Depuis plusieurs semaines les leaders de la gauche radicale états-unienne, le sénateur Bernie Sanders et la membre du Congrès Alexandria Ocasio-Cortez, ont lancé le ‘Fight Oligarchy Tour’, et rencontré des dizaines de milliers de citoyen·nes américain·es désireux de riposter au trumpisme.
Cet enthousiasme et cette combativité populaires tranchent avec la passivité des hiérarques libéraux du Parti démocrate, complètement transparents depuis le retour de Trump à la Maison Blanche. Solidaire des luttes outre-Atlantique, Nos Révolutions propose ici la traduction in extenso1 du discours de Bernie Sanders, prononcé le 12 avril lors du meeting de Los Angeles.
Bernie Sanders : « Quand Trump et Musk vous voient rassemblés ici, ils ont peur ! »
« Bonsoir Los Angeles !
Incroyable. Il y a des gens à un demi mile d’ici. [Applaudissements] Non, ce n’est pas Bernie, c’est vous [Applaudissements].
Je veux remercier nos frères et sœurs du mouvement syndical pour leur présence aujourd’hui. Merci à Unite Here, au syndicat LIUNA Local 724, à l’ILWU (les dockers), aux infirmières du CNA, de NYSNA, de NUHW, de Kaiser, aux enseignant·es de l’UTLA, aux ouvrier·es de l’UAW, à la Fédération du travail de Californie, à l’AFL-CIO.
Et aujourd’hui, avec nos camarades du mouvement syndical, nous faisons une promesse : faire grandir ce mouvement. Des millions de travailleurs veulent rejoindre des syndicats parce qu’ils savent qu’ils y trouveront de meilleurs salaires, de meilleurs droits, de meilleures conditions. Alors faisons-le.
Je veux aussi remercier les musicien·nes qui nous ont accompagné aujourd’hui : Ray’s Gospel Choir, les Red Pears, Jeff Rosenstock, Indigo De Souza, les Dirty Projectors, Joan Baez, Maggie Rogers, Neil Young.
Et vous savez pourquoi nous avions tous ces artistes aujourd’hui ? Pas seulement pour vous divertir. Parce que nous allons faire notre révolution dans la joie. Nous allons chanter et danser vers la victoire contre la haine et la division [Applaudissements].
Je remercie aussi les responsables politiques présents ici : Ro, Pramila et Jimmy — merci. Et surtout, je vous remercie vous, tous et toutes. Je veux vous dire quelque chose : vous rendez Donald Trump très nerveux. Il y a 36 000 personnes ici ce soir. C’est le plus grand rassemblement que nous ayons jamais eu. Et votre présence ce soir rend Donald Trump et Elon Musk très nerveux.
La dernière fois que nous avons tenu un meeting à Denver — un peu plus petit que celui-ci — Elon Musk a déclaré que la majorité des personnes présentes étaient des organisateurs payés. Est-ce que quelqu’un ici a été payé pour venir ?
Et Trump, jaloux de la taille de nos rassemblements, a menti en affirmant que nous n’avions que deux ou trois mille personnes. Alors je l’invite à venir à Los Angeles et expliquer pourquoi il pense qu’il faut couper Medicaid, les aides à la nutrition et la santé… pour donner des réductions fiscales aux milliardaires. Les gens de Los Angeles seraient ravis de l’entendre dire ça.
Pourquoi sommes-nous ici aujourd’hui ? Parce que nous vivons un moment de danger extrême. Et notre réponse à ce moment décidera non seulement de notre avenir, mais aussi de celui de nos enfants, des générations futures — et pour ce qui est du climat, de la survie même de notre planète.
Nous vivons une époque où une poignée de milliardaires contrôle la vie économique et politique de ce pays. Un président est au pouvoir sans respect ni compréhension de la Constitution, qui nous pousse vers l’autoritarisme. Et M. Trump, nous n’irons pas dans ce sens.
Le Parti républicain est devenu, en grande partie, un culte de la personnalité au service de Trump. Pendant qu’ils planifient 1 100 milliards de réductions d’impôts pour les 1% les plus riches, ils veulent détruire les programmes dont dépendent les familles ouvrières.
Hier encore, Elon Musk s’est moqué de mes discours sur l’oligarchie. Mais il a raison : j’en parle depuis des années. La différence, c’est que je ne parle plus d’un pays en train de devenir une oligarchie. Nous y sommes déjà.
Souvenez-vous de janvier : lors de l’investiture de Trump, juste derrière lui se tenaient les trois hommes les plus riches du pays — Musk, Bezos, Zuckerberg. Et derrière eux : treize autres milliardaires, nommés pour diriger les grandes agences fédérales. C’est ça, l’oligarchie.
J’ai repensé récemment à mes cours d’histoire en sixième. En 1863, Abraham Lincoln, sur le champ de bataille de Gettysburg, après la mort de 20 000 soldats de l’Union qui combattaient l’esclavage, a dit : « Nous sommes ici pour que ces morts ne soient pas morts en vain, que cette nation connaisse une nouvelle naissance de liberté, et que le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ne disparaisse jamais de la Terre. ». C’est exactement pour ça que nous sommes là. Pour que le gouvernement du peuple ne soit pas remplacé par celui des milliardaires.
Le peuple américain ne veut pas que l’homme le plus riche du monde dirige Washington. Il ne veut pas qu’il affaiblisse la Sécurité sociale ou qu’il licencie 83 000 travailleurs du département des anciens combattants. Il ne veut pas qu’il démantèle l’éducation et l’aide internationale, provoquant la mort de centaines de milliers de personnes.
Et l’oligarchie, ce n’est pas que de l’économie. C’est aussi un système de financement électoral corrompu où les milliardaires achètent les élections. Musk peut donner 270 millions à Trump, et recevoir en retour les clés du gouvernement.
Et ce ne sont pas que les Républicains : les milliardaires influencent aussi les démocrates, leur disant de ne pas s’opposer aux intérêts puissants. Trop de démocrates les écoutent. C’est pourquoi nous devons abroger la décision Citizens United2 et passer à un financement public des campagnes. Une personne, une voix — pas des élections achetées par les riches.
Les oligarques sont très religieux. Mais leur religion, c’est la cupidité. Leur dogme : toujours plus, quel qu’en soit le prix. Même s’il faut piétiner les pauvres, les handicapés et les travailleurs. Ils sont accros à l’argent. Et cette addiction, nous devons l’arrêter.
Mais ce n’est pas tout. Nous affrontons un président qui piétine la Constitution, attaque la liberté d’expression, et fait enlever des gens innocents dans la rue. Cela n’arrive pas dans une démocratie, mais dans une dictature. Et nous allons l’arrêter.
Trump veut un pouvoir sans limite. Mais ce pays a été fondé pour qu’aucun homme n’ait un tel pouvoir. Il poursuit les médias pour avoir critiqué ses mensonges. Il fait pression sur les juges, les avocats, les universités. Il attaque la séparation des pouvoirs, l’un des fondements de notre République.
Et en politique étrangère ? Il se range du côté des dictateurs. Non, M. Trump, ce n’est pas l’Ukraine qui a commencé la guerre — c’est Poutine. Et non, Israël n’a pas le droit de faire la guerre à tout un peuple. 50 000 morts, 100 000 blessés, Gaza rayée de la carte : et maintenant Trump veut expulser 2 millions de Gazaouis pour en faire un terrain de jeu pour milliardaires ? Jamais nous ne laisserons cela arriver.
Alors oui, notre travail, ce n’est pas seulement de combattre l’oligarchie ou l’autoritarisme. C’est de construire une économie pour tous, pas seulement pour les plus riches. Aujourd’hui, il y a deux Amériques. Celle des 1%, qui n’a jamais été aussi riche. Et celle des 60% qui vivent suspendus à leur feuille de paie, et meurent en moyenne sept ans plus tôt.
Depuis 52 ans, les salaires réels des travailleurs ont stagné, malgré une productivité en hausse. 75 000 milliards ont été transférés des travailleurs vers les ultra-riches. La moitié des Américains n’ont rien pour leur retraite. 22% des personnes âgées vivent avec moins de 15 000 dollars par an. 800 000 dorment dans la rue.
Mais nous avons aussi progressé. J’étais là en 1963 au discours de Martin Luther King. Depuis, nous avons avancé contre le racisme, pour les droits des femmes, pour les droits LGBTQ+. Mais sur le terrain économique, nous avons reculé.
En 1944, FDR3 disait que les droits économiques sont des droits humains. Aujourd’hui, en 2025, nous devons reprendre cette bannière. Être humain, c’est avoir droit à un emploi, un logement, des soins de santé, une éducation. Musk et les siens nous voient comme des outils jetables. Il est temps de dire non.
Non aux baisses d’impôts pour les riches. Oui à l’impôt équitable. Non au SMIC fédéral de 7,25 $/h. Oui à un salaire vital. Oui au PRO Act4 pour protéger les syndicats. Oui à l’expansion de la Sécurité sociale. Oui à un système public de santé — Medicare for All. Oui à des logements abordables. Oui à l’université gratuite et à la formation professionnelle.
Et oui, la crise climatique est réelle. Il est temps de quitter les énergies fossiles et d’investir dans les énergies renouvelables. On créera des millions d’emplois en le faisant.
Ce moment est difficile. Mais le désespoir n’est pas une option. Se cacher sous sa couette n’est pas acceptable. Quand Trump et Musk vous voient rassemblés ici, ils ont peur. Parce qu’ils savent que vous êtes la majorité. Le 1%, c’est eux. Les 99%, c’est nous.
Frederick Douglass disait : « Le pouvoir ne concède rien sans exigence. Il ne l’a jamais fait. Il ne le fera jamais. ». Les oligarques possèdent le Congrès, la Maison-Blanche, les médias. Mais ils ne nous possèdent pas.
Et je ne vais pas vous mentir : ce sera difficile. Il faudra se battre quartier par quartier, école par école, entreprise par entreprise. Il faudra éduquer, mobiliser, organiser.
Mais le peuple américain ne veut pas d’oligarchie. Il ne veut pas d’autoritarisme. Il veut un gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple.
Merci à vous tous ! »
À retrouver sur Nos Révolutions : Le discours d’Alexandria Ocasio-Cortez
- Traduction par Hadrien Bortot, assistée par Intelligence Artificielle. ↩︎
- Citizens United v. FEC est une décision de la Cour suprême des États-Unis rendue en 2010, qui a autorisé les entreprises et syndicats à dépenser sans limite dans les campagnes électorales, ouvrant la voie à l’influence massive de l’argent privé dans la politique américaine. Voir Oyez.org ↩︎
- Franklin Delano Roosevelt (FDR), président des États-Unis de 1933 à 1945, a proposé dans son discours sur l’état de l’Union de 1944 une « Deuxième Charte des droits » affirmant que les droits économiques — emploi, logement, soins de santé — sont des droits humains. Voir FDR Library ↩︎
- Le PRO Act (Protecting the Right to Organize Act) est une législation défendue par les démocrates pour renforcer les droits syndicaux, interdire les représailles contre les travailleurs organisateurs, et faciliter les processus de syndicalisation. Voir Congress.gov ↩︎
Image d’illustration : « Bernie Sanders », photographie du 20 mars 2025 par Gage Skidmore (CC BY-SA 2.0)