Le parti-pris de Nos Révolutions, discuté le 26 octobre 2024.
La gauche s’apprête majoritairement à voter contre la proposition de projet de loi déposée par le RN dans le cadre de sa niche parlementaire le 31 octobre.
En l’état actuel des choses, les Socialistes, Europe Écologie Les Verts et la France Insoumise déclarent qu’ils ne vont pas voter le texte de la niche parlementaire RN. Le PCF n’a pas pris de décision collective pour l’heure, bien que Fabien Roussel et Léon Deffontaines se soient positionnés en faveur du vote.
Si les positions ont pris, selon les composantes du Nouveau Front Populaire, un temps plus ou moins long pour être rendues publiques, c’est que le choix à faire soulève de lourdes difficultés. La principale, naturellement, est que l’abrogation de la réforme des retraites était une des mesures phares du programme du Nouveau Front Populaire.
Réuni·es le 26 octobre, nous avons jugé utile d’instruire le débat pour expliciter les difficultés qu’il pose, et tenter d’y apporter des réponses collectives. Au terme de cette discussion, nous avons fait le choix de restituer dans ce parti-pris nos positions communes et contradictoires. Face à la complexité des choix stratégiques auxquels le mouvement social continuera de se confronter ces prochaines années, clarifier sans cesse les contradictions au sein de la gauche et prendre position collectivement est vital pour pouvoir avancer groupé·es.
C’est l’objet de ce texte : après avoir retranscrit les positionnements contradictoires qui se sont exprimés au fil de nos discussions, nous tâchons de prendre parti sur la démarche stratégique à adopter à gauche.
Une opportunité historique…
Comme nous l’exprimions dans notre précédent parti-pris, la vie politique française est actuellement divisée en trois blocs. Cette situation implique, pour régler toute question politique, le regroupement, même implicite, même momentané, de deux blocs (ou de certaines de leurs composantes) contre le troisième, pour obtenir une majorité. Plusieurs exemples récents l’illustrent : le soutien du RN aux macronistes et à LR pour constituer le gouvernement Barnier, le soutien du RN à la gauche sur la motion de censure après le 49-3 sur les retraites, ou encore le soutien de la gauche à Macron en 2017 et 2022 pour faire barrage à Le Pen.
Dans ce contexte, le rôle de la gauche ne devrait-il pas être de créer des événements qui font basculer la situation politique ? Les députés de gauche devraient être capables d’exploiter la fracturation de l’assemblée, y compris pour mettre le gouvernement en échec. Sans cela, ils sont condamnés à l’impuissance : pour ne mener que les batailles perdues d’avance, avoir 10 ou 100 députés revient au même et la population n’aurait alors pas de raison objective à se mobiliser pour la gauche lors des échéances électorales.
Or alors que Macron, ainsi que Le Pen en réalité, comptent sur l’absence de soutien de la gauche pour que cette proposition de loi ne passe pas, le vote par Assemblée Nationale de l’abrogation de la réforme des retraites mettrait le gouvernement en difficulté, mais aussi le RN ! Cela éliminerait toute possibilité d’un gouvernement Barnier et ferait voler en éclat l’alliance Le Pen/Ciotti, car la retraite est une ligne rouge de ce dernier. La macronie serait alors menacée de voir voler en éclats l’une des lois phares du second mandat Macron.
Dans l’hypothèse où cette loi d’abrogation pourrait être votée et appliquée, un vote de la gauche en sa faveur permettrait donc de fracturer l’alliance des droites et de fragiliser le gouvernement Barnier, voire de le faire tomber. Or dans la perspective actuelle, on s’aperçoit que le meilleur marchepied vers l’extrême droite, c’est l’union des droites et ce gouvernement, qui propose l’essentiel du corpus idéologique de l’extrême droite comme programme législatif (avec une seconde loi immigration dès janvier 2025).
Bien sûr, au-delà de ces considérations stratégiques importantes, abroger immédiatement la réforme des retraites permettrait de changer la vie de millions de Français·es, pour qui deux ans de moins sur le poste de travail représente parfois un enjeu de vie ou de mort. Pour une écrasante majorité de Français·es, en tout cas, une telle victoire serait inestimable.
… Mais une arnaque qui n’aurait aucune chance d’aboutir
Cependant à l’Assemblée nationale, le Nouveau Front Populaire se positionne majoritairement contre la proposition de loi du RN. Les syndicats ont également exprimé leur opposition. En l’état, voter pour cette loi reviendrait donc à s’isoler et à fracturer l’unité déjà fragile du NFP. Or pour mener et remporter de futures batailles, pour être en mesure de fracturer l’alliance des droites et de mettre en échec à la fois le gouvernement et le RN, conserver l’unité du NFP est absolument vital.
En fait, même votée par l’assemblée nationale, la proposition de loi du RN n’aurait aucun relais au Sénat, et par conséquent aucune chance d’être appliquée ; ou alors, cela signifierait qu’il appartiendrait au groupe communiste de s’en emparer au Sénat, puisque les communistes sont pour l’heure la seule force politique du Nouveau Front Populaire à se prononcer en faveur d’un vote de cette loi. On voit bien les difficultés politiques que cela susciterait.
Ainsi, si cette proposition d’abrogation de la réforme des retraites n’a aucune chance de passer, elle ne peut logiquement pas améliorer la vie des gens et la gauche n’a pas à se placer dans un dilemme cornélien.
Dénoncer la tartufferie sociale du RN
Par ailleurs, la proposition de loi de l’extrême-droite n’est accompagnée d’aucune proposition de financement : le RN y renvoie à sa prise de pouvoir la concrétisation de sa mise en œuvre de sa propre réforme des retraites.
Comme toujours, les questions de financement se posent dans une situation politique donnée et pas dans l’absolu : les propositions de “gage financier” n’apparaissent dans cette loi qu’en vertu de l’article 40 de la Constitution, avec notamment une hausse exponentielle des taxes sur le tabac… Ainsi, même si cette loi était votée à l’Assemblée nationale, en réalité rien ne serait fixé en matière de financement.
En tout cas, le vote majoritaire de la gauche contre cette proposition de loi doit permettre de dénoncer la tartufferie que constitue le RN en matière sociale (voir les votes du RN en la matière, contre : la hausse du SMIC, l’indexation des salaires sur l’inflation, le gel des loyers, la revalorisation du salaire des fonctionnaires de 10%), mais aussi de s’opposer frontalement à l’idée que la politique de préférence nationale (accès au logement en priorité aux français, de même concernant l’emploi ou prestations sociales) puisse être favorable aux classes populaires.
Le RN lui-même ne peut pas ignorer que cette loi n’a aucune chance de passer, et du reste il se peut bien qu’il compte sur cette impossibilité pour donner des gages aux aspirations vaguement sociales de son électorat, tout en rassurant une bourgeoisie dont il est complice. Cette stratégie sera-t-elle mise en échec en votant contre, l’aurait-elle été en votant pour ? En tous cas, elle a tout de l’escroquerie : le RN a voté contre tous les amendements au projet de loi de Finances de la Sécurité Sociale émanant du Nouveau Front Populaire, et contre la motion de censure face au gouvernement Barnier.
Isoler un parti d’extrême-droite déjà banalisé ?
Il est déjà arrivé à la gauche de voter des textes de loi présentés par nos ennemis, quand ceux-ci ne contiennent pas de régressions sociales. C’était le cas de la constitutionnalisation de l’IVG présenté par Macron. On pourrait donc arguer du fait qu’en l’état, le texte d’abrogation du RN, proche du texte d’abrogation présenté par LIOT en 2023, ne contient rien de plus que la proposition d’abrogation.
Mais pour les député·es du Nouveau Front Populaire qui se positionnent majoritairement contre cette proposition de loi, la différence essentielle est qu’elles et ils ont été élu·es dans une vaste dynamique anti-fasciste, et que donner du crédit à l’extrême droite revient à ne pas respecter ce positionnement essentiel.
Par ailleurs, les derniers développements l’ont bien montré : il n’existe plus de front républicain allant du Nouveau Front Populaire à la macronie contre le RN. Macron est le marchepied de Le Pen et le NFP est le dernier rempart contre l’extrême-droite.
Or si la proposition de loi était votée, l’empire médiatique en campagne de propagande permanente pour le RN ne manquerait pas de relayer l’idée que l’extrême-droite est désormais l’opposition parlementaire alors que, de fait, il participe au maintien du gouvernement en place et a même choisi ses ministres.
Refuser de donner au RN l’initiative de l’abrogation de la réforme des retraites permettrait au NFP de cultiver l’une de ses plus grandes forces, l’unité, face à un parti d’extrême-droite qui doit continuer d’être isolé dans la vie politique du pays malgré sa banalité déjà acquise grâce aux campagnes médiatiques. Relayer sa proposition de loi au Sénat serait en ce sens une faute politique majeure.
On pourrait avoir l’impression que face à cette loi, la gauche est prise au piège. D’un côté, voter cette loi prêterait le flanc à l’accusation d’une unité des « extrêmes » qui véhiculerait dans l’opinion publique l’idée de « vote protestataire » dont le RN retirerait les principaux bénéfices électoraux. De l’autre, ne pas voter cette loi, ce serait cautionner l’idée que le RN est le seul parti d’opposition.
Pourtant, c’est bien le RN qui est dans une position très délicate : en voulant satisfaire à la fois la bourgeoisie, en donnant des gages au patronat, et ses bases sociales précarisées avec cette proposition d’abrogation de la réforme des retraites, c’est bien elle qui se trouve dans une contradiction impossible.
En tout cas, l’avenir nous dira si la méthode choisie aura permis d’endiguer le RN ou s’il aurait fallu les mettre face à leurs contradictions.
La contre-attaque du NFP sera celle du mouvement populaire
Pour évacuer le sujet de la niche parlementaire du RN, la prochaine niche qui sera présentée par LFI dans un mois est souvent évoquée : les député·es insoumis·es proposeront un nouveau texte sur les retraites, et des amendements ont déjà été portés dans le PLFSS. Du point de vue de l’opinion publique, il n’y a pas de doute sur l’orientation de la gauche, qui peut voter contre la proposition du RN sans risquer d’être taxée d’alliée de la macronie.
Cependant, la proposition d’abrogation de la niche LFI risque d’être minoritaire. D’une part, le RN ne la votera très probablement pas, car il est contre l’avancement de l’âge du départ à la retraite, et il aura beau jeu d’expliquer son positionnement par le refus de la gauche de voter le texte issu de sa niche parlementaire. D’autre part, même au sein de la gauche, il est plus que probable que le PS se positionne contre, car cette proposition de LFI remettrait en cause la réforme Touraine sur les retraites, qui reste chère à une partie de ses troupes. La réforme des retraites va donc probablement sortir renforcée de cette séquence, de même que le gouvernement et le RN.
Au regard de la situation qui se présente, il est possible que le NFP ne parvienne pas à déstabiliser le gouvernement à l’Assemblée Nationale. Le gouvernement macroniste l’a déjà démontré : peu leur importe d’être minoritaires tant qu’ils ont en main le pouvoir d’imposer leurs politiques. Seules les mobilisations populaires en mesure de leur faire craindre de perdre le pouvoir, comme ce fut le cas des Gilets jaunes, ont permis des avancées.
L’unité du Nouveau Front Populaire est conditionnée par un mouvement social fort ; compte tenu du fait que les syndicats se sont opposés au vote de cette proposition de loi, se ranger à cette option est aussi une condition de cette unité et de sa résistance au temps.
C’est sur l’extrême-droite que le piège doit se refermer
Voter pour ou contre la niche parlementaire du RN : ces deux positions coexistent et ne mettent pas le Nouveau Front Populaire dans une position impossible. Dans un cas, la gauche est en accord avec elle-même puisqu’elle tient son engagement anti-fasciste et travaille contre la destruction de la Sécurité sociale ; dans l’autre, elle tient l’un de ses engagements fondamentaux, qui est l’abrogation de la réforme des retraites.
Il s’agit davantage d’un débat stratégique de fond sur la démarche à observer pour mettre en échec l’extrême-droite et le gouvernement : en continuant d’être hermétiques au RN et en s’appuyant uniquement sur l’initiative politique du NFP pour rester fidèle à l’engagement antifasciste pris auprès du peuple lors des dernières élections, ou en cherchant à mettre le gouvernement et le RN en échec par tous les moyens, y compris en jouant le jeu parlementaire pour retourner les offensives de l’extrême-droite contre elle-même, sans chercher à l’isoler.
En tout cas, il est essentiel de ne pas fracturer l’unité du NFP ; nous nous rangeons donc à l’opinion majoritaire de la gauche dans cette séquence législative, considérant au demeurant qu’elle s’appuie sur des bases de raisonnement nombreuses et valables. Cette unité est la condition d’un front antifasciste qui doit lui-même tenir à tout prix. Ce front ne se maintiendra que s’il sait montrer son unité dans la bataille pour faire connaître le programme, le défendre de manière unitaire et en étendre les exigences.
D’ores et déjà, nous avons donc deux rendez-vous essentiels : pendant la séquence ouverte le 31 Octobre, nous devons engager un travail d’explication qui prenne appui sur la discussion à l’assemblée pour faire connaître les positions du RN en la matière, par ses programmes et ses votes, et faire obstacle au probable matraquage médiatique autour de l’incohérence de la gauche. Dès le 28 Novembre, nous nous saisirons de la niche parlementaire de la France Insoumise pour relancer la bataille des retraites.
Signataires :
Rosalia Attanasio
Aurélie Biancarelli
Hugo Blossier
Hadrien Bortot
Sophie Bournot
Juan Francisco Cohu
Alexan Colmars
Manel Djadoun
Anaïs Fley
Nadine Garcia
Antoine Guerreiro
Marie Jay
Nuria Moraga
Martine Nativi
Philippe Pellegrini
Hugo Pompougnac
Armeline Videcoq-Bard
Image d’illustration : « Marine Le Pen, French co-chair of the ENF group », photographie du 3 février 2016 par European Parliament (CC BY-NC-ND 2.0)