Par Patrick le Hyaric.
Cet article du 4 octobre 2024 est extrait de la lettre hebdomadaire de Patrick Le Hyaric. Cliquez ici pour lire la lettre de la semaine, et ici pour vous y abonner.
L’Orient est entraîné dans un fol engrenage par des dirigeants enflammés par le nationalisme et détestant le droit international, préférant les déluges de fer et de feu aux ondes de la paix. Le Proche et le Moyen-Orient sont déjà dans une guerre régionale qui monte en intensité.
Une guerre où s’expérimentent des armes occidentales qui tuent des innocents, des citoyens, des travailleurs qui ne demandent qu’à vivre en sécurité, en harmonie avec les autres, sans distinction d’origines, d’opinions ou de tendances religieuses.
Cette guerre pourrait embraser le monde si des dirigeants avides de sang et de territoires ne revenaient pas à la raison, si les chancelleries occidentales continuent à les encourager derrière des discours truffés de ces hypocrites mots de « pondération » « de riposte proportionnée » ou de « droit de se défendre » qui n’est qu’un droit à la vengeance en dehors de tout le corpus du droit international.
L’une des caractéristiques des fanatiques-nationalistes est leur refus de reconnaître le droit international et tout état de droit. Leur credo est la loi du plus fort, la loi de la jungle derrière le nom donné par le gouvernement belliciste et nationaliste de Tel-Aviv : ordre nouveau. L’ordre militaire sans doute.
Un ordre qui impose des nuits d’horreurs au pays du cèdre, si proche, si cher à nos cœurs. Les Libanais déjà envahis en 1982 puis occupés de 1985 à 2000 ont déjà tant souffert de guerres, de divisions et de privations, de corruption et de pillages, d’austérité et d’impasses politiciennes, sont une fois de plus pris en tenaille, sous les feux des guerres de proies, de territoires et d’accaparement des richesses qui ensanglantent l’Orient. Le Liban ne peut pas, ne doit pas être le théâtre de confrontations entre les théocraties israéliennes et iraniennes, au risque de disparaître. Au contraire Le Liban pour notre diplomatie, comme pour tout progressiste devrait être un projet de paix.
« Ordre nouveau » aussi avec la volonté d’une reconfiguration du monde. Tenter de frapper l’Iran sur sa production pétrolière c’est aussi réduire les approvisionnements de pétrole de la Chine ( avec une possible flambée mondiale des cours du pétrole donc de l’énergie). C’est aussi peser sur la fourniture d’armes à la Russie dans sa guerre contre l’Ukraine, tandis que les États-Unis acheminent les armes les plus sophistiquées au pouvoir israélien. Est ainsi rampant un processus de mondialisation de la guerre.
Après avoir frappé de missiles la terre des Libanais, 10 000 fois depuis un an, l’armée israélienne est désormais engagée dans une incursion terrestre. Ce déploiement de troupes au sol se fait en violation de la résolution 1701 datant de l’année 2006 du Conseil de sécurité de l’ONU. Plus généralement les attaques guerrières contre le Liban se font en violation de la souveraineté territoriale de ce pays.
L’assassinat de Hassan Nassrallah, de l’état-major du Hezbollah et du commandant iranien Muhammad Jaafar Qasir puis celle du général iranien Abbas Nilforoushan ont été le point d’orgue de journées de bombardements et de terreur minutieusement préparées de très longue date. Cela redistribue les cartes en faveur d’Israël qui, après avoir détruit Gaza et amplifié la colonisation de la Cisjordanie, accélère la réalisation de son projet de construction du « Grand Israël » (Eretz Israël) avec la bénédiction et l’armement fourni par les États-Unis qui cherchent à élargir et à solidifier leur base avancée au Proche et au Moyen-Orient.
La violente réplique iranienne dans le ciel israélien constitue un dangereux cran de plus dans l’escalade de la mort et des destructions. Le pouvoir israélien a le feu vert des dirigeants nord-américains pour une contre-réplique qui coûtera toujours plus cher aux populations iranienne, israélienne et libanaise ou même celles d’Irak ou de Syrie. Si les capitales occidentales avaient la volonté d’éteindre ces feux, elles agiraient en urgence pour faire cesser ces carnages. Elles ne le font pas !
C’est ce qui conduit le Premier ministre israélien à étaler au grand jour, sous les applaudissements de ses commanditaires, sa toute-puissance et l’impunité dont il jouit. Il peut désormais se permettre d’interdire au secrétaire général de l’ONU de séjourner en Israël sans que cela n’émeuve beaucoup ! Il est temps de se réveiller !
S’il y avait des limites au cynisme, elles auraient toutes été dépassées. En effet, en pleine conférence annuelle de l’ONU, après avoir entendu les appels de M. Biden et Macron à cesser l’escalade au Liban, il est venu prononcer à la tribune de l’assemblée générale un discours belliqueux contre l’Iran, méprisant envers l’ONU en son sein. À peine son discours prononcé, il a donné l’ordre à son état-major de détruire le quartier général du Hezbollah. On ne peut être plus cynique, pour déclencher à ce moment précis une opération criminelle évidemment préparée depuis des mois, voire des années. Son arrogance est fortement encouragée par le président nord-américain qui voit avec l’assassinat de Nassrallah une mesure de « justice », après avoir réclamé de la pondération et la désescalade tout en validant de nouvelles livraisons d’armes qui tuent femmes et enfants à Gaza et à Beyrouth. C’est le grand royaume de la duplicité !
Des contraintes sévères sont appliquées à l’Ukraine dans l’utilisation des armes américaines contre la Russie qui l’a agressé, notamment l’interdiction de frapper en profondeur le territoire russe. Mais le pouvoir extrémiste de Tel-Aviv jouit d’une totale liberté dans l’utilisation des mêmes armes en bafouant toutes les règles de la guerre et du droit international ! La perfidie et la tartuferie sont au pouvoir.
Dénoncer cette hypocrisie occidentale ne nous conduit en rien à nous placer du côté du Hezbollah qui depuis tant d’années prend le peuple libanais en otage. Son idéologie politico-religieuse intégriste est foncièrement opposée à nos valeurs et à nos combats contre l’aliénation et pour l’émancipation humaine. On ne peut oublier la multitude des assassinats pour lesquels il est – non sans raison – accusé et son implication quasi-certaine dans l’importation et le stockage de nitrate d’ammonium à l’origine des explosions qui ont détruit le port de Beyrouth le 4 août 2000 ; ni ses crimes de guerre perpétrés en soutien au sinistre régime syrien. Pas plus que nous apportons un quelconque soutien au régime dictatorial de Téhéran qui impose à son peuple l’austérité et impose une vie encagée aux femmes. Ici, comme à Tel-Aviv avec des intégrismes religieux différents, c’est le capitalisme qui sévit et qui prospère contre l’humanité.
Cependant, il est un fait que Nasrallah cherchait depuis des mois un accord avec le gouvernement israélien pour appliquer les résolutions 1701 de l’ONU interdisant la présence des milices au sud du fleuve Litanie. Sa proposition était d’échanger la présence de ses factions armées contre le déploiement dans cette zone de l’armée libanaise et des forces de la FINUL.
On ne peut non plus ignorer deux données fondamentales : les forces de l’imperium nord-américain ont depuis longtemps choisi de faire éclore des forces politico-religieuses islamistes au moment où elles s’acharnaient à détruire les mouvements socialistes, communistes et de libération nationale. D’autre part, le point de départ de ce à quoi nous assistons est la non-application des résolutions des Nations Unies prévoyant au côté de l’État d’Israël, la reconnaissance et la construction d’un État palestinien viable.
C’est l’occupation de la Palestine et la volonté de son annexion qui conduit à ce que nous connaissons aujourd’hui. C’est bien le pouvoir d’extrême droite israélien et son armée qui ont rasé Gaza, provoqué des dizaines de milliers de morts, et bien plus encore de blessés et de déplacés. Ce même pouvoir, qui accélère l’occupation de la Cisjordanie, de Jérusalem, annexe le plateau du Golan et promet le même sort au Liban Sud.
Le Hezbollah démoli, c’est le Liban qui sera écartelé, démembré, affaibli, défait. Rien n’a vraiment été fait, ces dernières années, pour penser l’avenir entremêlé du Liban, de la Palestine et de la Syrie dans le cadre d’un processus de justice et de paix, en tenant compte de l’histoire et de la géographie.
Humilier le Hezbollah, sans contraindre Israël à renoncer à ses vues stratégiques, ne peut porter que le malheur et nourrir les germes d’une guerre régionale de grande ampleur. Le prix à payer serait extrêmement lourd pour les populations de toute la région.
Au lieu d’initiative d’ampleur pour la paix, nos chancelleries et les grands médias occidentaux se réjouissent de la terreur électronique utilisée par le pouvoir israélien en violation du droit international.
Ces « bien-pensants » considèrent l’interception par Israël et l’ajout d’explosifs dans des bippers, des talkies-walkies, des panneaux solaires, comme des prouesses technologiques alors qu’il s’agit d’actes de guerre, d’actes terroristes. Les 4 000 explosions ainsi déclenchées ont atteint l’intimité vulnérable des corps de nombre de Libanaises et de Libanais parmi lesquels de nombreux enfants. Les qualifier est interdit par la nouvelle vulgate en cours, sous peine d’être traité d’antisémite !
Tant pis pour toutes les victimes tuées, blessées, défigurées, amputées, reléguées au froid tableau comptable des pertes et profits. On entérine ainsi la loi de la punition collective, la loi de la jungle. Celle-là même qui a été mise en œuvre en Afghanistan ou en Irak. Avec les succès que l’on connaît !
En 1982, à quoi ont abouti les attaques d’Israël au Liban détruisant les camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila ? Puis celle des années 2000 ? À l’expansion et au renforcement du Hezbollah ! De la même manière que l’étouffement de Gaza et la déconsidération de l’OLP n’ont abouti qu’au développement du Hamas. Les bombes et le colonialisme n’ont jamais la paix et la sécurité comme débouché. Et la tentative d’entraînement du monde dans une « guerre de religions « ou « guerre de civilisations » n’est que le paravent masquant les véritables intérêts en jeu : ceux du capitalisme qui se nourrit de la course aux armements et du vol de territoires pour capter les ressources énergétiques et de certains matériaux rares.
Nous avons nos responsabilités pour contraindre de diverses manières nos dirigeants en Europe et aux États-Unis à rompre le pont aérien qui transporte les armes qui tuent à Gaza et au Liban ; à faire cesser les coopérations techniques permettant la fabrication d’armes de plus en plus sophistiquées et non moins meurtrières pour les populations civiles ; et à mettre fin à la mise en œuvre de l’accord d’association entre l’Union européenne et l’État d’Israël.
Le mouvement d’actions pour la paix, la justice et pour la reconnaissance de l’État Palestinien devrait se fortifier ainsi que la solidarité avec les gauches et les forces progressistes arabes et israéliennes afin de construire un nouveau rapport de force pour la paix. Il se dit et s’écrit que Netanyahou entretient la guerre pour conserver le pouvoir. Il y a sans doute une part de vrai dans cette assertion. La question et les enjeux sont bien plus fondamentaux. Le grand Israël est un projet géopolitique décisif pour les dirigeants et le grand capital nord-américain cherchant à élargir leur sphère d’influence et d’exploitation au Proche et au Moyen-Orient. Ivre de guerre, Netanyahou bénéficie donc de leur impunité et de leur soutien. Nous avons des responsabilités envers tous les citoyens et les travailleurs de cette région : faire entendre les voix de la justice et de la paix.
Image d’illustration : « Givati Brigade east Rafah », photographie du 18 mai 2024 par IDF Spokesperson’s Unit sur Wikimedia (CC BY-SA 3.0)