Front populaire va avec mouvement populaire


Par Patrick Le Hyaric.

Cet article du 11 juillet 2024 est extrait de la lettre hebdomadaire de Patrick Le Hyaric. Cliquez ici pour lire la lettre de la semaine, et ici pour vous y abonner.

Seule notre mobilisation dans les quartiers, villages, entreprises, universités… pourra faire respecter le choix des électrices et des électeurs.

Devenu docteur « es confusionnisme » et maître des coups tordus et des coups de force institutionnels, le président de la République fait pression, brouille les pistes ; magouille et carambouille pour contourner le vote des électrices et des électeurs des élections législatives. Spécialiste de l’écriture de lettres non lues, il appelle ce qu’ils baptisent les forces républicaines à se parler et constituer un gouvernement. Il est d’accord avec le RN/FN, les droites caméléons, et les macronistes défaits et divisés qui refusent de reconnaître que le bloc majoritaire à l’Assemblée nationale est composé des forces progressistes et républicaines du Nouveau Front populaire. Ce faisant, il continue de donner de l’avoine fraîche aux chevaux fous de l’extrême droite.

M. Macron répète sans cesse qu’il faut une union des partis qui respectent « les institutions républicaines ». En l’occurrence, ici, c’est lui qui ne les respecte pas. Et l’argument selon lequel il n’y a pas de « vainqueur » parce que de nombreux députés ont été élus grâce au désistement lui fait oublier qu’il n’a dû son élection à deux reprises que parce que les électrices et électeurs de gauche l’ont permis.

Et les imbéciles simagrées visant à répéter – sans pouvoir d’aucune manière, le démontrer – contre toute réalité que La France Insoumise ne serait pas dans ce camp républicain ne visent qu’un objectif : diviser le nouveau Front populaire et le détruire. En effet sans La France insoumise, il n’y a plus de nouveau Front populaire. La ficelle est donc très grosse. Or, la mobilisation a été permise par l’existence de cette union qui ne doit pas être une union de quatre partis, mais une union large avec toutes les parties prenantes : syndicats, associations, monde de la culture et de la création, organisation non-gouvernementale, mouvements citoyens solidaires et des droits humains.

Pour bien comprendre les combats de Macron, des droites et de l’extrême droite, il faut toujours revenir à l’essentiel : quels intérêts défendent-ils ? Pas ceux de la classe ouvrière, mais ceux du grand capital. Voilà qui explique le déchaînement contre le programme du nouveau Front populaire pourtant validé et soutenu par des économistes de renom et un prix Nobel d’économie.

En vérité M. Macron avait expliqué qu’il avait « balancé une grenade dégoupillée » dans les jambes du peuple. Il se la voit renvoyer avec force. Il n’a pris en compte aucun élément qui a conduit à cette situation, où il s’est lui-même amputé alors qu’il voulait avec la dissolution de l’Assemblée nationale dissoudre surtout la gauche. Il a même été avec ses troupes jusqu’à mettre des limites au rassemblement républicain, en appelant à faire battre des députés de gauche.

La digue dressée contre le RN/FN

Or, il y a d’abord un fait politique majeur. Loin d’être moribond, ce que l’on appelle « le front républicain » a permis l’essentiel : amplifier une mobilisation citoyenne, capable dans l’urgence de dresser un barrage suffisamment puissant pour contrer l’avancée de l’extrême droite qui s’apprêtait à s’installer dans les ministères – avec une multiplicité de complicités dans les milieux d’affaires et politiques.

Puisant loin dans le meilleur de son histoire, la maturité politique de notre peuple se lit dans cette puissante mobilisation. Elle a signifié le rejet net d’une France rance, xénophobe, bouffie de haine et de méfiance de l’autre, repliée sur elle-même dans un nationalisme capitaliste mortifère, encourageant les rongeurs grignotant l’état de droit, mettant au pas les médias, la justice et l’école, surveillant et pourchassant syndicalistes, militants des droits humains et de l’écologie.

Une fois encore le peuple de France a confirmé avec raison la phrase du poète et philosophe Friedrich Hölderlin, « là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve ».

Le rôle décisif des forces progressistes, sociales, démocratiques, écologistes

En s’unissant, puis en se désistant là où existait un danger, dès l’annonce des premiers résultats du premier tour des élections législatives, les forces progressistes et écologistes ont permis de sauver l’essence de la République. Cette unité de la gauche a déjoué une partie des plans du président de la République qui jusqu’au bout a tout fait pour fracturer la gauche afin de conforter son « duo-duel » avec l’extrême droite.

C’est à partir de l’immense soulagement qui a parcouru nos villes et nos villages que la gauche doit se hisser à la hauteur des aspirations populaires. Elle est seule à pouvoir sauver l’honneur démocratique. En effet, à peine les urnes refermées, ce qui reste des partis de la macronie s’est empressé de refuser de reconnaître les résultats de ce second tour des élections législatives tout en se lançant dans la recherche d’improbables combinaisons pour faire perdurer un système que les électrices et les électeurs viennent sous différentes formes de rejeter en masse.

Il convient de rappeler qu’aux élections européennes et au premier tour des élections législatives la macronie a été défaite. Et elle ne doit l’élection d’une partie importante de ses députés et d’anciens ministres qu’à la mobilisation des électrices et électeurs de gauche et écologistes dans un contexte où tout a été fait pour discréditer l’alliance du Nouveau Front populaire. Dans l’irrespect le plus total, pour faire peur, celle-ci a été qualifiée « d’extrême gauche ».

Cet argumentaire fallacieux, telle la bave du crapaud, continue d’être répandu au nom du cercle « de la raison » capitaliste. Ceux qui gagnent 1000 fois le Smic expliquent qu’il ne faut surtout pas l’augmenter quand celles et ceux qui le perçoivent n’ont plus un sou dès la troisième semaine du mois.

Non aux combinaisons politiciennes

Les manigances qui se préparent dans les couloirs des ministères et au château nous mènent à une terrible impasse. En effet, toute alliance avec les cercles du parti présidentiel et de la droite dont la politique a continûment donné de la force au RN/FN ne peut qu’accélérer encore la progression électorale de ceux que nous avons mis en échec dimanche. Au contraire, il y a urgence à se débarrasser du marchepied du RN/FN sinon tout finira très mal. Et la recherche d’une coalition politique entre le macronisme et le groupe des LR portée par les milieux d’affaires aboutira également à ce résultat. Et l’invocation d’une alliance de la macronie et ce qui est nommé « la sociale-démocratie » cachant trop souvent le social-libéralisme revient aussi à détruire le Front populaire, mais surtout à poursuivre des politiques qui depuis 1983 ont été elles aussi rejetées.

Le RN/FN ne sera pas battu en poursuivant des politiques contre les travailleurs et le peuple qui ont fait son miel. En laissant pourrir la situation, en retardant le plus longtemps possible la nomination d’un Premier ministre proposé par le nouveau Front populaire, M. Macron continue d’abîmer chaque jour un peu plus la démocratie et va jusqu’à jeter le discrédit sur le contenu des urnes. Seul un mouvement populaire majoritaire peut faire respecter le verdict des urnes et clarifier la situation. Cela passe par différentes initiatives actives des forces sociales, culturelles et politiques et par la création dans le maximum d’endroits de comités du Nouveau Front populaire.

Lucidité

La lucidité doit pousser les forces progressistes et écologistes à examiner l’ensemble des éléments mis en lumière par les trois jours de scrutin des 9 juin, 30 juin et 7 juillet en mesurant l’état réel du rapport de forces politiques dans le pays. La gauche est le « bloc » majoritaire sans disposer – loin de là – d’une majorité absolue, ni même d’une forte majorité relative à l’Assemblée nationale. Elles doivent donc mettre les enjeux de la réussite d’une large coalition des gauches, des écologistes et de forces citoyennes progressistes entre les mains des citoyens.

À l’analyse des résultats électoraux, il convient d’ajouter la profonde signification des mobilisations citoyennes et sociales qui ont eu lieu depuis 2016 : bonnets rouges, gilets jaunes, mobilisations contre les lois de modification du code du travail, puissant mouvement contre la loi portant le droit à la retraite à 64 ans et la manière avec laquelle elle a été imposée, actions multiformes pour la défense des services publics, mouvement de soutien « aux premiers de corvée » durant la période du Covid, actions pour de meilleures conditions de santé publique, combats pour l’égalité femmes-hommes et contre le sexisme, actions pour la paix en Europe et au Proche Orient, mouvements pour un plan d’urgence pour l’école comme en Seine Saint Denis, mouvement paysan pour un revenu décent.

Ainsi, depuis la rue et dans les urnes a retenti un cri profond réclamant une rupture avec les politiques menées depuis tant d’années et un appel à une nouvelle façon de faire de la politique, respectant les citoyens tout en proposant un récit d’avenir émancipateur.

La lucidité doit conduire les forces de progrès et de l’écologie à lire convenablement les résultats de l’extrême-droite passée de deux députés en 2002 à 128 cette fois, après avoir fait élire il y a à peine un mois 30 députés européens dans un scrutin proportionnel. Une force rassemblant plus de dix millions d’électeurs à l’occasion de ces élections législatives, qui dit se préparer pour remporter l’élection présidentielle. Même après l’avoir écarté du pouvoir, la question reste devant nous.

Mesurer cela ne doit pas conduire à reprendre les thématiques de l’extrême-droite, mais à combattre ses idées dans le cadre d’un intense travail idéologique en construisant une perspective progressiste en lien avec les milieux populaires, les exploités et les dominés.

Il convient aussi de continuer à étudier les causes de la forte abstention des jeunes et des ouvriers notamment dans les quartiers populaires.

Cela implique une activité politique et d’éducation populaire visant à retisser des liens sociaux, à unir les classes laborieuses qu’elles soient manuelles ou intellectuelles, d’encadrement ou de petites propriétés non-lucratives. Bref, les forces démocratiques de la transformation progressiste doivent rechercher le « réalignement », l’osmose avec les classes populaires et le monde de la culture et de l’esprit dans sa diversité.

Liberté, Égalité, Fraternité en actes

Elles doivent assumer avec force ses valeurs forgées au cours d’une longue et belle histoire : liberté, égalité, fraternité, laïcité, paix, respect du vivant. Le contrat de législature du Nouveau Front populaire est imprégné de ces orientations afin de répondre aux urgences sociales, écologiques, démocratiques. Il remet l’école au cœur d’un nouveau pacte républicain et se propose de soigner la santé, pour toutes et tous, de répondre à l’enjeu commun des quartiers et des villages. Celui de réimplanter des services publics en les modernisant et en les démocratisant. Partout, l’effort doit être fait pour répondre aux angoisses, aux peurs, aux inquiétudes des populations qui se sentent à juste titre abandonnée, à celles et ceux que le système méprise et « déclasse » : ouvrières et ouvriers, employés, retraités maltraités, jeunes à l’avenir incertain, cadres et ingénieurs, petits et moyens paysans qui n’en peuvent plus de voir la valeur de leur travail accaparé par la grande industrie et les oligopoles commerciaux.

Avec toutes et tous, il faudra bâtir un chemin mariant progrès social et transition environnementale.

De même que la dynamique électorale ne s’est pas résumée à un tête-à-tête au sommet entre partis, la réussite d’une politique nouvelle a besoin de l’intervention active des mouvements sociaux et citoyens, des syndicats, des collectifs de quartier et de village, organisations antiracistes, féministes, écologistes, associations de défense des droits humains. Autrement dit, toutes celles, tous ceux qui ont été au cœur des luttes populaires ces dix dernières années.

Ajoutons, qu’il faut changer de méthode. Il est difficilement compréhensible que seulement les quatre responsables des partis de gauche et de l’écologie qui discutent dans le secret, dans des lieux secrets alors qu’une multitude d’organisations sont partie prenante de la majorité Front populaire à l’Assemblée nationale et dans les combats sociaux et citoyens.

Le mouvement populaire doit être auteur et acteur des changements possible

Le combat sera rude. Le capital international et ses institutions, les marchés financiers ne tolérerons pas qu’on réponde aux aspirations populaires. Il est indispensable de créer dans le calme et dans la détermination un rapport de force favorable aux classes populaires. Il doit se faire dans un va-et-vient entre les citoyens, leurs aspirations, leurs luttes et l’Assemblée nationale. Chaque député sera ainsi mis au pied du mur lorsqu’il s’agira de soutenir une amélioration du SMIC ou le blocage des prix, la diminution des prix des fournitures scolaire ou la défense de tel ou tel service public y compris les forces de sûreté et de protection ou encore d’empêcher une délocalisation industrielle ou de lutter contre le fléau des trafics de drogue facteur d’insécurité comme contre la plaie de l’évasion fiscale qui prive le pays de moyens pour le bien commun.

Refuser le verdict des urnes, tergiverser ou tenter des combinaisons politiciennes ne fera qu’alimenter ce que nous avons réussi à repousser dimanche dernier. Le mouvement populaire doit obliger au respect du choix des électrices et des électeurs.

Réussir aujourd’hui et demain implique de poursuivre et d’amplifier la stratégie du nouveau front unitaire et populaire pour améliorer la vie des travailleurs, des retraités et créer les conditions d’un avenir désirable aux jeunes.

Réussir implique aussi de développer le militantisme de terrain, dont les comités locaux du Front populaire de nourrir des récits et des actions pour l’égalité et la justice sociale, de construire des solidarités. Il n’y a aucune contradiction entre l’amélioration des conditions de vie des ouvriers, des paysans et des artisans et le respect du droit d’asile et l’accueil digne des exilés de pays d’où ils sont chassés pour des raisons politiques, de guerre, de misère ou des modifications climatiques. Le combat pour empêcher l’extrême-droite au pouvoir a partie lié avec des réponses de gauche aux préoccupations populaires. Il n’est pas derrière nous, mais d’une brûlante actualité.

Contre les conservatismes et le service au capital, une nouvelle ère peut s’ouvrir où enfin le mot progressisme retrouverait sens et vie.

Dans cette situation inédite, il est impératif de se hisser à la hauteur des enjeux du moment.


Image d’illustration : Photographie par Pascal Rey, le 15 juin 2024 (CC BY-NC-SA 2.0)


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