a pris une simple candidature et en a fait un mouvement — je ne pourrai jamais assez dire ma gratitude. Vous avez le droit de dormir, maintenant.

À mes parents, Maman et Papa, c’est vous qui avez fait de moi l’homme que je suis. Je suis si fier d’être votre fils. Et à mon épouse incroyable, Rama — habibi — il n’y a personne que je préfère avoir à mes côtés en cet instant, et dans tous les instants.

À chaque New-Yorkais, que vous ayez voté pour moi, pour l’un de mes adversaires, ou que vous ayez été trop déçus par la politique pour voter, merci de me donner l’occasion de mériter votre confiance. Je me lèverai chaque matin avec un objectif unique : rendre cette ville meilleure pour vous qu’elle ne l’a été la veille.

Beaucoup se disaient que ce jour n’arriverait jamais. Beaucoup craignaient qu’on soit condamnés à un futur rétréci, à chaque scrutin un peu plus étroit, un peu plus gris, toujours le même résultat pour les mêmes gens. D’autres se disaient que la politique était devenue trop dure, trop violente, pour que la petite flamme de l’espoir tienne encore.

New York, ce soir, nous avons répondu à tout cela. Ce soir, nous avons parlé d’une seule voix : l’espoir est vivant.

L’espoir, c’est un choix — le choix que des dizaines de milliers de New-Yorkais ont fait jour après jour, permanence après permanence bénévole, malgré toutes les attaques subies.

Plus d’un million d’entre nous se sont rassemblés dans nos églises, dans nos gymnases, dans nos centres communautaires pour inscrire leur voix dans le grand livre de la démocratie. Et même si nous avons glissé notre bulletin seuls, nous avons choisi l’espoir ensemble.

L’espoir plutôt que la tyrannie.

L’espoir plutôt que l’argent-roi et les petites idées.

L’espoir plutôt que le découragement.

Nous avons gagné parce que les New-Yorkais se sont autorisés à croire que l’impossible pouvait devenir possible. Et nous avons gagné parce que nous avons affirmé que la politique ne serait plus quelque chose qu’on nous fait, mais quelque chose que nous faisons.

En vous parlant ce soir, je pense aux mots de Jawaharlal Nehru : « Il est des moments, rares dans l’histoire, où nous quittons l’ancien pour le neuf, où une époque s’achève et où l’âme d’une nation, longtemps étouffée, trouve à s’exprimer ». Ce soir, nous avons quitté l’ancien pour le neuf.

Alors parlons maintenant avec une clarté et une détermination qu’on ne pourra pas déformer, de ce que cette nouvelle ère va apporter, et pour qui. Ce sera une ère où les New-Yorkais attendront de leurs dirigeants une vision audacieuse de ce que nous allons accomplir, et non plus une liste d’excuses sur ce que nous serions trop frileux pour tenter.

Au cœur de cette vision, il y aura le programme le plus ambitieux contre la crise du coût de la vie que cette ville ait connu depuis l’époque de Fiorello La Guardia. Un programme qui gèlera les loyers de plus de deux millions de locataires en loyer stabilisé, qui rendra les bus rapides et gratuits, et qui garantira un accueil de la petite enfance universel dans toute la ville. Dans quelques années, que notre seul regret soit que ce jour ait mis si longtemps à venir.

Cette nouvelle ère sera celle de l’amélioration continue. Nous recruterons des milliers d’enseignants supplémentaires. Nous couperons dans le gaspillage d’une bureaucratie obèse. Nous travaillerons sans relâche pour que la lumière se rallume dans les couloirs des ensembles de la New York Housing Authority, où elle vacille depuis trop longtemps. La sécurité et la justice avanceront ensemble : nous travaillerons avec les policiers pour faire reculer la criminalité, et nous créerons un Département de la sécurité communautaire qui prendra de front la crise de santé mentale et la crise du sans-abrisme. L’excellence deviendra la règle dans l’action publique, pas l’exception.

Dans cette nouvelle ère, nous refuserons de laisser celles et ceux qui vivent de la division et de la haine nous monter les uns contre les autres. Dans ce moment d’obscurité politique, New York sera la lumière.

Ici, nous croyons qu’on se lève pour celles et ceux qu’on aime. Que vous soyez immigré, membre de la communauté trans, l’une de ces nombreuses femmes noires que Donald Trump a licenciées d’un poste fédéral, une mère célibataire qui attend toujours que le prix des courses baisse, ou toute personne le dos au mur : votre combat est le nôtre.

Et nous bâtirons un Hôtel de ville qui reste fermement aux côtés des New-Yorkais juifs, qui ne fléchit pas dans la lutte contre le fléau de l’antisémitisme ; un Hôtel de ville où plus d’un million de musulmans savent qu’ils ont leur place : non seulement dans les cinq arrondissements de cette ville, mais aussi dans les lieux de pouvoir. New York ne sera plus jamais une ville où l’on peut faire campagne sur l’islamophobie et gagner une élection.

Cette nouvelle ère sera définie par une compétence et une compassion qu’on a trop longtemps opposées. Nous prouverons qu’il n’y a pas de problème trop grand pour que le gouvernement le résolve, ni de préoccupation trop petite pour qu’il s’y intéresse. Pendant des années, ceux qui siégeaient à l’Hôtel de ville n’ont aidé que ceux qui pouvaient les aider. Mais le 1er janvier, nous inaugurerons un gouvernement municipal qui aide tout le monde.

Je sais que beaucoup n’ont entendu notre message qu’à travers le prisme de la désinformation. Des dizaines de millions de dollars ont été dépensés pour redéfinir la réalité et convaincre nos voisins que cette nouvelle ère devait leur faire peur.

Comme si souvent, la classe des milliardaires a tenté de convaincre ceux qui gagnent 30 dollars de l’heure que leurs ennemis sont ceux qui gagnent 20 dollars de l’heure. Ils veulent que le peuple se batte pour que nous soyons distraits du travail de reconstruction d’un système brisé depuis longtemps. Nous refusons de les laisser fixer les règles du jeu. Ils joueront selon les mêmes règles que le reste d’entre nous. Ensemble, nous ouvrirons une génération de changements. Et si nous embrassons ce nouveau cap courageux au lieu de nous y soustraire, nous pourrons répondre à l’oligarchie et à l’autoritarisme avec la force qu’ils craignent, pas avec l’apaisement qu’ils réclament.

Après tout, si quelqu’un peut montrer à une nation trahie par Donald Trump comment le vaincre, c’est bien la ville qui l’a vu naître. Et s’il existe un moyen d’effrayer un démagogue aux abois, c’est de démanteler les conditions mêmes qui lui ont permis d’accumuler du pouvoir. Ce n’est pas seulement comme ça qu’on arrête Trump, c’est comme ça qu’on arrête le prochain.

Alors, Donald Trump, puisque je sais que vous regardez, j’ai trois mots pour vous : montez le son !

Nous demanderons des comptes aux mauvais propriétaires, parce que les Donald Trump de notre ville se sont installés dans le confort d’exploiter leurs locataires. Nous mettrons fin à la culture de la corruption qui a permis à des milliardaires comme Trump d’échapper à l’impôt et de profiter de niches fiscales. Nous serons aux côtés des syndicats et nous étendrons les protections du travail, parce que nous savons — tout comme Donald Trump le sait — que lorsque les travailleurs ont des droits en acier, les patrons qui veulent les faire plier se font très petits.

New York restera une ville d’immigrés — une ville bâtie par des immigrés, portée par des immigrés, et, à partir de ce soir, dirigée par un immigré. Alors écoutez-moi, Président Trump, quand je dis ceci : pour atteindre l’un d’entre nous, il faudra passer par nous tous.

Quand nous serons à l’Hôtel de ville dans 58 jours, les attentes seront élevées. Nous y répondrons. Un grand New-Yorkais a dit un jour qu’on fait campagne en poésie, mais qu’on gouverne en prose. Si cela doit être vrai, alors que la prose que nous écrirons continue de rimer. Bâtissons une ville brillante, pour tous.

Nous devons tracer une voie nouvelle, aussi audacieuse que celle que nous avons déjà suivie. Parce qu’en vérité, selon la sagesse conventionnelle, je suis loin d’être le candidat idéal. Je suis jeune — malgré tous mes efforts pour vieillir. Je suis musulman. Je suis socialiste démocrate. Et, pire que tout, je refuse de m’excuser pour cela.

Et pourtant, s’il y a bien une leçon à tirer ce soir, c’est que le respect des habitudes nous a retenus. Nous nous sommes trop longtemps prosternés devant l’autel de la prudence, et en avons payé le prix. Trop de travailleuses et travailleurs ne se reconnaissent plus dans notre parti. Et trop d’entre nous sont allés chercher à droite des réponses à leur mise à l’écart. Nous laisserons la médiocrité derrière nous. Nous n’aurons plus à ouvrir un livre d’histoire pour prouver que les démocrates peuvent oser être grands.

Notre grandeur ne sera pas abstraite. Elle se sentira chez chaque locataire en loyer stabilisé qui se réveillera le 1er du mois, sachant que le montant qu’il doit payer n’a pas explosé depuis le mois précédent. Elle se sentira chez chaque grand-parent qui peut rester dans la maison qu’il a payée, et dont les petits-enfants vivent à proximité parce que le coût de la garde d’enfants ne les a pas chassés jusqu’à Long Island. Elle se sentira chez la mère célibataire qui est en sécurité sur son trajet, et dont le bus va assez vite pour qu’elle n’ait pas à bâcler le dépôt des enfants à l’école pour arriver à l’heure au travail. Et elle se sentira quand les New-Yorkais ouvriront leur journal le matin et liront des titres de réussite, pas de scandale. Mais surtout, elle se sentira lorsque chaque New-Yorkais verra enfin que la ville qu’il aime l’aime en retour.

Ensemble, New York, nous allons geler les loyers.

Ensemble, New York, nous allons rendre les bus rapides et gratuits.

Ensemble, New York, nous allons garantir l’accueil de la petite enfance pour toutes et tous.

Que les mots que nous avons prononcés ensemble, que les rêves que nous avons rêvés ensemble deviennent le programme que nous réalisons ensemble.

New York, ce pouvoir est à vous.

Cette ville vous appartient. Merci.


Image d’illustration : « New York State Assemblymember Zohran Mamdani photographed in Assembly District 36, photographed by Kara McCurdy », photographie du 10 février 2024 par Karamccurdy (CC BY-SA 4.0) – image recadrée

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