Par Patrick Le Hyaric.
Cet article du 27 avril 2024 est extrait de la lettre hebdomadaire de Patrick Le Hyaric. Cliquez ici pour lire la lettre de la semaine et ici pour vous y abonner.
Lorsqu’une cité démocratique altérée de liberté, trouve dans ses chefs de mauvais échansons, elle s’enivre de ce vin pur au-delà de toute décence : alors si ceux qui la gouvernent ne se montrent pas tout à fait dociles et ne lui font pas large mesure de liberté, elle les châtie, les accusant d’être des criminels.
Platon
Le jour où contre un homme un crime se commet ; le jour où il se commet par la main de la bourgeoisie, mais où le prolétariat en intervenant pourrait empêcher ce crime, ce n’est plus la bourgeoisie seule qui en est responsable c’est le prolétariat lui-même ; c’est lui qui, en n’arrêtant pas la main du bourreau prêt à frapper, devient complice du bourreau ; et alors ce n’est plus la tâche qui voile, qui flétrit le soleil capitaliste levant. Nous n’avons pas voulu de cette flétrissure de honte, sur l’aurore du prolétariat…
Jean Jaurès au cours du grand débat avec Guesde en défense de l’action pour la liberté en faveur du capitaine Dreyfus
« Surtout, soyez toujours capables de ressentir au plus profond de votre cœur n’importe quelle injustice commise contre n’importe qui, où que ce soit dans le monde… ». Des millions de personnes sur la planète gardent en tête cette supplique de Che Guevara.
Fidèles à ce fil rouge humaniste, ils réclament justice pour les Palestiniens tout en condamnant les attaques terroristes menées au nom de leur cause le 7 octobre 2023 par le Hamas, ce monstre créé et attisé par l’actuel Premier ministre israélien.
Mais voilà que les bons apôtres autoproclamés du tri sélectif des bonnes causes, désignant les « bons » et les supposés « mauvais » républicains fustigent, dénoncent, bannissent, interdisent tout propos, toute réunion, toute manifestation de solidarité avec les habitants de Gaza qui saignent et meurent sous les bombes de l’armée d’occupation israélienne qui elles ne font aucune distinction entre un enfant et un chef du Hamas.
Réduits au silence, privés de micros et de caméras pour être mieux massacrés, affamés, privés de soins, les Gazaouis ne peuvent témoigner de la violence de leurs souffrances.
Il est donc du devoir de tout partisan de l’application du droit international, de tout partisan de la paix, de tout partisan du respect de la personne humaine de condamner la guerre de colonisation. Le devoir de tout défenseur des droits universels est de dénoncer le cran supplémentaire franchi par l’armée israélienne transformant la prison à ciel ouvert qu’était Gaza en mouroir et cimetière géant sous les yeux du monde.
Crier notre révolte face à cette horreur n’affaiblit en rien notre condamnation sans nuances des crimes de guerre, terroristes, du 7 octobre et notre combat pour la libération des otages israéliens.
S’ils étaient fidèles aux lumières et à la déclaration des droits de l’homme et du citoyen le gouvernement français et le président de la République devraient placer leurs actions à l’unisson des combats de millions de militants, d’associations de solidarité, de forces politiques, comme le Parti communiste et bien d’autres, de toutes celles et de tous ceux qui agissent pour l’application du droit international.
Depuis 1948, celui-ci dit que sur la terre de Palestine doivent coexister, cohabiter deux États, deux peuples vivant en paix et en sécurité : un État pour les Israéliens et un État pour les Palestiniens. Les frontières ont même été dessinées et approuvées tout comme la désignation de Jérusalem comme capitale des deux pays. L’un de ces deux États existe : Israël. À l’autre peuple, on dénie le droit de disposer de sa terre, de ses maisons, de son eau, de sa capitale, de ses villes et de ses champs d’oliviers. Ses élus sont emprisonnés parce qu’ils défendent, conformément aux lois internationales, le droit de leur peuple à exister et vivre.
Une résolution a même été votée récemment au conseil de sécurité de l’ONU réclamant un cessez-le-feu et la libération des otages. Laquelle parmi les capitales occidentales se soucie de la faire appliquer ? Aucune !
Le président de la République prodigue des paroles pour un cessez-le-feu, signe une tribune commune avec le président égyptien et le roi de Jordanie, mais refuse de poser l’acte politique fondamental susceptible de faire bouger le rapport des forces : la reconnaissance par la France, comme l’ont fait une dizaine de pays européens, de l’État de Palestine1. Pour le faire, il pourrait s’appuyer sur le large mouvement de solidarité et de paix qui se développe. Or, il le réprime.
Le déluge d’hypocrisie doit donc maintenant cesser. De même, les bonnes paroles de Joe Biden sont contredites par le veto de l’imperium nord-américain à l’acceptation pleine et entière de la Palestine aux Nations Unies et à la répression que subissent aux États-Unis les activistes de la cause palestinienne.
On peut craindre qu’une nouvelle digue soit en train de tomber dans le soutien de nos pays, non pas au peuple israélien, mais au pouvoir d’extrême droite et suprémaciste de Tel-Aviv. Certes, côté pile, il y a ces paroles présidentielles pour ce qu’ils appellent du bout des lèvres « une solution à deux États ». Côté face, on assiste à une criminalisation inédite de toute manifestation, de toute réunion ou conférence traitant de la cause palestinienne.
Et les chiens de garde aux crocs acérés, élevés en batterie dans les nouvelles couveuses bollorisées, directement connectées aux officines de défense de l’extrême droite israélienne et mauvais avocats de Netanyahou, dressés pour brouiller les enjeux inondent les écrans du matin au soir de leur bouillie confusionniste. De même qu’un manifestant ou un gréviste est qualifié par eux de preneur d’otages, une manifestation de soutien au droit international et à la cause palestinienne devient à leurs yeux, soit une démonstration d’apologie du terrorisme, soit l’expression d’un antisémitisme aveugle. Leurs vils aboiements oublient toujours de rappeler que des ministres israéliens ont qualifié les Palestiniens d’animaux, appellent au meurtre, veulent qu’ils quittent définitivement de bande de Gaza. Ces chiens de garde gardent le silence quand des colons israéliens sont armés pour tuer des fermiers palestiniens et chasser des Palestiniens de la maison dont ils sont propriétaires.
Dans nos contrées, des activistes de la pensée unique et des élus ivres de haine encouragent la prolifération d’insinuations, d’insultes, de suspicions, de propos déformés et sortis de leur contexte. La police et la justice sont mobilisées pour valider les médisances, les attaques et proférer de nouveaux oukases, décrétés dans les palais de l’autoritarisme républicain.
Il faut dire clairement : Ça suffit !
Ainsi, pour un tract diffusé après les crimes terroristes du 7 octobre, le secrétaire de la CGT du département du Nord, est condamné à un an de prison avec sursis.
Pour avoir écrit des textes d’explication sur l’histoire de la domination israélienne, la militante antiraciste Sihame Assbague est convoquée par la police au motif d’apologie du terrorisme ». L’avocate franco-palestinienne Rima Hassan a reçu la même convocation pour le même motif pour des écrits qui remonteraient au mois de novembre 2023. Pourquoi une telle convocation si longtemps après les faits présumés ? Simplement parce qu’elle est candidate aux élections européennes sur la liste de La France insoumise et après l’interdiction de trois conférences qu’elle devait donner avec Jean-Luc Mélenchon à Bordeaux, Rennes, Lille. Toutes les trois ont été interdites. La raison ? Par avance, la police secrète de la pensée a détecté qu’il y serait tenu des propos antisémites et qu’il pourrait y avoir des « troubles à l’ordre public ».
Il en est de même pour des réunions organisées par France Palestine Solidarité ou le Parti communiste avec l’avocat franco-Palestinien Salah Hamouri. En octobre dernier, plusieurs manifestations de solidarité avec la Palestine ont été interdites. Mais qui peut donc troubler « l’ordre public » ? Pas les participants aux réunions, mais des élus de droite ou macronistes qui viennent empêcher leur tenue au nom sans doute de « leur indéfectible soutien »… à l’extrême droite israélienne » .
Et, voici que l’on monte sans cesse les barreaux de l’échelle de l’intimidation et de la répression avec la convocation de la présidente de l’un des principaux groupes d’opposition à l’Assemblée nationale. Mathilde Panot est convoquée par la police pour un texte publié par son groupe LFI au parlement à la suite des crimes du Hamas. Aucune ligne de ce texte ne glorifie le Hamas. Au contraire il le condamne comme il condamne l’occupation israélienne. Mesure t’on la gravité du moment ? Après avoir inventé un dispositif prétendument contre « l’apologie du terrorisme » voici que le pouvoir l’utilise à tout propos contre des militants syndicaux et des responsables politiques dans une société de plus en plus scrutée par des agents invisibles de la surveillance. Il est urgent de crier ensemble : ça suffit. Il faut le faire avant qu’il ne soit trop tard.
Quant au prétendu antisémitisme, il est sévèrement puni par la loi. Si des propos antisémites sont tenus par les organisateurs que ceux-ci soient poursuivis et jugés. Rien de tel n’est arrivé à cette heure ! Et pour cause. Les positions de LFI ou du Parti communiste ou de la CGT ne relèvent en rien de l’antisémitisme, mais d’un combat pour que deux peuples puissent vivre en paix et en sécurité.
En vérité, la haine antisémite qui n’est pas le fait des organisations progressistes ne peut être attisée que par ceux qui ne cessent de confondre les droits des Juifs israéliens à être respectés, protégés, libres et le droit que s’arroge le pouvoir israélien de commettre en toute impunité des crimes de guerre. Le même confusionnisme est alimenté lorsque la résistance à la colonisation et l’apartheid est mise sur le même plan que des crimes terroristes commis contre des civils israéliens par une organisation voulue et financée par l’État d’Israël.
Les mêmes robots confusionnistes tirent un trait d’égalité entre immigration et sécurité, musulmans et terroristes. Le carburant de ce feu destructeur des valeurs de la République est fourni en haut lieu avec les lois séparatismes ou immigration, les campagnes sur l’islamo-gauchisme, ou les dernières trouvailles autour d’un wokisme universitaire ou « le djihadisme d’atmosphère » ou encore les procès fait à Karim Benzema par le ministre de l’Intérieur, les menaces contre la Ligue des droits de l’Homme ou la qualification de manifestations écologistes « d’éco-terrorisme ».
Le sujet central du litige et la violente lutte à son propos
En apparence, on prétend ici combattre l’extrême droite, mais on soutient le gouvernement d’extrême droite israélien. On se réfère dans les discours au « droit international » mais en réalité, c’est la loi du talion israélienne qui est protégée ou défendue.
Tout est fait pour camoufler le sujet central du litige : la colonisation et une guerre qui, au prétexte de liquider les dirigeants du Hamas (à l’abri au Qatar) a pour objectif de rayer Gaza et ses habitants de la carte.
À entendre nos censeurs, il faudrait donc aussi traduire en justice le secrétaire général de l’ONU et le Pape qui ne cessent de condamner la fuite en avant guerrière et potentiellement génocidaire comme en alerte la Cour internationale de justice.
Les débats sont interdits. La longue histoire de cette région et ce qui a présidé à la délimitation des frontières des pays constituant le Proche et Moyen-Orient, sont cachées afin de désarmer toute critique du pouvoir israélien dans le but de laisser mourir la promesse de création de l’État palestinien. Pourquoi ? Parce que l’occident capitaliste soutient le projet d’un grand Israël, leur base avancée dans la région et veut avec ce projet participer à la répartition du butin que constituent les réserves gazières au large de Gaza.
Continuer ainsi, revient à mettre en cause la sécurité des citoyens israéliens. C’est bien la coexistence de deux États qui garantira une paix juste et durable. Comme celles et ceux qui hier ont milité pour la libération de l’Afrique du Sud – sous les mêmes sarcasmes et interdits – les militantes et militants de la cause palestinienne agissent dans l’intérêt général.
C’est un enjeu d’humanité. C’est aussi un enjeu de politique nationale et européenne à l’heure où s’avancent les tentations autoritaires partout sur le continent.
Pour les mêmes raisons, un congrès de solidarité avec la Palestine organisé par l’ancien ministre des Finances grec, Yanis Varoufakis, est interdit en Allemagne, le second des pays fournisseurs d’armes au pouvoir israélien.
A qui le tour ?
En élargissant le spectre. Pour la seule semaine dernière, on déplore les poursuites contre l’intellectuel communiste Luciano Canfora en Italie. Le licenciement sans ménagement d’Isabelle Saporta de la direction des éditions Fayard passées sous la coupe de l’ogre Bolloré. L’éviction d’Alain Policar du conseil des sages de la laïcité. La multiplication des pressions et des menaces de sanctions dans les universités et les instituts de recherche. La décision du milliardaire – propriétaire du magazine Marianne de ne plus le financer, car son orientation éditoriale ne lui convient plus. On ne compte plus le nombre de militants syndicalistes arrêtés, menacés ou licenciés.
À qui le tour sur cette dangereuse pente de la république autoritaire s’éloignant des féconds idéaux des lumières et de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen ? Le temps n’est encore pas si loin ou les militants et les élus communistes étaient poursuivis pour « atteinte à la sécurité de l’état ». On ne peut pas l’oublier ! On ne doit pas l’oublier !
Dans la violente guerre idéologique soutenant la guerre de classe de l’Occident capitaliste, les tenants des pouvoirs veulent faire taire, diaboliser, accuser les militants de l’application du droit international et de la paix.
Personne ne sera épargné. Les différences, les désaccords, parfois, ne sont pas une raison pour laisser tomber un seul responsable, un seul militant au risque de voir s’approcher le moment où à son tour, il sera jeté dans la fosse des bannissements.
Ne pas banaliser les bannissements !
Au contraire, ne laissons pas banaliser les bannissements. À nous de défendre l’universalité des droits humains.
Le moment est peut-être venu ou forces sociales syndicales, culturelles progressistes ; au-delà tous les démocrates et les authentiques défenseurs de la république construisent un front commun contre les répressions et pour un sursaut démocratique et éthique. En créer les conditions pour qu’il devienne majoritaire devrait devenir une tâche de l’heure !
- L’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, Chypre, la Hongrie, l’Islande, Malte, la Pologne, la Roumanie, la Suède, la Slovaquie, le Vatican, la Tchéquie, la Russie, l’Espagne ont reconnu l’État de Palestine. ↩︎
Image d’illustration : « Résurrection de la censure », 1831, par Jean Ignace Isidore Gérard Grandville – Gallica Digital Library (ID btv1b53006398q), Domaine public.