Par Patrick Le Hyaric.
Cet article du 30 mai 2023 est extrait de la lettre hebdomadaire de Patrick Le Hyaric. Cliquez ici pour lire la lettre de cette semaine en intégralité et ici pour vous y abonner.
Intervenant en Conseil des ministres à la suite d’une série de violences et de meurtres ces dernières semaines, le président de la République a cru judicieux d’utiliser le mot de « dé-civilisation ». Qualifier ainsi la période relève d’un détournement de sens et du gage donné à l’extrême droite. Comment, en effet, le garant des institutions peut-il décemment désigner du même vocable la mort de trois policiers par un chauffard en excès de vitesse, alcoolisé et sous l’emprise de stupéfiants ; le meurtre d’une infirmière par un patient suivi pour troubles psychiatriques ; des règlements de compte meurtriers successifs à Marseille par les milieux du banditisme et du trafic drogue, les violences en début de cortèges de certaines manifestations – qui, soit dit en passant, profitent bien au pouvoir – ; et des insultes et violences physiques contre des élus de la République.
Le trop grand mépris que doivent essuyer les élus se nourrit encore plus du ressentiment suscité par sa contre-réforme des retraites. Et le maire de Saint Brévins-les-Pins, s’il a été harcelé et victime d’un incendie criminel, c’est par l’extrême droite paradant et mobilisée contre l’accueil de demandeurs d’asile. D’autres maires font l’objet de mêmes pressions, menaces et violences de la part de ces proto-fascistes qui gagnent chaque jour pignon sur rue sans que le pouvoir s’en émeuve. Répétons-le ! Aucune de ces violences, de ces meurtres, dégradations d’édifices publics, d’incivilités routières n’est tolérable. Pas plus que le harcèlement des femmes, dans la rue comme ailleurs, le racisme, l’antisémitisme et l’islamophobie. Caractériser de « dé-civilisation » un chapelet de faits de violences qu’il faut évidemment condamner, aboutit à structurer un récit prolongeant les campagnes sur l’insécurité, l’immigration ou le « séparatisme ». Le président de la République ne fait que troquer par un autre, les mots « d’ensauvagement » ou de « barbarie » familiers aux droites extrêmes. Ce n’est ni un appel au civisme, ni à la responsabilité, mais la reprise d’une théorie de « la déchéance civilisationnelle » qui menacerait la France dans ses fondements et son être. Curieux et inquiétant rapprochement avec les discours du sinistre Zemmour, empruntés à Charles Maurras, déclarant que « la question civilisationnelle est l’enjeu des prochaines années ». Les applaudissements bruyants de Le Pen, éructant de joie qu’« Emmanuel Macron vient une fois de plus de donner raison au Rassemblement national », devraient alerter. La patronne de l’extrême droite a vite été suivie par l’ultra droitier vendéen, M. Retailleau, dénonçant « une haine de cette civilisation que certains veulent nourrir dans l’Occident ». Le même qui avait qualifié les manifestations du 1er mai de « spectacle de décivilisation ». Ce mot-concept, ainsi utilisé, permet de détourner une nouvelle fois le regard de la violente bataille de classe menée par les classes dirigeantes contre la classe ouvrière et tous les travailleurs. Le président déplace volontairement le débat pour faire accepter les tensions au travail aliéné, le chômage et la précarité, les hausses de prix pour le profit d’une minorité de possédants, les discriminations de toute sorte et la violence infligée à toutes celles et ceux qui vont devoir travailler deux années de plus alors qu’ils et elles sont éreintés avant 60 ans. Pendant ce temps, les puissants pavoisent. On a ainsi pu entendre des actionnaires de la firme Total malmenés par une manifestation à l’occasion de leur Assemblée générale pavoiser sur la nécessité de respecter « la démocratie actionnariale », avant de voter une augmentation de 10 % de la rémunération de leur premier dirigeant. Le même qu’ils ont encouragé à poursuivre l’extraction d’hydrocarbures en pillant des pays africains et en faisant fi des recommandations pour combattre les bouleversements climatiques. Ce groupe pétrolier est bien le symbole d’une « dé-civilisation ». Mais c’est une dé-civilisation capitaliste » qui mène notre humanité vers l’abîme. De cela, l’hôte de l’Élysée ne parlera jamais ! Son opération vise la diversion pour taire les combats contre la loi des 64 ans, les conditions drastiques imposées pour percevoir le revenu de solidarité active, la destruction du droit du travail, les pressions pour ne pas augmenter les salaires ou les revenus paysans. Toutes ces régressions saupoudrées d’un discours aussi creux que dépourvu d’actes sur la transition écologique. Et pour cause ! Le pouvoir accepte le laminage de notre fret ferroviaire, détourne la législation européenne sur les pesticides bétonne de bonnes terres agricoles pour construire le « grand Paris ». C’est la régression sociale, écologique, démocratique le saccage de l’héritage des Lumières, les coups de hache contre l’égalité des droits et l’intégration sociale qui entaillent notre humanité commune. Ce détournement s’opère alors que la droite des « Républicains » et Darmanin préparent un covoiturage pour défendre, de mèche, un projet de loi inique sur l’immigration. Loin de porter en avant « la civilisation », nous sommes confrontés à une politique répondant aux orientations de l’extrême droite qui souhaite hiérarchiser les êtres humains selon leurs origines, leurs apparences, leurs croyances, leur sexe, leur genre. À l’opposé total des penseurs qui ont utilisé ce terme pour dénoncer les idéologies fascisantes, l’inégalité entre les êtres humains et la hiérarchie des humanités, le colonialisme et l’acceptation de la domination de classes des puissants. Qu’ils sont loin les Norbert Elias, Lucien Sève ou Aimé Césaire dénonçant le fait colonial qui « à n’importe quel moment peut déboucher sur la négation pure et simple de la civilisation ». Le mot organise ainsi un détournement des justes colères populaires pour les jeter contre l’épais mur des pires régressions sociales et des haines. En y participant, le président de la République élargit le boulevard où s’avance l’extrême-droite et désarme tous les républicains.
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