Par Alexis K.
À la veille du second tour des élections législatives, le paysage politique français est plus que jamais divisé en trois blocs.
Le bloc bourgeois-nationaliste, représenté par le Rassemblement National (RN) et ses alliés (LR Ciotti et Reconquête), espère faire accéder une « union nationale » d’extrême droite à la tête de l’État, par les urnes, pour la première fois dans l’histoire du pays. Ce bloc est très homogène, grâce à la centralité du parti lepéniste et à l’opportunité sans précédent qu’il a de prendre le pouvoir.
Le bloc bourgeois-centriste, composé des différentes composantes de la majorité présidentielle et des LR historiques, est divisé sur la stratégie à adopter vis-à-vis du Nouveau Front Populaire (NFP). Ce bloc s’est fracturé sur la question des désistements au second tour et d’appels au vote pour les candidat·es insoumis·es. Ces divergences s’expliquent tant pour des raisons de principes politiques (faire barrage à l’extrême-droite, ou bien assumer le « ni-ni » et in fine la possibilité d’un gouvernement RN), que pour des questions de tactique électoraliste (soutien républicain en considération que le NFP n’aurait pas de chance d’obtenir une majorité, ou velléité de former une coalition avec ses éléments libéraux). Malgré un effondrement électoral et idéologique, lors du premier tour il est à noter que ce bloc pourrait finalement rester bien représenté à l’Assemblée.
Le bloc hétéroclite du Nouveau Front populaire regroupe l’ensemble des forces politiques de gauche (LFI, PS, EELV, PCF, PP, NPA) résolues à empêcher la prise de pouvoir de l’extrême droite. La composition de ce bloc à l’issue du premier tour est très diverse, allant du social-libéralisme à la gauche radicale, en passant par les modérés. Si le programme électoral et la répartition des candidatures restent en faveur des plus radicaux, des divergences profondes émergent sur la direction à donner au NFP après les élections du 7 juillet.
Front populaire et front républicain : battre l’extrême-droite dans les urnes dimanche
Après être arrivé en tête au premier tour, le Rassemblement National a échoué à neutraliser la formation d’un front républicain, malgré ses appels à rallier une partie du centre pour installer une logique de barrage contre le Nouveau Front Populaire. Notons même que 3 candidats RN et alliés se sont désistés pour faire « barrage contre l’extrême-gauche ». Finalement, à l’exception d’une poignée de circonscriptions, les électeurs auront à faire un choix entre un candidat du Nouveau Front Populaire ou soutenu par celui-ci (en cas de désistement ou d’élimination au premier tour), et le Rassemblement National.
Néanmoins la recomposition politique rapide, sous fond de manque d’homogénéité au sein du bloc central et du NFP (telles que décrites ci-avant), déboussole fortement les électeurs, rendant l’issue du scrutin encore incertaine. Par exemple, comment sera audible le revirement du gouvernement qui indique vouloir combattre prioritairement l’extrême-droite, après avoir concentré ses attaques au premier tour sur le NFP ? Est-ce que les appels à faire battre l’extrême-droite seront entendus par les électeurs du NFP face aux candidatures les plus droitières telles que celle d’Élisabeth Borne ?
Cette situation décontenance également les militant·es et sympathisant·es du Nouveau Front Populaire. En effet, l’hypothèse de la victoire évoquée au lendemain de la dissolution et de la conclusion de l’accord, est désormais écartée par certain·es dirigeant·es politiques de l’alliance, tandis qu’une alliance avec le bloc bourgeois-centriste est mise sur la table !
Dans ce contexte de doutes et de baisse de la combativité, il est essentiel de continuer à mobiliser les classes populaires pour ce scrutin : jusqu’à dimanche, le seul objectif est d’empêcher une majorité absolue ou relative du Rassemblement National, qui ferait craindre une violente purge dans le pays. Pour ce faire, il faut voter pour les candidat·es du NFP, et lorsqu’ils ne sont pas représenté·es, émettre un vote tactique pour les candidat·es du bloc bourgeois-centriste (Renaissance ou LR).
Après le 7 juillet, une bataille pour l’hégémonie des classes populaires et la poursuite du Nouveau Front Populaire
Même dans l’hypothèse où elle ne lui permet pas de former puis de maintenir un gouvernement, la progression du RN indiquera un franchissement de seuil dans le processus de prise de pouvoir du bloc bourgeois-nationaliste. En seulement deux ans, l’Assemblée Nationale pourrait voir le nombre de députés RN passer de quelques-uns (8 jusqu’en 2022) à une armada de représentants lepénistes, dotés de moyens sans précédent pour influencer la politique du pays.
Au moment où le bloc bourgeois-centriste sera forcément confronté à des crises internes, dues aux jeux d’appareils de la 5ème République et d’initiatives personnelles pour se positionner sur “l’après Macron”, le bloc du NFP ne peut pas se permettre de se diviser. Au contraire, il doit incarner la clarté de la lutte antifasciste et crédibiliser sa capacité à prendre le pouvoir d’ici 2027.
La présence renforcée de sociaux-libéraux au sein du NFP est un motif légitime d’inquiétude. Parmi eux, on trouve des députés du micro-parti Place Publique de Raphaël Glucksmann, des ex-socialistes dissidents de la NUPES en 2022 ayant siégé au sein du groupe centriste LIOT, ainsi que des socialistes en rupture avec la ligne unitaire d’Olivier Faure, regroupés notamment autour de Carole Delga, Michael Delafosse et Nicolas Mayer-Rossignol (du courant Refondations). Outre François Hollande et Aurélien Rousseau, de nombreux profils sont préoccupants. Pour ne donner qu’un seul exemple, Dominique Potier, député de Meurthe-et-Moselle, n’avait pas voté la censure contre le gouvernement Borne en 2022 et s’était abstenu sur la proposition de loi de constitutionnalisation de l’IVG en 2023.
Le renforcement du leadership des classes populaires, représenté aujourd’hui par le pôle radical (animé principalement par LFI), est donc la seule possibilité de victoire pour le bloc populaire. La tâche des militant·es consistera aussi à convaincre les classes intermédiaires, notamment celles soutenant les partis modérés (PS), à ne pas s’autonomiser, et de rester solidaires des classes populaires. Quant aux partis ayant eu des positionnements hésitants entre la radicalité et la modération (comme EELV et le PCF), ils doivent écarter définitivement l’hypothèse de participation à un gouvernement de coalition avec le bloc bourgeois-modéré, et s’engager dans l’approfondissement du programme du NFP.
Plusieurs initiatives peuvent permettre de maintenir la pression, et donc la cohésion, au sein du Nouveau Front populaire, en particulier :
- La constitution de comités locaux du Nouveau Front populaire pour maintenir à la base une unité d’action et des échanges entre les militant·es, sympathisant·es et citoyen·nes convaincu·es par la démarche proposée au lendemain des élections.
- Le renforcement du rôle de vigie du mouvement social et des organisations syndicales, associatives, féministes et antiracistes. En ce sens, les prises de position de la CGT, des syndicats lycéens ou de certaines ONG comme Greenpeace, sont encourageantes et seront essentielles pour maintenir la pression en faveur d’un programme de rupture.
- Le travail politique d’analyse des limites des dynamiques en cours et de dépassement des contractions, auquel souhaite contribuer modestement Nos Révolutions. À titre d’exemple, la question des difficultés électorales du Nouveau Front populaire dans les territoires péri-urbains et ruraux (et donc auprès des catégories sociales qui les peuplent), mérite un débat approfondi dépassant les simplifications entendues de part et d’autre ces dernières semaines.
En attendant, dimanche toutes et tous aux urnes !
Image d’illustration : « La République, c’est le Front Populaire. Manifestation le 15 juin 2024 du Front Populaire à Paris », par Jeanne Menjoulet (CC BY 2.0)