Depuis plusieurs semaines les leaders de la gauche radicale états-unienne, le sénateur Bernie Sanders et la membre du Congrès Alexandria Ocasio-Cortez, ont lancé le ‘Fight Oligarchy Tour’, et rencontré des dizaines de milliers de citoyen·nes américain·es désireux de riposter au trumpisme.
Cet enthousiasme et cette combativité populaires tranchent avec la passivité des hiérarques libéraux du Parti démocrate, complètement transparents depuis le retour de Trump à la Maison Blanche. Solidaire des luttes outre-Atlantique, Nos Révolutions propose ici la traduction in extenso1 du discours d’AOC, prononcé le 12 avril lors du meeting de Los Angeles.
Alexandria Ocasio-Cortez : « Pour vaincre Trump, nous devons démanteler le système qui l’a créé »
« Bonsoir Los Angeles ! Comment ça va ? [Applaudissements]
Merci, merci, merci infiniment à vous tous d’être ici aujourd’hui. Je veux remercier chacun et chacune d’entre vous d’avoir fait l’effort d’être présent·e.
Et rapidement, je voudrais également remercier certains des excellents membres du Congrès qui nous ont rejoints aujourd’hui : Judy Chu, Nanette Barragán, Gil Cisneros, Jimmy Gomez, Sydney Kamlager-Dove, Luz Rivas. Bien sûr, vous avez aussi entendu Pramila Jayapal et Ro Khanna plus tôt dans la journée. Merci à eux !2
Je m’appelle Alexandria, certains me connaissent sous le nom d’AOC, et du fond du cœur : merci de m’avoir accueillie à Los Angeles. Et joyeuses Pâques à toutes celles et ceux qui célèbrent ce week-end.
Nous sommes ici tous ensemble parce que nous partageons la frustration et la douleur de voir ceux qui ont le pouvoir détruire ou refuser de défendre les Américains ordinaires comme nous. Nous sommes ici parce qu’une concentration extrême de pouvoir, de cupidité et de corruption est en train de s’emparer de ce pays comme jamais auparavant. C’est l’oligarchie en Amérique.
Et nous devons reconnaître la gravité du moment que nous vivons. Ce que nous entendons et voyons de nos propres yeux est bel et bien réel. Nous voyons nos voisins, nos étudiants, nos amis se faire licencier, cibler, disparaître. C’est réel. Des personnes que nous aimons sont harcelées parce que trans ou queer. Nos collègues, citoyens américains comme immigrés, sont enlevés dans la rue par des hommes en van, sans uniforme.
Des enseignants sont renvoyés pour avoir enseigné fidèlement l’histoire américaine. Des militants sont détenus sans accusation ni preuve, uniquement pour avoir exercé leurs droits du Premier Amendement — en particulier lorsqu’ils les exercent pour défendre les Palestiniens. [Applaudissements]
En fait, l’administration Trump admet avoir emprisonné Mahmoud Khalil, un jeune père de famille de New York, sans aucune preuve ni accusation. Elle reconnaît l’avoir jeté dans une cellule à des milliers de kilomètres pour avoir participé à une manifestation — et simplement pour ce qu’il a dit, rien de plus !
C’est, en réalité, profondément anti-américain. Et nous exigeons sa libération, ainsi que celle de Rumesa Ourk, également détenue pour avoir écrit une tribune dans le journal de son école3.
Et nous exigeons leur libération parce que nous, Los Angeles, nous avons du pouvoir. Vous en avez fait la démonstration cette semaine. Il y a quelques jours, des agents de l’ICE ont tenté d’entrer dans deux écoles de Los Angeles pour cibler des enfants. [Applaudissements] Ils ont menti aux équipes éducatives, affirmant avoir l’autorisation parentale — ce qui était faux4.
Mais ce n’est pas un juge ou un avocat qui les a arrêtés. Tout a commencé avec des gens ordinaires — le personnel scolaire, les employés — qui ont senti que quelque chose clochait. Ce sont les enseignants et les directeurs qui ont tenu bon, qui ont dit non, pour protéger les enfants. Alors qu’il aurait été plus facile de céder par peur, vous les avez défendus, LA.
Parce que ce ne sont jamais seulement les institutions ou les responsables qui protègent notre démocratie. Ce sont les gens. Les masses. Ceux qui refusent de se soumettre aux régimes autoritaires. Ce sont eux, la dernière et la plus forte défense de notre pays et de nos libertés. Parce que nous savons, Los Angeles, qu’un monde meilleur est possible. Et nous sommes prêts à agir.
Mais pour cela, il faut dire la vérité sur ce qui nous a menés là. Ce moment n’est pas tombé du ciel. Il est le fruit d’un long processus. La destruction de nos droits et de notre démocratie est directement liée à l’aggravation des inégalités de richesse qui s’accumulent depuis des années.
Ce n’est pas une coïncidence si des milliardaires comme Elon Musk ont injecté des milliards dans cette élection pour faire élire Trump. Et croyez-moi, LA, il ne fait certainement pas ça par charité.
Depuis des années, nous savons que la domination de l’argent et des milliardaires sur notre système politique progresse. Encore et encore, nous avons vu notre gouvernement et nos lois se soumettre aux lobbyistes plutôt qu’à la volonté du peuple.
Et nous savons aussi que l’agenda du « dark money », cet argent opaque, vise à maintenir les salaires bas, à piller nos biens publics pour les offrir aux plus riches. Et cela, les gens de tous bords, de tous partis et de toutes origines le rejettent massivement.
Regardez ce que les Républicains font discrètement au Congrès : cette semaine, ils ont voté des coupes de centaines de milliards de dollars dans Medicaid, dans les aides aux anciens combattants, dans la Sécurité sociale — pour pouvoir offrir des réductions fiscales et des contrats publics juteux à des entreprises comme SpaceX. [Applaudissements]
Et savez-vous qui, en Californie, a voté pour ça ? David Valadao (district 22), Young Kim (district 40) et Ken Calvert (district 41)5. Ils savent que ce n’est pas ce que vous voulez. Ils savent que c’est impopulaire. Ils savent que cela vous nuit. Mais ils ne sont pas là pour vous servir. Ils sont là pour se servir eux-mêmes et pour servir les milliardaires qui les financent.
Ils savent que la seule chance de faire passer un programme aussi impopulaire, c’est de nous diviser. Diviser selon la race, l’identité, la culture. Nous pousser à nous battre entre nous pour détourner notre attention. C’est la stratégie du Big Money depuis des décennies.
Voilà pourquoi Donald Trump n’est pas une aberration. Il est la conséquence logique, inévitable, d’un système politique américain dominé par l’argent des grandes entreprises et des fortunes opaques. [Applaudissements]
Et si nous voulons le vaincre, nous devons démanteler le système qui l’a créé. L’argent en politique, c’est la main de l’oligarchie, Los Angeles.
Et nous sommes à un carrefour. Soit nous acceptons une inégalité extrême, accompagnée de divisions toxiques et de corruption, soit nous construisons une économie équitable avec des soins de santé pour tous, une démocratie réelle et des libertés garanties. Oligarchie ou démocratie. Mais nous ne pouvons pas avoir les deux.
Los Angeles, j’ai fait mon choix : nous devons combattre l’oligarchie qui a engendré ce cauchemar. Et c’est pourquoi je n’ai jamais pris un centime des lobbys ou des grandes entreprises — et je ne le ferai jamais.
Quand je suis arrivée au Congrès, même après avoir mené campagne contre l’argent noir, j’ai été choquée par la normalité de cette corruption quotidienne. Le fait que des élus, qui prêtent serment au peuple américain, puissent faire du trading d’actions individuelles — et s’enrichir grâce aux informations sensibles auxquelles ils ont accès — est accepté, normalisé.
Comment quelqu’un qui investit de l’argent dans les entreprises pharmaceutiques, pétrolières ou de défense peut-il voter objectivement sur la santé, l’énergie ou la guerre ? Il ne peut pas, et vous ne pourriez pas non plus.
Nous l’avons vu cette semaine encore, avec le scandale des tarifs douaniers de Trump : ce n’était pas une stratégie industrielle, c’était une manipulation de marché. Un moyen d’appauvrir les retraités et les familles ordinaires, pendant que ses amis s’enrichissaient en spéculant.
Donald Trump est un criminel. Condamné pour 34 chefs d’accusation de fraude. Bien sûr qu’il manipule aussi les marchés boursiers. Son objectif, c’est de s’enrichir lui-même, d’enrichir les milliardaires qui le soutiennent, et les élus qui spéculent avec lui. Pas vous. Pas nous. Pas le peuple.
Et soyons clairs : peu importe votre parti, démocrate ou républicain, peu importe votre fonction — qu’un élu puisse posséder et échanger des actions individuelles, c’est inacceptable. Il faut y mettre fin. Il faut l’interdire.
Je vais vous donner un autre exemple, pour vous montrer à quel point tout cela est choquant — et banalisé. Quand j’ai été élue pour la première fois, cette année, j’ai été nommée à une des commissions les plus puissantes du Congrès : la commission de l’Énergie et du Commerce. Elle supervise les deux tiers de l’économie américaine : la santé, l’énergie, la technologie, le commerce. Comme on dit ici : si ça bouge, c’est de l’énergie. Si ça ne bouge pas, c’est du commerce.
Et devinez quoi ? Le jour même de ma nomination, nos téléphones ont explosé. Nos boîtes mails ont été inondées. Tous les lobbys d’entreprise voulaient devenir mes meilleurs amis.
Mais vous savez quoi, Los Angeles ? Grâce à votre soutien, grâce à votre présence, grâce au fait que je n’ai pas à accepter un seul dollar d’argent des entreprises, vous me permettez de dire non.
Mais tout le monde n’a pas cette chance. J’ai vu de mes propres yeux comment ces groupes harcèlent et mettent la pression sur les membres du Congrès, menaçant de leur couper les financements — ou de financer leurs adversaires — s’ils n’obéissent pas.
Et ce qu’ils veulent, c’est que nos vies soient les plus chères possible, avec les salaires les plus bas possibles.
Tout ça se traduit par ce que nous vivons aujourd’hui, en tant que travailleurs. Ce sentiment d’être submergés, l’eau qui monte jusqu’à nos gorges. L’impression qu’on ne peut rien s’offrir sans difficulté. La peur de s’exprimer. Cette division amère et toxique, entretenue par les algorithmes des réseaux sociaux plus que par nos propres pensées. L’effondrement de nos droits, de nos protections.
C’est ça, être gouverné·es par des milliardaires. C’est ça que ça fait, l’oligarchie. Et ce ne fera qu’empirer, tant que nous n’agirons pas.
C’est ce système — qui s’appuie sur la division pour faire passer la cupidité dans la loi — qui nous a livré l’administration la plus corrompue de l’histoire américaine, soutenue par une majorité républicaine.
C’est l’argent qui a fait émerger Donald Trump. Toute sa présidence a commencé avec des outils de corruption : cryptomonnaies douteuses, blanchiment d’argent dans l’ombre, accords extorqués à des médias ou cabinets juridiques qui ont préféré payer. Le jour même de son investiture, Trump a fait expulser des élus légitimement en fonction pour faire place à ceux qui tirent vraiment les ficelles.
Et ceux qui sont vraiment aux commandes, ce sont les milliardaires qui étaient assis juste derrière lui.
Ils ont une mission économique centrale : rendre les milliardaires encore plus riches, au détriment du peuple américain.
Il n’est pas étonnant que leur toute première mission ait été de s’attaquer à Medicaid, Medicare, à la Sécurité sociale, de licencier des fonctionnaires, d’abandonner nos anciens combattants — pour ensuite transférer tout cet argent à leurs financiers milliardaires.
Mais cela ne concerne pas que les attaques des républicains contre les travailleurs. À Los Angeles, nous avons aussi besoin d’un Parti démocrate qui se bat plus fort pour nous.
Et cela signifie que nos communautés, nous toutes et tous, devons nous rassembler, choisir et élire des démocrates et des responsables politiques qui défendent véritablement les classes populaires.
Et je veux vous remercier, LA, pour le travail acharné que vous avez fourni pour essayer de rendre cela possible. Le mois dernier, alors que d’autres démocrates ont cédé, vos sénateurs, Alex Padilla et Adam Schiff, ont résisté à la pression de Washington et ont voté contre le budget républicain qui coupait des milliards pour les travailleurs. En fait, tous vos représentants démocrates ici présents ont voté contre ce projet de loi aussi. Défendez-les, LA. Et n’en restez pas là.
Regardez chaque niveau de pouvoir autour de vous, et soutenez des démocrates qui se battent réellement. Ce sont ceux-là qui peuvent battre les républicains. Alors vous savez ce que cela signifie : il faut s’y mettre dès maintenant. Donnons leur congé à David Valadao, Young Kim et Ken Calvert, et remplaçons-les par des démocrates combatifs, qui défendront les travailleurs de Californie.
Mais au-delà des élections, LA, notre tâche est de construire du lien. Des associations de quartier. Des groupes de bénévoles. Des communautés religieuses. Des conseils de parents d’élèves. Des collectifs militants. Parce que la communauté est la brique la plus puissante pour résister à l’autoritarisme et éradiquer la corruption.
C’est cette voie qui nous permettra de garantir l’accès à la santé pour tous les Américains, d’instaurer un salaire minimum vital, de s’attaquer à l’explosion des loyers et des emprunts immobiliers, de répondre à la crise climatique, et de bâtir un pays où le rêve américain peut redevenir une réalité pour toutes et tous.
Je viens d’une famille ouvrière. Ma mère faisait des ménages. Mon père a lancé une petite entreprise. Ils ont travaillé dur pour que la vie soit un peu plus facile pour mon frère et moi.
Quand j’étais adolescente, mon père a été diagnostiqué avec un cancer. Il est décédé avant que j’aie 20 ans. Et tout s’est effondré pour nous, en pleine récession de 2008. Beaucoup d’entre nous vivent ainsi : à une mauvaise journée, un accident, une mauvaise nouvelle près de tout perdre.
Nous n’avons plus à vivre comme ça, Los Angeles. Nous pouvons nous soutenir les uns les autres. Nous pouvons nous défendre. Nous venons peut-être d’endroits différents, mais nous partageons les mêmes expériences.
Alors, à toutes celles et ceux qui sont venus ici aujourd’hui en se demandant s’ils avaient leur place ici, je veux vous dire : vous l’avez. Peu importe si vous avez les bons mots. Peu importe votre race, votre religion, votre genre, votre statut. Même si vous n’êtes pas d’accord avec moi sur tout.
Si vous êtes prêt·e à vous battre pour quelqu’un que vous ne connaissez pas, vous êtes les bienvenu·es ici. Si vous êtes prêt·e à vous battre pour les travailleurs, peu importe qui ils sont, vous êtes les bienvenu·es ici. Parce qu’ici, tout le monde compte.
Mais nous devons rester uni·es. Nous ne devons pas céder à la tentation de dénoncer nos voisin·es, ni croire que nous sommes si différent·es d’un·e jeune trans qui veut juste être accepté·e par ses ami·es, ou d’un·e étudiant·e sans-papiers qui travaille dur pour aller à l’université et subvenir aux besoins de sa famille.
Nous ne sommes pas si différent·es de toutes ces personnes que l’on voudrait nous faire craindre. La haine est un piège qui nous tire tous vers le bas.
Et c’est en restant ensemble, sans exception, pour refuser la division, que nous pourrons gagner. C’est la seule façon de gagner. Alors j’espère que vous voyez que ce mouvement n’est pas une question d’étiquettes partisanes ou de tests de pureté. C’est une question de solidarité de classe.
C’est à propos de vous, des milliers de personnes venues ici aujourd’hui, pour vous tenir côte à côte et affirmer que nos vies méritent la dignité, et que notre travail mérite le respect, peu importe qui nous sommes.
Nous sommes ici pour faire une promesse sacrée les un·es aux autres. Notre objectif aujourd’hui est de nous engager à construire le pays que nous méritons toutes et tous. Et nous tiendrons cette promesse : celle de prendre soin les un·es des autres dans les pires moments, et de célébrer ensemble nos meilleures victoires.
Merci infiniment, Los Angeles. Et c’est pour moi un honneur, ici aujourd’hui, de vous présenter quelqu’un qui a consacré sa vie à nous rassembler. Alors faisons du bruit, et soyons reconnaissant·es, car le sénateur Bernie Sanders est dans la salle ! Viens, Bernie ! »
À suivre, vendredi 18 avril sur Nos Révolutions : Le discours de Bernie Sanders
- Traduction par Hadrien Bortot, assistée par Intelligence Artificielle. ↩︎
- Judy Chu, Nanette Barragán, Jimmy Gomez, Sydney Kamlager-Dove et Luz Rivas sont des élu·es démocrates de Californie, engagé·es sur les questions sociales, environnementales et migratoires. Gil Cisneros est un ancien représentant devenu haut responsable au sein du Département de la Défense. Pramila Jayapal (Washington) et Ro Khanna (Californie) sont deux figures majeures de l’aile progressiste du Parti démocrate, allié·es de Bernie Sanders. ↩︎
- Rumesa Ourk (ou Rumeysa Ozturk), doctorante turque à l’université Tufts, a été arrêtée sans charge fin mars 2025 après avoir publié une tribune pro-palestinienne dans un journal universitaire. Voir WSWS.org, 27 mars 2025 ↩︎
- En avril 2025, des agents du Department of Homeland Security ont tenté d’entrer dans deux écoles publiques de Los Angeles pour cibler des élèves immigrés. Ils ont affirmé à tort avoir l’autorisation parentale. Voir LAist, 10 avril 2025 ↩︎
- Les représentants républicains David Valadao, Young Kim et Ken Calvert ont voté en mars 2025 un budget fédéral prévoyant des coupes massives dans Medicaid, la Sécurité sociale et les aides aux anciens combattants. Voir San Francisco Chronicle, 26 février 2025 ↩︎
Image d’illustration : « Alexandria Ocasio-Cortez », photographie du 20 mars 2025 par Gage Skidmore (CC BY-SA 2.0)