Crise démocratique : Macron doit être le dernier président de la Cinquième République !


Le parti-pris de Nos Révolutions (discuté le 13 mai 2023)

La réforme des retraites qui a mis le feu au pays ces trois derniers mois est arrivée dans un contexte particulier. D’un côté, l’inflation, l’assèchement des services publics et la dégradation de l’emploi plongent des millions d’entre nous dans une difficulté sociale accrue, tandis qu’une poignée d’ultra-riches exhibe un luxe indécent entre résidences et hôtels pharaoniques, allers-retours en jets privés et même tourisme spatial. De l’autre, le souvenir du Covid est encore frais dans les mémoires ; chacun se souvient des volumes d’argent débloqués par simple décision politique – « quoi qu’il en coûte », chacun se souvient de celles et ceux que l’on désignait comme « personnels essentiels » et que l’on piétine à nouveau aujourd’hui. Dès lors, les privations semblent non seulement injustes, mais déraisonnables, cruelles, sadiques. Plus personne n’est prêt à entendre le discours idéologique qui a longtemps permis l’adoption des réformes des retraites : l’argent manque, chacun doit faire un effort, les régimes spéciaux sont des privilèges indus, etc.

Un nouveau seuil dans la crise démocratique

La mobilisation syndicale et l’opposition parlementaire ont donc immédiatement trouvé un soutien populaire massif, majoritaire, historique. Le pays tout entier s’est dressé contre la réforme conçue par Emmanuel Macron ; chacun s’est senti agressé, parce que tous l’étaient. Cette situation d’extrême isolement politique a contraint le pouvoir à multiplier les brutalités anti-démocratiques :

  • Contre le parlement, avec la présentation de la réforme déguisée en Projet de loi de financement rectificatif de la Sécurité sociale, permettant de déclencher les articles 47-1 et 49-3 de la Constitution.
  • Contre le mouvement social, avec les réquisitions subies par les grévistes et les diverses entraves au droit de grève, et la violence policière qui a frappé les manifestations, à Paris comme à Sainte-Soline.
  • Contre le corps électoral, avec le sabotage, par le Conseil Constitutionnel, de la perspective d’un référendum.

Quelques semaines plus tard, l’extrême brutalité des politiques mises en œuvre à Mayotte est venue compléter le tableau sinistre de ce basculement autoritaire.

En mettant la totalité des institutions au service de son agenda politique, l’exécutif a ainsi donné un coup d’accélérateur spectaculaire à la crise politique qui s’enracine depuis plus d’une décennie et que les dernières élections législatives ont pleinement mis en lumière. L’appareil d’État, que l’on présentait jusqu’alors comme le véhicule de la volonté démocratique du peuple, est soudainement apparu pour ce qu’il est : un instrument de domination au service d’une seule classe. Des millions de Français ont donc été amenés à prendre position au sujet du pouvoir politique, non seulement au sens étroit du changement de personnel politique (« Macron démission ! »), mais également au sens plus profond du changement de régime (« Vite la VIe République ! »), c’est-à-dire de la conquête de l’État par le peuple. Naturellement, les risques ouverts par cette crise institutionnelle sont proportionnels aux opportunités révolutionnaires qu’elle offre : ils sont immenses. En particulier, les différentes nuances de l’extrême-droite font planer la menace d’un véritable « retour à l’ordre » réactionnaire.

Faire face à l’intimidation

Nous entrons à présent dans une nouvelle phase. Depuis plus d’un mois il est clair que le gouvernement est décidé à ne pas céder, et qu’aucune institution de l’État (Parlement, Conseil constitutionnel…) n’est en mesure d’organiser de compromis. Le contexte dans lequel le mouvement social a obtenu le retrait du Contrat Première Embauche (2006) n’existe plus. Sur fond de crise internationale lourde, le pouvoir ne se préoccupe plus, ni d’être soutenu une fois l’élection présidentielle passée, ni d’obtenir le consentement des populations. Il faut avoir le courage de dire ce que chacun a compris : à présent, seul un renversement général peut permettre le retrait de la réforme.

Un tel constat, dans un premier temps, est intimidant. La question du pouvoir politique et de la classe qui l’exerce ne s’est jamais posée sérieusement, en France, depuis la Libération. Les générations nées après 1968 – les plus nombreuses – ne l’ont même jamais vu vaciller. Il s’agit d’un défi vertigineux, auquel personne n’est préparé. Cette impréparation compte pour beaucoup dans les difficultés rencontrées par la grève nationale, moins ample aujourd’hui qu’en 2019 malgré un soutien populaire plus large. Plus généralement, elle compte aussi pour beaucoup dans le moment de stupeur qui a accueilli le déclenchement de l’article 49-3 le 16 mars, puis chacune des provocations anti-démocratiques suivantes.

Souvenons-nous qu’en 2018/2019 déjà, après une première phase particulièrement prometteuse, les gilets jaunes, confrontés à une situation analogue, ont fini par se désagréger. Sous l’effet du choc, perdant de vue l’horizon de leur combat, les uns se sont découragés, les autres se sont isolés. Ces moments de désorientation, d’amertume, de décomposition sont précisément ceux qui permettent à l’extrême-droite de prospérer. La manifestation néo-nazie du 6 mai dernier, organisée avec la complaisance du Ministère de l’Intérieur, nous l’a à nouveau montré.

Il importe donc, avant toute chose, de gagner les consciences à cette idée simple : ce qui est à l’ordre du jour, au lendemain de ce naufrage démocratique, est la VIe République.

Questions stratégiques, questions pratiques

Naturellement, il ne faut pas prétendre qu’un nouveau pouvoir réglerait tous les problèmes par magie. Il serait confronté à des difficultés considérables, la crise léguée par Macron et l’hostilité instinctive des institutions capitalistes internationales n’étant pas les moindres. Ce mot d’ordre doit être vu à la fois comme un point de départ, et comme une urgence : changer de régime, ici et maintenant, sans quoi comme chacun l’a compris, la Ve République finira son agonie dans le lepénisme. Trois défis en découlent immédiatement :

  1. Nouer des liens organisés étroits permettant la coordination et l’amplification des différentes composantes de la lutte, aujourd’hui largement morcelées : grèves et défilés syndicaux, manifestations spontanées de la jeunesse, casserolades accueillant les ministres en déplacement, activité des groupes parlementaires de la NUPES, ronds-points, banlieues, positionnements d’intellectuels, etc.
  2. Susciter l’implication de millions de Français dans la discussion stratégique, au niveau le plus élémentaire possible. La première phase du mouvement des Gilets Jaunes (durant l’automne 2018) a montré l’importance du débat à bâtons rompus pour la formation de la conscience collective et de l’initiative populaire. Cette effervescence politique fait défaut aujourd’hui.
  3. Chercher à vaincre le recours à la force policière dans tous les espaces du mouvement social, manifestations, entreprises en grève, zones autonomes. Une foule de plusieurs millions de personnes est naturellement plus forte, et plus légitime, qu’un mur policier – mais il ne suffit pas de le dire, il faut aussi que ces millions de personnes s’approprient cette idée, en fassent l’expérience, apprennent à exercer cette force légitime, aussi pacifiquement que possible. À cet égard, si la violence dans les manifestations est, avant tout, provoquée par l’attitude des préfectures, la manière dont le mouvement social choisit de s’y confronter procède d’une question stratégique. Elle doit être évaluée à chaque fois en fonction des avancées ou des reculs qu’elle occasionne dans les consciences, et non comme un fétiche qu’il faudrait défendre ou condamner dans l’absolu. Ainsi, au-delà du débat stratégique et des modalités d’action privilégiées par les uns ou par les autres, nous affirmons notre solidarité avec les différentes composantes de notre camp social, et rejetons ce qui nuit à cette solidarité.

Naturellement, le gouvernement, sentant le sol se dérober sous ses pas, cherche à semer la confusion – à atténuer l’antagonisme. Sous une forme ou sous une autre, il trouvera des motifs pour appeler à la concorde. C’est déjà cette méthode qui lui a permis de flouer la mobilisation populaire lors du premier quinquennat. Ainsi, les fractures nées du mouvement des Gilets Jaunes et de la première réforme des retraites se sont-elles graduellement diluées dans l’ambiance œcuménique de la pandémie puis de la guerre en Ukraine – il y eut même des parlementaires de gauche radicale pour appeler à ce que l’Otan ne soit pas mis en cause tant que la guerre durerait. Il est toujours difficile de braver l’opinion publique mais, bien que ces moments touchants de réconciliation des classes ne durent jamais éternellement, ils nous font perdre beaucoup de temps et beaucoup de forces. C’est bien pourquoi, au mois de septembre dernier, Macron a de nouveau caressé le rêve d’un gouvernement d’union sacrée, suscitant au passage quelques vocations.

La dissipation de ces illusions implique que la prise de conscience s’enracine aussi profondément que possible, dans la vie quotidienne du plus grand nombre possible de gens. Ainsi, toutes les occasions permettant d’obliger le gouvernement à tomber le masque, à montrer quelle est véritablement sa considération pour la démocratie doivent être mises à profit. Il s’agit par exemple d’utiliser les niches parlementaires ; celle des députés communistes, le 4 mai, a d’ores et déjà joué ce rôle, et celle du groupe LIOT, le 8 juin, en se proposant d’abroger la réforme des retraites, aura une ampleur particulière. Espérons d’ailleurs qu’une manifestation puissante accompagnera cette journée importante. Mais plus généralement, la persistance de cette fracture démocratique dépend de tous les moments où se manifeste l’arbitraire et l’autoritarisme du pouvoir : violence policière, pression sur les médias, affaires financières, etc. Il faut prendre appui sur ces moments pour amplifier systématiquement la colère et la conviction qu’un nouveau régime est devenu indispensable.

Dans cet esprit, nous appelons à ce que la discussion sur l’exigence d’une nouvelle république prenne de l’ampleur dans la période qui vient, au sein des forces en lutte mais également des populations qui s’interrogent. Cela passe par la réunion d’assemblées publiques débattant librement de ces problèmes – si besoin, de manière contradictoire. Nous savons en effet que différentes approches co-existent, à gauche et dans le mouvement social. Pour nous, il n’y a pas de solution progressiste à la crise sans remettre le pouvoir au peuple : la revendication d’un Référendum d’initiative citoyenne (RIC), que les Gilets jaunes ont ardemment défendu, ainsi que l’appui populaire à la motion de censure et l’appel à la démocratie sociale dans le mouvement contre la réforme des retraites, constituent d’ores et déjà des points d’appui essentiels.

David Arabia
Josselin Aubry
Chloé Beignon
Aurélie Biancarelli-Lopes
Hugo Blossier
Hadrien Bortot
Sophie Bournot
Marie-Pierre Boursier
Julien Cazeneuve
Juan Francisco Cohu
Youssef Darkaoui
Nicolas Defoor
Manel D.
Rosa Drif
Anaïs Fley
Théo Froger
Nadine Garcia
Laureen Genthon
Nina Goualier
Antoine Guerreiro
Marie Jay
Noâm Korchi
Frank Mouly
Hugo Pompougnac
Katia Ruiz
Bradley Smith
Alix Vinçont

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Image par IAEA Imagebank sous licence CC BY 2.0. Photographie originale retouchée.


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