ÉDITO. Affaire Bétharram : pour la protection des victimes, ou celle des agresseurs ?


Par Marie Jay.

Au sein du collège-lycée catholique Notre-Dame de Bétharram, des centaines d’enfants ont subi violences et humiliations sous le regard complice des institutions religieuses, mais aussi semble-t-il, politiques. Les témoignages décrivent un système où prêtres et surveillants agissaient en toute impunité depuis les années 1950, avec des pratiques éducatives fondées sur la terreur : « le perron » où les élèves attendaient, en sous-vêtements, des châtiments glacials, ou des viols commis en toute impunité.

Derrière ce scandale, c’est toute une logique de domination qui se révèle : les enfants doivent apprendre à se taire et obéir, face à une légitimation des violences au nom d’une prétendue « tradition ».

François Bayrou, l’art du déni stratégique

François Bayrou, député, président du Conseil général des Pyrénées-Atlantiques dans les années 1990 et père d’enfants scolarisés à Bétharram, clame aujourd’hui n’avoir « jamais été informé » des violences sexuelles. Pourtant, les archives révèlent des contradictions troublantes.

En 1996 alors ministre de l’Éducation, il organise une inspection après une plainte pour une claque ayant perforé un tympan. Le rapport, jugé « rassurant », ignore les alertes d’une enseignante sur des sévices quotidiens. En 1998, il rencontre le juge Christian Mirande pendant l’enquête sur le viol commis par le père Carricart, ancien directeur de l’établissement. Il affirme n’avoir parlé que de « l’ambiance », pas du dossier.

Aujourd’hui, Bayrou rejette la faute sur le gouvernement Jospin, citant des signalements adressés à la ministre Élisabeth Guigou entre 1998 et 2000. « Si je ne savais pas, d’autres savaient », lance-t-il à l’Assemblée, minimisant sa propre responsabilité.

Séparer l’Église et l’État, l’urgence démocratique

Le silence coupable autour de Bétharram n’est pas un accident. Il s’inscrit dans une collusion historique entre pouvoirs politique et religieux, grâce à laquelle les établissements privés catholiques bénéficient d’une immunité tacite. La Ciivise (Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants) souligne que 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année en France, sans qu’aucune politique publique ne soit instaurée. Pourtant, le gouvernement enterre les 82 recommandations de cette Commission, refusant d’auditer les dispositifs d’alerte.

Cette inertie sert les intérêts d’un électorat conservateur et de l’extrême droite, qui défendent une vision autoritaire de l’éducation. Preuve de cette orientation politique, le projet de loi de Gabriel Attal sur la justice des mineurs, axé sur la répression plutôt que l’émancipation, ignorant les appels à une approche protectrice de l’enfance.

La Ciivise et le rapport Sauvé, deux symboles du mépris de l’État

Alors que la Ciivise réclame un audit national des structures accueillant des enfants, le gouvernement lui refuse des moyens pérennes. Le rapport Sauvé sur les abus dans l’Église, publié en 2021, est quant à lui relégué aux oubliettes – François Bayrou n’y fait jamais référence, préférant des promesses creuses lors d’une rencontre théâtralisée avec les victimes.

« Cette inaction n’est pas un oubli, mais un choix politique », résume Alain Esquerre, porte-parole des survivants des violences. La « sanctuarisation » des institutions religieuses prime sur la sécurité des enfants, tandis que les victimes se heurtent à un mur de procédures, de prescriptions et de dénis judiciaires.

Pour une culture de la protection

Face à cette logique de prédation, les travaux d’Ernestine Ronai rappellent l’urgence de mettre en place une culture de la protection, que l’on pourrait ainsi résumer ainsi :

  1. Former les professionnels à détecter les violences, au lieu de criminaliser les victimes ;
  2. Conditionner les financements publics au respect de protocoles stricts, brisant l’autonomie toxique des établissements privés ;
  3. Reconnaître les victimes, même lorsque les faits sont prescrits, comme le réclame la Ciivise.

Bétharram n’est pas un cas isolé, mais le miroir d’un système verrouillé par les complicités institutionnelles, pour lequel l’heure des comptes doit sonner. « Entendez la souffrance de tous ces enfants », implorait Alain Esquerre devant Bayrou. C’est la voix que nous devons faire porter aujourd’hui.


Image d’illustration : « Sanctuaire de Notre-Dame de Bétharram », photographie du 14 août 2021 par Florent Pécassou (CC BY-SA 4.0)


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