ÉDITO. Loi Audiovisuel : l’indépendance des médias selon Rachida Dati


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Notre ministre de la Culture ne passe décidément pas une bonne semaine… Après sa mise en examen pour corruption dans l’affaire Renault, la saisine du Parquet de Paris de deux nouveaux signalements concernant des « oublis » dans sa déclaration de patrimoine, Rachida Dati se remet désormais de l’échec de la proposition de loi sur l’audiovisuel, rejetée ce lundi à l’Assemblée nationale. Cette réforme portée par le sénateur Laurent Lafon est devenue une véritable bataille personnelle pour Rachida Dati, qui s’accroche férocement au texte avant de se lancer dans la campagne pour la mairie de Paris.

En octobre dernier, les débats sur cette proposition de loi soutenue par le Premier ministre François Bayrou avaient fait sortir de ses gonds la ministre de la Culture, qui était allée jusqu’à menacer de « frapper » une administratrice de l’Assemblée nationale. Au sein de ce gouvernement, on respecte visiblement autant les travailleurs que les institutions…

Le point central de la proposition de loi est le projet de création d’une holding « France Médias », dont l’État serait actionnaire à 100%, chapeautant à la fois France Télévisions, Radio France et l’Ina. Elle aurait pour rôle de définir la stratégie, accélérer les coopérations et optimiser la répartition des moyens des trois groupes.

Né d’un rapport sénatorial d’il y a dix ans, ce projet de holding ne date pas d’hier. Porté en 2019 par le ministre Franck Riester, interrompu par la crise du COVID, repris ensuite depuis la nomination de Rachida Dati avant d’être de nouveau stoppé par la dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024, le texte est désormais surnommé la « réforme maudite ».

Le gouvernement, quant à lui, s’entête, et ce en dépit de l’opposition des syndicats. Rachida Dati défend pour sa part dans la création de cette holding une « BBC à la française », capable de rivaliser avec Netflix. Est-ce vraiment le but premier de l’audiovisuel public ? En réalité, une telle structure faciliterait la création de filiales et a, selon les syndicalistes, tous les caractères d’une fusion. Un fonctionnement pareil engendrerait sans surprise des baisses de moyens, et donc une attaque directe contre les emplois des 16 000 salariés.

Pourtant, l’audiovisuel public a déjà subi une réduction de son budget de 80 millions d’euros entre 2024 et 2025. Ce n’est pas assez pour Macron. Rachida Dati promet néanmoins que la réforme n’a pas « pour objet de faire des économies », mais qui peut encore croire en la parole du gouvernement ? C’est une véritable attaque contre l’indépendance des médias et la pluralité de l’information. A n’en pas douter, le président de cette holding sera soumis à des pressions politiques et économiques, bien loin d’une supposée liberté médiatique.

Nous savons pourtant combien les médias peuvent influencer la vie politique. Nous en avons des exemples criants aux États-Unis et en Russie, où le contrôle exercé par la classe politique sur la presse et la télévision ne laisse aucune place au débat contradictoire et alimente la propagation des idées d’extrême droite, voir manipule les élections. Nous ne sommes pas étonnés que la France de Macron suive le même chemin. Déjà dominé par l’empire Bolloré (dont la mainmise s’étend à plus de 50 médias), l’avenir de l’audiovisuel français est plus qu’alarmant. Aucun doute n’est laissé sur la volonté d’en confisquer toute l’indépendance, au profit d’une parole raciste et nationaliste toujours plus décomplexée.

En réponse, le principal syndicat de Radio France a lancé dès jeudi un mouvement de grève illimitée contre ce texte qu’il juge extrêmement dangereux. A France Télévisions et à l’Ina, les syndicats ont appelé à la grève lundi dernier. Nombre de parlementaires, en majorité à gauche, se sont organisés contre le texte, avec le dépôt d’une motion de rejet préalable par Cyrielle Châtelain, députée écologiste. L’objet de cette mesure, prévue à l’article 91 alinéa 5 du Règlement de l’Assemblée nationale, est de « faire reconnaître que le texte proposé est contraire à une ou plusieurs dispositions constitutionnelles ou de faire décider qu’il n’y a pas lieu de délibérer ». L’adoption d’une motion de rejet préalable entraîne donc le rejet du texte par l’Assemblée nationale.

Lundi dernier, la motion de rejet a ainsi été votée à 94 voix contre 38. C’est une véritable défaite pour Rachida Dati, abandonnée par les députés de la majorité présidentielle qui ont brillé par leur absence. Clémence Guetté, députée LFI-NFP, salue une « victoire pour les Français, qui préserve l’indépendance des chaînes de radio et de télévision ». Désormais, la proposition de loi doit refaire toute la navette parlementaire et revient donc au Sénat, avant d’être peut-être réexaminée à l’Assemblée à la fin de l’été.

En attendant, Dati, démission !


Image d’illustration : « Rachida Dati. Photo officielle de la Ministre de la culture en janvier 2024. », photographie par Laurent Vu / Ministère de la Culture et de la Communication (CC BY-SA 3.0 FR)

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