Israël-Palestine : vaincre la guerre


Le parti pris de Nos Révolutions (discuté le 4 novembre et mis à jour le 8 novembre 2023).

Le 7 octobre, l’attaque inédite du Hamas en Israël, conduite au sol, par la mer et dans les airs, méthodiquement planifiée depuis des mois pour tuer le plus de civils possible, a choqué des millions d’entre nous par sa violence et son ampleur. La réaction du gouvernement d’extrême-droite israélien ne s’est pas faite attendre. C’est désormais le peuple palestinien qu’il assassine sans pitié, avec la bénédiction ou le silence de nombre de gouvernements occidentaux.

Face à la gravité des événements en cours, il est vital de ne céder ni aux arguments d’autorité médiatiques, ni aux injonctions à « l’unité » derrière l’extrême-droite israélienne. Cela suppose de refuser toute propagande de guerre pour s’attacher uniquement aux faits et à leur compréhension.

Quel est le sens de la guerre en cours à Gaza, et de quelle dynamique mondiale participe-t-elle ? Alors que le conflit engendre tensions et menaces partout dans le monde, quelle position adopter face à l’essor du djihadisme ? Comment comprendre la position de la France ? Et enfin dans ce marasme, la paix est-elle encore possible et crédible ? Ce sont les questions posées, et les pistes explorées, par ce texte.

Un nouveau 11 septembre 2001 ?

22 ans après le 11 septembre 2001, la « guerre au terrorisme » semble avoir trouvé une nouvelle jeunesse. Ce concept, employé par GW. Bush après les attentats du World Trade Center, est réutilisé par B. Netanyahu pour justifier la riposte en cours à Gaza. Cette référence ne procède pas uniquement de la stratégie de communication ; elle révèle une démarche politique extrêmement dangereuse.

La proclamation de « guerre au terrorisme » – terrorisme ici incarné par le Hamas – ne vise nullement à rendre justice aux plus de 1 400 morts israélien·nes, ni même à assurer la sécurité d’Israël ou du Proche-Orient. Non, il s’agit de tout autre chose : profiter du choc causé aux populations pour justifier le nettoyage ethnique de Gaza, les crimes de masse partout contre les Palestinien·nes, et au plan intérieur, l’état de guerre permanent, comprenant la suspension de facto du pluralisme démocratique. Ainsi avant même que les victimes du Hamas ne soient enterrées et au mépris de la vie des otages, le gouvernement Netanyahu, rapidement transformé en « cabinet de guerre », avait lancé une opération militaire inédite sur la bande de Gaza – prolongement direct de la guerre coloniale qu’il conduit depuis des années.

Après 20 jours de bombardements, le 28 octobre a vu l’intensification des frappes et le début de l’invasion terrestre. On dénombre des dizaines de milliers de morts et blessé·es Palestinien·nes. Les télécommunications coupées, le massacre de civils innocent·es peut se poursuivre en silence… avec la complicité de nombreuses chancelleries occidentales !

Qualifiée par Netanyahu de « deuxième guerre d’indépendance », l’opération en cours pourrait bien avoir pour finalité la réalisation du « Grand Israël », vieux rêve de l’extrême-droite israélienne supposant la reprise de Gaza et l’extermination ou l’expulsion des 5 millions de Palestinien·nes encore sur leurs terres. Tout comme les attentats du 11 septembre 2001 furent suivis des terribles guerres d’Afghanistan et d’Irak, les massacres du 7 octobre 2023 débouchent sous nos yeux sur une catastrophe d’ampleur mondiale. Jusqu’à quel point ?

Le spectre d’une guerre globale ?

Si elle s’inscrit dans l’histoire bientôt centenaire du conflit colonial en Palestine, la guerre déclenchée le 7 octobre n’a rien à voir, ni par son ampleur ni par les dangers qu’elle comporte, avec les précédentes confrontations, des deux Intifadas de 1987-1993 et 2000-2005 aux guerres de Gaza de 2008-2009 et 2014. Ce conflit, contrairement à tous ceux qui l’ont précédé, semble s’inscrire dans la dangereuse montée des tensions au plan mondial. L’engrenage avec le Hezbollah à la frontière libanaise, le risque d’implication de l’Iran face à Israël et aux États-Unis, le ton martial de la Turquie, les postures de la Russie et de la Chine, en attestent.

Certains tentent même de réaliser la jonction des différents fronts de guerre au plan mondial, à l’image du président ukrainien V. Zelensky qui affirme ranger Poutine et le Hamas dans le même camp. Enfin, des tensions intra-nationales se font jour partout dans le monde : attentats d’Arras et de Bruxelles, nombreuses agressions contre des Juifs, actes islamophobes… Dans le monde, des millions de personnes de confession ou de culture juive se trouvent pris·es en étau entre la politique extrémiste de Netanyahu, que majoritairement ils et elles ne partagent pas, et la pression de l’antisémitisme et du racisme grandissants. Dans ce contexte l’instrumentalisation de la lutte contre l’antisémitisme, à l’image de la marche appelée par Braun-Pivet et Larcher à laquelle participeront le RN et Reconquête, est insupportable et doit être dénoncée.

À travers toutes ces menaces, chacun sent bien que nous avons basculé dans une nouvelle époque. Partout les idéologies nationalistes agressives progressent, portant à la tête des États des leaders belliqueux et violents. Cela se vérifie sur toute la surface du globe, de l’essor des extrême-droites européennes à l’inflexion panrussiste de Poutine, en passant par le renouveau des islamismes ou encore la longévité de l’extrémisme hindouiste de Modi…

Nous vivons en fait l’éclosion d’un processus en germe depuis 2001 et la fin de la toute puissance états-unienne incontestée : le passage du capitalisme en phase impérialiste. Empêtrés dans l’interminable crise déclenchée en 2007-2008, ayant déjà englouti tous les marchés à leur portée, les grands conglomérats capitalistes de la planète n’ont plus qu’une option : se dévorer les uns les autres. Des minerais congolais au blé ukrainien, du pétrole syrien au soja brésilien, la guerre pour les ressources et les marchés devient implacable. Cette guerre commerciale devient rapidement militaire, car les intérêts de ces géants se confondent avec ceux de leurs États respectifs. Partout, les capitalistes promeuvent donc les leaders répondant à leurs besoins du moment, c’est-à-dire des leaders nationalistes et belliqueux.

Or comme nous l’enseigne le XXe siècle, c’est la confrontation des nationalismes, et les réactions en chaîne qu’elle entraîne, qui peut rendre la guerre mondiale. Concernant le Proche-Orient, on voit bien le rôle actif qu’a joué l’extrême-droite israélienne en multipliant les mesures vexatoires contre les Palestinien·nes, en accélérant la colonisation et en soutenant activement le Hamas1. Le financement et l’armement de l’organisation islamiste par l’Iran et le Qatar est aussi bien connu. Ces deux États, dirigés tout comme Israël par des nationalistes belliqueux, ont travaillé ici à promouvoir un acteur non-étatique, ne rendant de comptes dans aucune enceinte internationale. Ce même mécanisme a été employé par les Russes autour du groupe Wagner… avec les résultats que l’on sait.

Dans ce contexte d’un monde multipolaire, la dénonciation de l’impérialisme comprend donc nécessairement la dénonciation de la politique extérieure de la France, de celle des USA et de l’Otan en général, qui s’appuient sur un nationalisme “occidentaliste” longtemps hégémonique. Mais elle ne s’y limite pas. Comment serait-elle crédible sans dénoncer avec la même vigueur les prédations russes, chinoises ou bien encore turques ?

La fabrique du djihadisme

La France, comme d’autres États européens, a été confrontée sur son sol à l’action violente d’acteurs non-étatiques, voire de simples individus plus ou moins coordonnés. Depuis 2015, de nombreux attentats meurtriers ont frappé notre peuple. Le dernier en date, l’assassinat d’un professeur de français à Arras, est ostensiblement lié à la guerre en cours au Proche-Orient. Cette imbrication entre la guerre lointaine, qu’on peut souvent en Europe se permettre d’ignorer, et l’acte terroriste qui peut frapper un village français « sans histoire », est troublante… et pourtant tout à fait logique.

Après les tapis de bombes déversés ces vingt dernières années par les grandes puissances en Afghanistan, en Irak, en Libye, en Syrie, le Proche et le Moyen-Orient ont été rendus totalement exsangues. Une fois ces États écroulés et leurs économies dévastées, les sociétés ont été plongées dans le chaos et le règne de la violence. Comment s’étonner, dans ces conditions, qu’émergent sur ces ruines des fanatiques tels que l’État islamique ? Tant d’autres nations, écrasées par la force et niées dans leur existence même, ont pu donner naissance à des monstres. Pensons à la Tchétchénie, ensanglantée par l’impérialisme russe dans les années 2000, et dont deux ressortissants sont en cause dans les assassinats de Samuel Paty et Dominique Bernard…

Cette vérité si dure à entendre doit être exprimée : ceux qui, par l’agression impérialiste permanente, bâtissent un monde de passions réactionnaires, de haines revanchardes et d’obscurantisme, ceux-là créent aussi un monde où le terrorisme et la guerre sont mis au service de ces idéologies. Le djihadisme n’a pas d’autre base que celle-là ! C’est pourquoi la liberté des Palestinien·nes est le plus sûr chemin pour la paix mondiale, mais aussi pour la sécurité nationale de la France. Leur libération, l’institution d’un État palestinien, constitue en effet un premier pas vers la nécessaire restauration des droits de tous les peuples, la stabilité démocratique et le développement harmonieux de la région.

Évidemment, travailler à l’extinction du djihadisme dans le monde ne dispense pas d’adopter une politique vigoureuse de gestion du risque terroriste. Au plan intérieur, celle-ci devrait reposer sur des efforts permanents de séparation entre les fanatiques nationalistes ou religieux et les populations au nom desquelles ils prétendent agir. Il est donc essentiel de refuser tout amalgame. De ce point de vue, les commanditaires des campagnes politico-médiatiques qui visent depuis des années nos compatriotes musulmans agissent comme des alliés objectifs du terrorisme islamiste. Au plan extérieur enfin, déployer une diplomatie anti-djihadiste supposerait de rompre nos liens douteux avec le Qatar, de dénoncer la duplicité d’Erdogan (et de fait, de Nethanyahu), mais aussi d’appuyer toutes les forces démocratiques au Proche et Moyen-Orient dont les Kurdes, toujours actuellement en première ligne face à l’État islamique dans le nord-est syrien.

Une singulière dérive française

Cette politique étrangère audacieuse au service de la paix, notre pays s’en éloigne chaque jour un peu plus. Dans les années 1990 et 2000, le compromis chiraquien résumait la politique étrangère française : conservation jalouse du « pré carré » français en Afrique de l’Ouest, mais contestation de l’interventionnisme étasunien au Moyen-Orient. Cette équation, celle d’une puissance impérialiste de second rang, n’est guère plus exprimée aujourd’hui que par D. De Villepin, certes avec un certain panache. Rompue brutalement par N. Sarkozy qui lui préféra le commandement intégré de l’Otan, cette politique d’équilibre fut successivement rejetée par F. Hollande puis par E. Macron qui, au-delà de ses discours creux sur l’autonomie stratégique européenne, nous engage comme jamais dans le suivisme atlantiste. Le décalage entre l’image de la position française qui persistait encore dans les pays arabes, et la réaction présidentielle à la guerre de Gaza, a ainsi profondément choqué.

Cette dérive française s’est aussi manifestée par l’autoritarisme du gouvernement, qui a interdit de manifester et violenté celles et ceux qui tentaient de s’exprimer ; quand des membres de la majorité présidentielle n’ont pas carrément appelé à la dissolution de partis d’oppositions ! Personne n’est dupe : aucune de ces mesures ne vise à protéger la population ou à garantir la paix civile. Il s’agit de réaliser un programme politique précis pour la France : la sortie du champ démocratique, du débat politique, pour entrer dans celui de l’union, voire de la communion, nationale… un peu comme si la France était en guerre.

Cet atlantisme violent n’est pas seulement l’œuvre de nos gouvernants. La France dispose aussi de figures médiatiques parmi les plus agressives au monde dans leur soutien à l’extrême-droite israélienne. À de rares exceptions près (L’Humanité, Médiapart, Orient XXI…), la presse française est largement influencée par le camp de la guerre. Se joignant dans un premier temps au concert morbide de l’extrême-droite, de la droite et de la macronie, une partie de l’opposition de gauche a d’ailleurs perdu les pédales sous la pression médiatique, appelant à dissoudre la NUPES car LFI n’aurait pas employé les bons termes pour condamner le Hamas. Cette manœuvre politicienne, au PS, et plus étonnamment de certain·es à EELV et au PCF, n’honore pas leurs auteurs. Certains se sont d’ailleurs repris depuis, comprenant l’étendue de leur erreur face au massacre en cours à Gaza.

En réalité, comme l’écrit Patrick Le Hyaric le 30 octobre sur Nos Révolutions « Personne à gauche, ni dans les partis, ni dans le mouvement syndical ou associatif, n’a une seule seconde exonéré le Hamas de ses horribles crimes, de sa violence terroriste, qui font tant de mal aux citoyennes et citoyens israéliens. […] Tout le monde à gauche condamne le terrorisme, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, quel que soit le drapeau ou la religion au nom desquels ils sont commis. ». Les désaccords avec certaines expressions de LFI ou du NPA sont légitimes, et doivent pouvoir s’exprimer. Mais les différences d’analyses ne devraient-elles pas avoir droit de cité ? Le « pluralisme » que d’aucuns ont revendiqué dans la NUPES, ne devrait-il pas s’appliquer en l’espèce ?

Comment vaincre la guerre ?

Face à tant d’acharnement des promoteurs de la guerre, la cause de la paix et de la justice pourrait paraître désespérée. Pourtant, des chemins existent encore vers la libération du peuple palestinien : ceux de la solidarité internationale. Déjà, au-delà des marches puissantes et pacifiques qui s’élancent partout dans le monde, des actions courageuses sont entreprises pour briser l’engrenage de la guerre d’extermination. Au Royaume-Uni, des travailleurs affirment leur refus de produire les armes destinées aux basses œuvres de l’armée israélienne2. En Belgique et en Catalogne, les syndicats des transports refusent de les transporter. Il est urgent de soutenir et valoriser ces initiatives, tout comme « We Will Return », campagne de 25 artistes du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord en soutien aux enfants palestiniens3.

Pour combattre le poison des nationalismes guerriers, l’urgence est aussi à faire tomber les masques, à dénoncer les faux-semblants humanitaires des soutiens de l’extrême-droite israélienne, mais aussi de ceux du Hamas. Erdogan, si loquace pour dénoncer les crimes commis par Israël contre les Palestinien·nes, est-il prêt à élever la voix pour défendre les droits des Kurdes ? Les États occidentaux, mobilisés en 2022 pour réclamer, à raison, le retrait des troupes russes d’Ukraine, sont-ils prêts à exprimer en 2023, avec les mêmes critères c’est-à-dire le droit international, le retrait des troupes israéliennes des territoires palestiniens ?

Cette dénonciation constante de la duplicité des nationalistes (et plus largement, des politiciens bourgeois) est essentielle. En effet personne n’est dupe : pour vaincre la guerre, il faut vaincre la politique dont elle réalise le programme. Bien loin des hypocrisies des différents blocs impérialistes, la seule position conséquente est de soutenir partout et en toutes circonstances le droit à l’autodétermination des peuples.

Pour vaincre la guerre, gagner la paix et la liberté pour le peuple palestinien aux côtés d’Israël, une revendication monte de toutes parts : le peuple palestinien doit disposer de ses représentant·es légitimement élu·es. C’est le sens de l’exigence de liberté pour Marwan Barghouti, député palestinien, prisonnier politique depuis 2001. Leader incontestable de son peuple, les derniers sondages le placent largement en tête d’une hypothétique élection présidentielle, à 62% des suffrages ! Battant dans toutes les hypothèses le Hamas à plat de couture, Marwan Barghouti serait en mesure d’unir son peuple vers la création d’un État palestinien. C’est bien pourquoi l’extrême-droite israélienne le garde dans ses geôles ! Pour la paix au Proche-Orient, la libération de Marwan Barghouti s’impose comme une évidence. Pour contribuer à cette campagne, Nos Révolutions lance dès à présent un appel public en ce sens.

Signataires :

David Arabia
Josselin Aubry
Pierre Beaufort
Chloé Beignon
Aurélie Biancarelli-Lopes
Hugo Blossier
Hadrien Bortot
Sophie Bournot
Marie-Pierre Boursier
Juan Francisco Cohu
Nicolas Defoor
Manel D.
Anaïs Fley
Théo Froger
Nadine Garcia
Laureen Genthon
Nina Goualier
Antoine Guerreiro
Nicolas Haincourt
Marie Jay
Noam Korchi
Bastien Marchina
Colette
Nuria Moraga
Frank Mouly
Martine Nativi
Philippe Pellegrini
Hugo Pompougnac
Katia Ruiz-Berrocal
Lydia Samarbakhsh
Bradley Smith
Lola Sudreau
Laurène Thibault
Armeline Videcoq-Bard


  1. https://lvsl.fr/likoud-et-hamas-histoire-dun-renforcement-mutuel/ ↩︎
  2. https://novaramedia.com/2023/10/26/arms-factory-blockaded-as-calls-for-practical-solidarity-with-palestine-grow/ ↩︎
  3. https://www.instagram.com/reel/CzEd7Xbi1ti/?igshid=MzRlODBiNWFlZA%3D%3D ↩︎

Image d’illustration : Graffiti de Banksy sur le mur de séparation entre Jérusalem et la Cisjordanie, par Kate, get the picture (CC BY-ND 2.0)


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