ÉDITO. Manouchian au Panthéon… dans un pays en route vers l’extrême-droite


Par Noâm Korchi.

Mélinée et Missak Manouchian entrent aujourd’hui au Panthéon. Un événement majeur, rendant hommage à ces deux apatrides communistes, attaché·es à la liberté, la paix et la lutte contre le fascisme. Cette panthéonisation rend plus largement hommage à ces femmes et ces hommes de la Résistance, ayant fait le choix de défendre un pays qui n’était pas le leur à la naissance.

Cette cérémonie est aussi marquée par le contexte politique dans lequel elle prend place, celui d’un pays en plein glissement vers l’extrême-droite.

Fidèle à sa stratégie de “normalisation” engagée depuis plus de dix ans – avec en point d’orgue sa présence à la marche dite “contre l’antisémitisme” de novembre 2023 – le Rassemblement National prend part à la cérémonie. La démarche de Marine Le Pen, qui n’est évidemment pas sincère, peut se résumer ainsi : être visible aux côtés des partis politiques dits “normaux” pour être considérée comme “normale”… sans abandonner aucun de ses dangereux héritages.

L’intronisation au Panthéon d’un combattant antifasciste et de ses camarades des FTP-MOI se fait donc en présence de représentant·es d’un parti politique fondé par un ancien Waffen SS, des miliciens de Vichy et des membres de l’OAS. Missak Manouchian, dans sa lettre d’adieu à Mélinée, appelait à ce que leurs mémoires soient honorées “dignement”. Qu’aurait-il pensé de tout cela ?

Le Président de la République Emmanuel Macron, par opportunisme politique, accompagne cette transformation positive de l’image du RN. Souvenons-nous, il était allé jusqu’à rappeler à l’ordre sa Première Ministre de l’époque, lorsque celle-ci qualifiait le Rassemblement National d’héritiers de Pétain.

A travers l’adoption du vocabulaire de l’extrême-droite (« grand remplacement », « français de papier »…) et de lois ouvertement xénophobes telles la loi immigration, la majorité présidentielle comme Les Républicains, n’ont eu de cesse de légitimer le Rassemblement National.

Rappelons, enfin, que l’arrivée de Missak Manouchian, héros apatride, au Panthéon se fait quelques jours après l’annonce de la suppression à venir du droit du sol à Mayotte ; une proposition politique en opposition avec les principes fondateurs de la République française.

Missak Manouchian est mort pour la France, pour la paix, contre le nazisme. Alors comment, dans les conditions actuelles, continuer son combat ? Cela commence sans doute par se pénétrer de l’idée que nous ne sommes plus en 1939, mais en 2024. Que le visage de l’extrême-droite, n’est plus le même et qu’il est très peu probable que demain, elle parvienne au pouvoir à la faveur d’une occupation militaire étrangère. Que nos références, nos méthodes, nos arguments, méritent donc d’être revus pour répondre aux formes nouvelles de la lutte antifasciste.

C’est à ce prix, en s’organisant avec plus de volonté, plus d’efficacité aussi, pour barrer la route au pire, que nous rendrons véritablement honneur à l’engagement de Missak et Mélinée. Jean Jaurès, autre illustre occupant du Panthéon depuis cent ans, écrivait justement : “C’est en allant vers la mer que le fleuve reste fidèle à sa source”. Alors, en route !


Image d’illustration : « Stèle édifiée à la mémoire du résistant et militant communiste d’origine arménienne Missak Manouchian à Marseille », par Jeanne Menjoulet (CC BY 2.0)


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