Face à la crise française, la révolution démocratique peut passer par les communes !


Le parti-pris de Nos Révolutions, discuté le 19 janvier 2025.

En cette période de bouleversements sociaux et écologiques, mais aussi politiques et économiques initiés par les capitalistes, il est impératif de repenser notre approche de la commune, premier échelon du débat politique en France. Les élections municipales de 2026 offrent une opportunité unique de faire de milliers de villes des points d’appui pour les mobilisations populaires.

Mais les communes peuvent-elles encore être des lieux de pouvoir populaire, ou sont-elles condamnées à devenir de simples relais administratifs de l’État ? Entre centralisation institutionnelle, recentralisation fiscale et dépolitisation progressive, leur rôle est profondément affaibli – en particulier pour les communes populaires, qui perdent leurs moyens d’action au profit des métropoles et des intercommunalités.

Dans un contexte de crise démocratique et climatique, repenser la commune comme levier stratégique est crucial : doit-elle être un outil de contre-pouvoir local, ou le jalon local d’une transformation nationale ?

La crise profonde des communes et ses implications

Ces dernières décennies, les communes ont été confrontées à une profonde redéfinition de leur rôle en raison de la multiplication des strates institutionnelles. La création de métropoles aux compétences élargies, l’élargissement des prérogatives des intercommunalités, ont renforcé la polarisation territoriale entre zones urbaines et rurales, marginalisant certaines communes rurales et les éloignant des centres de décision.

En Île-de-France, la création de la Métropole du Grand Paris et des établissements publics territoriaux, concentrant une part croissante des compétences notamment en matière d’urbanisme, de logement ou de développement économique, illustre particulièrement cette dynamique. Ces transformations se sont accompagnées d’administrations répondant à ces nouveaux échelons. En matière de voirie par exemple, les personnels sont désormais dans les intercommunalités et non plus dans les communes. Les communes ont ainsi vu leur rôle changer dans de nombreux domaines, perdant une partie de leur capacité à agir.

La crise des communes est également financière. La fiscalité locale était progressivement devenue la principale source de revenus des collectivités territoriales à partir du XXe siècle. Ce transfert s’est accompagné de réformes majeures : la transformation des contributions foncières et mobilières en impôts locaux modernes (taxe foncière, taxe d’habitation) et l’instauration de la taxe professionnelle en 1976.

Cette conception des communes, au centre de la vie des populations, disposant de moyens sérieux et d’une certaine indépendance politique, a permis le développement de politiques publiques innovantes et d’expérimentations locales. Dans les communes populaires, cela s’est matérialisé par la création d’équipements publics comme les Centres municipaux de santé, le développement de politiques culturelles et sportives très accessibles, la mise en commun de foncier via le logement public, ou encore la promotion d’un tissu associatif et syndical local.

Mais depuis les débuts de la Ve République, un puissant processus de recentralisation s’est engagé. Il culmine depuis les années 2010, avec de puissants coups portés à l’autonomie fiscale des communes. La suppression de la taxe professionnelle en 2010, remplacée par la Cotisation Foncière des Entreprises (CFE) et la Cotisation sur la Valeur Ajoutée des Entreprises (CVAE) sous la présidence de Nicolas Sarkozy, a limité la capacité des communes à ajuster leurs recettes en fonction de leurs besoins. Désormais, une partie croissante des ressources locales dépend des mécanismes de compensation et de garantie nationale (FNGIR), réduisant leur marge de manœuvre financière. Cette perte d’autonomie fiscale a eu un impact majeur sur les communes populaires.

La création des établissements publics territoriaux et des métropoles avec les réformes MAPTAM et NOTRe de 2014 et 2015, sous la présidence de François Hollande, s’est accompagnée d’un transfert de ressources fiscales (taxes professionnelles et certaines taxes foncières) vers ces structures. Cela a mis fin à une stratégie d’impôt des communes populaires qui consistait à accueillir sur le territoire de ces communes des entreprises afin d’utiliser l’impôt dont elles s’acquittent pour mener des politiques en direction des classes populaires. Cette perte d’autonomie des communes populaires est d’autant plus aggravée par les mécanismes de péréquation, qui fait que ces territoires, considérés comme « riches » car disposant de nombreuses entreprises, bien qu’ayant des populations peu aisées, doivent désormais contribuer aux budgets de communes aux populations très aisées mais ayant moins d’entreprises sur leur sol : Nanterre paye pour Neuilly ! Ces mécanismes pourraient d’ailleurs être imaginés, à l’inverse, comme permettant une solidarité des villes aux populations aisées vers les villes ayant des besoins criants en matière de services publics.

Autre levier fiscal dont disposaient les communes populaires, la taxe d’habitation sur les résidences principales a été progressivement supprimée, de 2018 à 2023, sous la présidence d’Emmanuel Macron. Cette taxe était particulièrement importante dans les communes populaires, notamment en banlieue parisienne, d’abord car les communes de gauche pouvaient fixer une taxe foncière élevée compensée par une taxe d’habitation basse, permettant d’équilibrer l’effort fiscal des ménages en faisant contribuer plus les entreprises. Ensuite, car dans les communes où le nombre d’habitant·es augmente fortement, la compensation versée par l’État ne suit pas la dynamique qu’aurait suivie la taxe d’habitation.

De fait, les communes se retrouvent d’autant plus dépendantes des dotations globales de fonctionnement distribuées par l’État, et dont le montant s’est réduit de manière significative, avec une baisse de 10 milliards d’euros entre 2014 et 2017. Cette situation aboutit par ailleurs à une dépendance politique des communes de plus en plus forte envers l’État et les institutions supra-communales, dont le point culminant s’exprime à travers les mécanismes d’appels à projets et de demandes de subventions : pour mener à bien des politiques publiques, les communes se trouvent désormais contraintes de répondre à des cahiers des charges dictés par d’autres. On peut penser au développement des cités éducatives ou encore de la vidéosurveillance, des politiques publiques qui, quoi que l’on puisse penser de leur pertinence, sont quasiment imposées par l’État à coups de subventions et de déclarations agressives.

En définitive ces évolutions, accompagnées de mesures de « maîtrise des dépenses publiques », mettent progressivement les communes, en particulier les communes populaires, sous la tutelle de l’État. Comment être autonome lorsqu’on ne lève pas d’impôts ?

Ces transformations s’accompagnent d’une érosion du rôle politique des communes. En plus des transferts de compétences qui limitent l’intervention politique des élu·es, de nouvelles pratiques illustrent la volonté de les dépolitiser, comme les nombreux courriers qu’on pu recevoir les maires qui avaient affiché des banderoles devant leurs mairies en opposition à la réforme des retraites. Le message est clair : pour l’État, les communes ne doivent pas être un lieu où l’on fait de la politique. Cette volonté peut s’observer aussi à travers les différentes réglementations qui se sont imposées aux communes, comme la loi sur les 1607h de la fonction publique territoriale : alors que les communes pouvaient auparavant décider de l’organisation du temps de travail des agents communaux, leurs marges de manœuvre sont désormais restreintes.

Enfin, la création des métropoles et des établissements publics territoriaux renforcent cette dynamique de dépolitisation. Si l’on reprend l’exemple de la voirie, les élu·es comme la population avaient une prise directe sur les agent·es municipaux qui s’en occupaient, et pouvaient plus aisément piloter les transformations nécessaires. Les institutions supra-communales sont certes composées d’élu·es, mais provenant de différentes villes éloignées des sièges de ces instances. Elles engendrent donc un renforcement du rôle des administrations au détriment du politique et des habitant·es.

Ainsi les municipalités se retrouvent progressivement dans un rôle de “mini-préfectures”, chargées de gérer des missions administratives, plutôt que de porter une vision politique forte. Cette dépolitisation réduit la commune à un rôle technique et administratif, la coupant des aspirations populaires. Cela a des conséquences également sur les élu·es, qui se retrouvent à courir entre les différentes strates de décisions, à passer un temps important à négocier, échanger, débattre avec d’autres élu·es ou d’autres administrations, plutôt qu’auprès des classes populaires.

Notons cependant que la plus grande autonomie qui existait, par le passé, pour les communes, ne dénotait pas nécessairement un pouvoir populaire plus fort. Ainsi, les communes étaient pour une majeure partie des espaces d’administration locale par les classes dominantes locales, avec une plus forte indépendance vis-à-vis du pouvoir central.

En définitive, la crise actuelle des communes illustre les dynamiques inhérentes au capitalisme. La centralisation des compétences, la recentralisation fiscale, la mise sous tutelle des communes populaires témoignent d’une domination croissante de la bourgeoisie, notamment via des institutions supra-communales, avec une concentration du pouvoir économique et politique de plus en plus forte.

Crise politique nationale, opportunités stratégiques communales ?

Nos Révolutions a évoqué dans de nombreux textes la crise politique et de régime en France. Or, les mobilisations populaires se trouvent actuellement dans une impasse. Malgré la mobilisation massive contre la réforme des retraites, celle-ci a été imposée. Malgré la mobilisation électorale pour le Nouveau Front Populaire, le gouvernement demeure dirigé par la droite. La parenthèse historique de ces dernières décennies, qui donnait l’illusion de pouvoir obtenir une transformation sociale par la seule élection présidentielle ou par de seules mobilisations syndicales, s’est brutalement refermée. De nouvelles formes d’engagement sont apparues, marquées par la conflictualité et par des formes de violences, comme lors du mouvement des Gilets Jaunes ou des émeutes suite à l’assassinat de Nahel. Ces formes de lutte, réprimées durement par le pouvoir et n’ayant que peu abouti, reflètent les tentatives des classes populaires de trouver d’autres voies pour transformer la vie.

Dès lors, le nouveau rôle que peuvent jouer les élections municipales, puis les municipalités, doit être exploré. Jusqu’à présent, de nombreuses communes de gauche ont permis de donner à voir une autre manière d’administrer la société, plus juste, plus solidaire. Elles ont également contribué à une meilleure redistribution des richesses, via des mécanismes sociaux ambitieux, comme les centres de santé, les politiques sociales. Elles se sont occupées, cependant, davantage de combattre les effets du capitalisme que de le faire tomber.

La nouvelle situation évoquée ci-avant, tant du point de vue des transformations institutionnelles et financières des communes, que de la crise politique en France et de l’impasse démocratique dans laquelle nous sommes, invite les militant·es de l’émancipation humaine à penser un nouveau rôle stratégique pour les communes.

Les communes, levier stratégique pour les révolutionnaires ?

Cette reconceptualisation stratégique suppose d’abord d’affronter un débat historique entre le « centre » du pouvoir et les territoires, sous deux aspects.

Le premier aspect de ce débat est de savoir si l’opportunité révolutionnaire peut venir du centre, ou du local. Doit-on transformer la société par la conquête du pouvoir central, ou par son ébranlement via l’émergence de contre-pouvoirs locaux ? Deux chemins sont donc possibles pour les municipalités. Soit leur permettre d’être des tribunes, des premiers jalons de conquête du pouvoir national. Soit de les constituer en espaces politiques autonomes du pouvoir central, contestant son autorité. La deuxième option suppose une rupture avec les formes de solidarité institutionnelle qui existaient jusqu’alors, au profit d’expériences plus autogestionnaires.

Le deuxième aspect du débat est de déterminer le niveau de décentralisation dans l’organisation du pouvoir. Historiquement, la révolution française a vu s’affronter trois options politiques : le bonapartisme (primauté de l’État sur tout autre forme d’organisation), le girondisme (primauté du territoire, permettant de concevoir la commune comme espace d’auto-organisation), et le jacobinisme (permettant de concevoir la commune comme un exécutif de la volonté populaire, fusionnant en quelque sorte les compétences actuelles des préfectures et des communes). Progressivement, la tradition jacobine a été dévoyée en une conception centralisatrice – largement ancrée à gauche aujourd’hui – qui bien que promouvant des formes d’autonomie des communes, reconnaît la primauté à l’État sur différents domaines dans un souci d’égalité sur tout le territoire, la plus évidente étant la conception du maintien de la sécurité. Concevoir un réel communalisme supposerait, à l’inverse, de trouver les chemins pour financer les communes en autonomie via des impôts locaux, de concevoir autrement la politique de sécurité via les polices municipales, ou encore d’assumer d’entrer en conflit avec la loi sur certains sujets, en menant de véritables guérillas juridiques comme sait le faire la droite dans nombre de ses collectivités (lutte contre le droit au logement et la loi SRU, lutte anti-laïcité en interdisant le burkini, etc…).

Ces débats sont tributaires de la situation actuelle des forces de gauche, dont les directions sont en faiblesse, et des difficultés stratégiques du mouvement révolutionnaire. Commune de Paris ou Révolution Française ? Ces deux grandes approches historiques doivent être confrontées, réactualisées, et pourquoi pas réconciliées. En 2026 des milliers de communes, autonomes, pourraient ainsi contribuer à une transformation nationale de la France, à l’image des premiers jalons de la révolution russe, ou encore de l’internationalisme.

Les communes peuvent aussi devenir de puissants outils d’unité des classes populaires, de convergence de leurs intérêts. Alors que le débat à gauche ces dernières années s’est centré sur l’opposition entre urbains et ruraux,  classes intellectuelles et travailleurs des plateformes, les communes, qui comptent cette diversité sociale sur leurs territoires, peuvent réunir ces différentes couches populaires. Travailler cette unité est particulièrement important en banlieue parisienne, où le capitalisme de plateforme transforme les territoires et crée de nouveaux espaces avec de nouveaux travailleurs, liés à l’ubérisation, aux entrepôts logistiques. Cela l’est également dans les espaces ruraux et périurbains, où les combats d’aménagement du territoire – contre les méga-bassines par exemple – ont déjà fait émerger de nouvelles formes d’alliances entre populations.

En ce sens, la dimension “citoyenne” – c’est-à-dire l’intervention et l’élection d’habitant·es non-membres de partis politiques – a aussi pris de l’importance ces dernières années, et il convient de la prendre en compte. Des expériences telles que le Printemps marseillais ou la liste VIVA à Nice, ont pris le parti de proposer des constructions originales, alliant forces politiques et citoyennes. Elles doivent être évaluées afin de trouver toujours mieux les chemins du rassemblement populaire dans chacune des communes du pays.

L’unité des classes populaires doit aussi, naturellement, se construire au plan politique. Le succès des élections municipales passera ainsi par la nécessité d’une union, d’une stratégie commune dans les municipalités, en prenant en compte la situation paradoxale actuelle : l’expérience et l’ancrage territorial de partis ayant peu de succès électoraux nationaux (PS et PC en particulier), et le peu d’ancrage d’autres partis de gauche, comme LFI, qui ont des succès nationaux.

En quelques mots et s’il fallait schématiser leurs programmes, les partis de gauche conçoivent actuellement la direction des municipalités selon plusieurs axes. Du côté du PCF, les villes sont essentiellement conçues comme un bouclier social pour les classes populaires, ou plus largement un bouclier local pour les habitant·es des villes à direction communiste. Pour le PS, les municipalités sont le premier rempart de la République. Pour les Écologistes, les villes sont un levier local de transition écologique. Pour LFI, elles sont un maillon de la révolution citoyenne portée à l’échelle nationale. Il est nécessaire que ces différentes approches puissent entrer en dialogue, pour construire les rassemblements nécessaires aux victoires dans le plus grand nombre de communes.

Nos Révolutions s’engage

À l’approche des élections municipales, l’équipe de Nos Révolutions souhaite contribuer au débat et au travail commun à gauche. Car comme l’ont démontré la NUPES puis le NFP, seule une stratégie unitaire de prise du pouvoir, sur la base d’un programme radical, est en mesure de convaincre et mobiliser le peuple.

De janvier à juillet 2025, nous multiplierons donc les initiatives en ce sens, avec : 

1. Des reportages dans les villes de gauche, pour rendre compte des expériences politiques menées localement, des luttes plus larges qu’elles soutiennent et des débats qu’elles soulèvent

2. Des articles sur le rôle des municipalités dans la lutte des classes en France, pour mettre en discussion différents regards au sein notre famille politique et rendre visible l’importance stratégique de la séquence électorale municipale du printemps 2026

3. Des entretiens avec des acteurs et actrices de la vie locale, pour les interroger sur leurs engagements et leur vision des transformations à effectuer au plan national

4. Un débat avec des figures de l’arc NFP, pour les inviter à se positionner sur les grands enjeux nationaux et la façon dont ils se proposent d’y répondre concrètement à l’échelle d’une municipalité, afin de contribuer à l’essor de démarches communes

Signataires :
Lilli Attanasio
Josselin Aubry
Hugo Blossier
Hadrien Bortot
Lucie Champenois
Juan Francisco Cohu
Alexan Colmars
Manel Djadoun
Anaïs Fley
Noâm Korchi
Nadine Garcia
Laureen Genthon
Antoine Guerreiro
Patrick Hervy
Helena Laouisset-Royer
Marie Jay
Patrick Le Hyaric
Colette
Nuria Moraga
Martine Nativi
Philippe Pellegrini
Hugo Pompougnac


Image d’illustration : « Écharpe tricolore de maire (France). », photographie du 26 mai 2020 par Claude Humbert (CC BY-SA 4.0)


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