ÉDITO. 10 septembre : de la crise à l’alternative politique ?


Shares

Sur fond de crise institutionnelle et politique, marquée par la démission de François Bayrou après avoir perdu le vote de confiance devant l’Assemblée Nationale, le pays a ouvert une nouvelle page de son histoire sociale avec “Bloquons tout”. Loin de l’image d’un mouvement isolé que le pouvoir tente d’imposer sur tous les plateaux télé et dans les journaux, cette journée a été une réussite.

La première victoire est celle du nombre : 300 000 manifestant·es se sont mobilisés, soit un ordre de gradeur équivalent à l’« Acte 2 » des Gilets jaunes. La deuxième victoire est celle de l’entrée en scène d’un mouvement très jeune, nourri par de nouvelles générations qui, à leur tour, ont pris place dans la bataille contre Macron et son gouvernement, en (ap)portant leurs propres revendications et modes d’action. La troisième victoire réside dans la convergence de toutes les franges organisées de la société issues de mouvements spécifiques : les Gilets jaunes, des collectifs autonomes, des étudiant·es et lycéen·nes, des paysan·nes, ainsi que des militant·es venu·es d’organisations politiques et syndicales.

Ce mouvement n’est pas apparu par hasard. Il est le fruit d’une accumulation : des projets de réformes au bénéfice des plus privilégiés – comme la suppression de deux jours fériés – l’aggravation de la pauvreté, et l’attitude méprisante d’un pouvoir qui s’efforce d’étouffer toute aspiration populaire. Il est l’expression directe de la colère sociale profondément enracinée dans les classes populaires. C’est pour cette raison que, depuis plus d’un mois, partout en France, des réunions, des débats et des coordinations ont permis de préparer ce mouvement du 10 septembre lancé d’abord sur les réseaux sociaux. Cette date était dans l’esprit de nombreux Français·es et a fait l’objet de nombreuses discussions dans les familles, les cercles d’amis et les lieux de travail.

L’État, lui aussi, apprend de chaque mouvement social et adapte ses stratégies en conséquence, allant encore plus loin briser les mobilisations sociales. En réponse au mouvement, Macron et ses relais ont, comme depuis huit ans, choisi la répression du mouvement social : usage massif des forces de police, mobilisation de 80 000 gendarmes et policiers (contre 35 000 pour les JO et 60 000 au plus fort de la crise des Gilets jaunes), contrôle renforcé des espaces de mobilisation, exclusion de nombreux journalistes, méthodes de maintien de l’ordre toujours plus brutales et recours accru à des moyens matériels de surveillance, comme l’usage de drones dans les zones rurales. 

Mais chaque vague de violences policières a aussi produit son lot d’apprentissages et de savoir-faire pour le mouvement social : constitution de cortèges de protection, réflexion sur les rythmes d’occupation, stratégies pour disperser ou contenir les offensives policières, multiplication des points de manifestation…

De la même manière,  les méthodes déployées lors de cette journée – grèves syndicales, blocages, actions coups de poing, barrages filtrants aux ronds-points et péages, Assemblées Générales en plein air – s’inscrivent dans le prolongement des expériences accumulées au fil des luttes de ces dernières années : Nuit debout, Gilets jaunes, manifestations spontanées durant la réforme des retraites, occupations contre les projets autoroutiers (A69) ou agricoles (Sainte-Soline), révoltes urbaines après la mort de Nahel ou encore mobilisation contre la loi Duplomb, qui avait rassemblé plus de deux millions de signatures en juillet dernier.

C’est dans cet esprit collectif qu’hier soir, des milliers de personnes se sont réunies pour tirer les premiers bilans de la journée de mobilisation. Les questions qui se posent désormais pour le mouvement sont multiples :
Comment élargir la base contestataire et massifier un mouvement qui regroupe principalement des personnes déjà engagées dans les luttes sociales ? Faut-il multiplier les journées ponctuelles, à la manière des Gilets jaunes, ou occuper l’espace public en continu, comme Nuit debout ?
– Il s’agit aussi de trouver un équilibre entre la pression constante, le non-épuisement des forces manifestantes et le temps nécessaire à l’organisation d’actions de type blocages. Autre enjeu soulevé : permettre la liberté d’initiative des groupes mobilisés tout en préservant des moments d’unité d’action. Enfin, comment soutenir et intensifier le mouvement syndical et son calendrier, sans pour autant s’y enfermer pleinement.

C’est dans les assemblées générales que ces points de tension se débattent, s’affrontent et trouvent, pas à pas, le chemin des réponses collectives.

Reste enfin la question de l’attitude des forces politiques de gauche face au mouvement. Tandis que les sociaux-libéraux (dont la ligne semble désormais dominer au PS) appellent au compromis avec Macron, une partie de la gauche (EELV, PCF) mise sur l’unité autour du NFP (en faisant abstraction des questions qui l’ont fait exploser), tandis que d’autres (LFI) plaident pour une rupture nette en appelant à la destitution de Macron et à une présidentielle. Mais tous tendent à oublier le maillon essentiel : le mouvement populaire et son rôle politique décisif.

Sans son efficacité et sa capacité d’action, aucune victoire durable de la gauche n’est possible. Plutôt que de s’user dans les tractations de couloirs qui n’intéressent personne, elle gagnerait à s’ancrer pleinement dans ces mobilisations, là où s’invente et se construit, dans la rue et les assemblées, la suite du 10 septembre et l’avenir du pays

Le 10 septembre a démontré encore une fois qu’en France, les forces existent, prêtes à relever les défis d’une crise qui s’aggrave. Elles sont porteuses d’exigences démocratiques et  ouvrent des perspectives politiques nouvelles (départ de Macron, 6ème République, RIC…) L’enjeu, désormais, est de transformer cet élan en une dynamique durable : consolider les liens, élargir la base de la contestation, renforcer le niveau de conscience et faire grandir l’idée que  nous sommes la clé du changement. Plus le mouvement saura s’organiser et parler d’une voix claire, plus il s’imposera comme l’alternative nécessaire au système qui entretient le chaos et l’impasse démocratique.


Image d’illustration : Photographie du 10 septembre 2025 – Nos Révolutions

Shares

fr_FRFrançais