ÉDITO. Crise de régime, crise de système


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Nous vivons une période de bascule politique. Le gouvernement Bayrou ne tient plus qu’à un vote, miné par ses contradictions et par une colère populaire qui monte partout dans le pays. Le 8 septembre, il devrait tomber. Certains parlent d’une crise institutionnelle, d’autres d’une crise de régime. Mais il faut aller plus loin : ce n’est pas seulement la mécanique de la Ve République qui est en cause, c’est l’ensemble du système politique, économique et social qui arrive à bout de souffle.

La tripartition du champ politique en est le symptôme le plus visible. Le vieux bipartisme, qui servait de pilier à la stabilité bourgeoise, a volé en éclats. Trois pôles s’affrontent désormais. D’un côté la droite classique, affaiblie, mais toujours protectrice des intérêts financiers. De l’autre une extrême droite qui se présente comme une alternative, mais qui n’est qu’une solution de rechange pour les mêmes milieux d’affaires. Enfin une gauche divisée, où cohabitent des forces d’accompagnement – prêtes à composer avec le capitalisme – et des forces de rupture, qui veulent transformer la société en profondeur.

C’est dans ce contexte que Nicolas Sarkozy orchestre aujourd’hui le rapprochement entre la droite traditionnelle et le Rassemblement national. Bardella et Le Pen sont devenus fréquentables parce qu’ils rassurent la finance, les grands patrons, les tenants de l’ordre établi. L’extrême droite n’a jamais été autre chose que le camp du capital. Sa prétendue radicalité se dissout dès qu’il s’agit de protéger les dividendes, les niches fiscales ou la spéculation. Ceux qui croient qu’elle s’opposera à l’austérité ou qu’elle défendra les salarié·es se trompent lourdement : ses votes au Parlement européen, comme à l’Assemblée nationale, le prouvent chaque jour. La construction de la figure de l’immigré ou du « profiteur » relève d’une mystification : détourner la colère, en attisant la haine xénophobe, pour ne jamais remettre en cause le système.

Dans ce paysage, la social-démocratie persiste à croire qu’il existe une voie médiane, faite de compromis permanents avec le marché. Mais ces compromis (quand bien même ils seraient possibles) ne mèneraient qu’à l’impuissance. Partout, les inégalités deviennent insupportables, la précarité s’étend, la jeunesse se sent sacrifiée.

Pendant ce temps, on nous répète à longueur de journée que la dette serait le problème central. Ce discours n’est qu’un mensonge. La dette n’est pas une fatalité, mais un choix politique : un appauvrissement volontaire des États pour enrichir la finance et la rente. Présentée comme une loi naturelle, elle n’est qu’un instrument idéologique destiné à justifier les politiques d’austérité. Les Français·es l’ont bien compris : ce chantage à la dette pour financer une énième guerre impérialiste est indécent.

Ce mensonge est d’autant plus révoltant que, dans le même temps, le monde assiste en direct à des tragédies massives sans que rien ne soit fait pour arrêter la mécanique de destruction. Le peuple palestinien subit depuis des décennies un régime d’apartheid, la colonisation, les massacres, sans que les grandes puissances n’aient la moindre volonté d’imposer la paix et la justice. En Afrique, le colonialisme et les guerres d’ingérence ont fait des millions de morts en République démocratique du Congo, le plus grand pays francophone du monde, au cœur du système mondial d’exploitation des ressources. Ces massacres, liés au pillage du coltan, du cobalt ou de l’or, n’ont suscité que le silence ou l’indifférence des élites françaises et européennes. Voilà la vérité de l’impérialisme : la misère et la mort pour les peuples, les profits pour une minorité.

Face à cette situation, il y a deux chemins possibles pour la gauche. Soit celui de l’accompagnement, qui cherche à gouverner sans rien changer de fondamental, et qui se condamne à l’échec. Soit celui de la transformation, qui assume d’attaquer le cœur du système : la logique de profit, la toute-puissance des marchés, l’exploitation des travailleurs et de la planète. C’est ce second chemin que nous devons choisir.

Car l’urgence n’est pas seulement sociale, elle est aussi écologique. Le réchauffement climatique, la destruction des écosystèmes, l’artificialisation des terres montrent chaque jour que le capitalisme n’est pas compatible avec la survie de l’humanité. La transformation de l’économie doit être radicale : planification écologique, réappropriation publique des secteurs stratégiques, développement des biens communs.

C’est d’une République réellement sociale et démocratique dont nous avons besoin. Une République qui ne se contente pas de proclamer des droits, mais qui les garantit effectivement. Une République qui renforce les libertés collectives, y compris dans l’économie, en donnant aux travailleuses et travailleurs, aux habitant·es, aux citoyen·nes la maîtrise de leurs choix. Une République qui place la solidarité, l’égalité, la paix et la protection de la planète au cœur de son projet.

Dans ce moment de crise, beaucoup cherchent des certitudes, des refuges, des solutions de rechange. Notre responsabilité est d’offrir autre chose qu’un replâtrage du vieux monde ou qu’une illusion d’ordre imposée par l’extrême droite. Nous devons porter une alternative crédible, audacieuse, populaire. Non pas pour gérer l’existant, mais pour transformer radicalement la société.

Le 10 septembre ne sera peut-être pas le grand soir. Mais il peut être le point de départ d’une grande clarification : voulons-nous prolonger l’agonie d’un système en crise, ou ouvrir enfin la voie d’une République sociale, écologique, démocratique et solidaire avec les peuples du monde, de Gaza à Kinshasa ?


Image d’illustration : « Plaque de nom de rue à Luxembourg », photographie du 5 octobre 2015 par GilPe (CC BY-SA 4.0)

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