ÉDITO. Faire face à l’offensive réactionnaire contre l’éducation à la sexualité


Par Manel Djadoun.

Le Conseil supérieur des programmes a publié en mars 2024 un projet d’éducation à la sexualité, allant de la maternelle à la terminale. Alors qu’il n’existait pas de programme pour enseigner la sexualité à l’école, ce programme est une avancée majeure pour l’éducation de nos enfants.

Toutes les études scientifiques le prouvent, les enfants constituent une très grande partie des victimes de violences sexistes et sexuelles.  En France, chaque année, environ 160 000 enfants sont agressés sexuellement, souvent par un membre de leur famille.

D’après le dernier sondage Ipsos réalisé en novembre 2020, 1 Français sur 10 confie avoir été victime d’inceste, soit presque 6,7 millions de personnes. Cela représente trois élèves dans une classe qui compte 30 élèves. Des garçons et des filles de tous les milieux sociaux sont concernés. La première agression survient, en moyenne, à l’âge de 9 ans. Dans l’immense majorité des cas, les auteurs sont des hommes.

1 enfant est victime d’inceste, de viol ou d’agression sexuelle toutes les 3 minutes. Selon l’ARCOM, plus de la moitié des garçons de 12-13 ans regardent des sites pornographiques chaque mois, ainsi qu’un quart des 10-11 ans. Ainsi, les sites pornographiques sont les premiers lieux d’apprentissage de la sexualité des jeunes. Ils y apprennent la sexualité violente, sans consentement, sans liens affectifs. Plus généralement, les inégalités de traitement, de réussite scolaire, d’orientation et de carrière professionnelle sont réelles et persistent entre filles et garçons. 

Face à ces constats, ce texte prévoit un programme ambitieux. Entre trois et six ans, les enfants apprendront à nommer les différentes parties de leur corps, à identifier leurs émotions et celles des autres, à exprimer leurs goûts en déconstruisant les stéréotypes. À partir du CP jusqu’en 6ᵉ, l’objectif sera de questionner les relations humaines, les différents modèles de famille, le respect et l’estime de soi (le consentement, reconnaître les situations de violence ou de harcèlement). Enfin, au collège et au lycée, l’objectif est de permettre aux adolescents de s’accepter, de respecter leurs droits et ceux des autres en matière de sexualité, par exemple. 

Malgré les chiffres alarmants en matière de violences sexistes et sexuelles, la droite conservatrice et de l’extrême droite mènent une campagne violente contre ce programme. Le « Syndicat de la famille » (anciennement Manif pour tous), « SOS-Éducation » ou « Parents vigilants » intensifient partout leurs attaques contre ce texte, propageant des fake news relayées par de nombreux journaux comme Le Figaro ou Valeurs Actuelles. Ludovine de La Rochère, présidente du Syndicat de la famille, déclare par exemple que « l’idéologie du genre » et « l’influence “woke” » « transparaît » dans ce texte et appelle à « une révision en profondeur » du projet, « expurgé de tout contenu militant et sexualisant »

Des associations familiales catholiques ont aussi lancé une pétition pour demander à la ministre de ne pas publier le programme, car « les parents sont invisibilisés » et le consentement « promu comme une nouvelle norme éthique ». Ce type d’attaque s’inscrit dans un contexte plus large d’attaques contre les savoirs scientifiques, les associations de lutte contre les inégalités et l’éducation nationale. L’obsession de la droite conservatrice pour la « théorie du genre” est révélatrice.  Si la “théorie du genre” n’existe pas (Il existe uniquement des études du genre qui s’intéressent à la façon dont la société organise les inégalités entre hommes et femmes), ce terme constitue le lance-pierre de l’ensemble de mouvements réactionnaires et conservateurs à travers le monde.

En réalité, ces groupes ne souhaitent pas protéger leurs enfants. Leur objectif est de mettre un terme aux droits à la reproduction, au mariage et à la parentalité des personnes LGBT ainsi qu’aux droits sexuels et reproductifs des femmes. C’est pour cette raison qu’ils remettent en cause l’éducation sexuelle ainsi que l’éducation contre les stéréotypes de genre. Ces militants disent lutter contre la pensée unique, pour la liberté religieuse et la liberté d’expression. Dans les faits, ils protègent le modèle de la famille traditionnelle et conservatrice.

Les luttes concernant la famille et tout ce qui lui est lié (la morale, le droit des enfants, l’héritage…) ne sont pas nouvelles. Devant chaque bataille féministe, des réactions féroces se sont déchaînées. Dans les années 1960-70, les luttes féministes qui ont  considérablement fait évoluer le droit civil de la famille (droit du divorce en 1975, reconnaissance de l’homosexualité) ont été systématiquement menacés par de puissants mouvement réactionnaires prétendant défendre les valeurs familiales.

Cet épisode rappelle aussi l’opposition des familles conservatrices contre l’ABCD de l’égalité filles garçons (programme expérimenté dans 600 classes de primaire de dix académies volontaires en 2013) qui avait pour objectif de sensibiliser les acteurs de l’éducation et les élèves aux stéréotypes. Suite à ces annonces, de nombreuses initiatives « Journée de retrait de l’école » (JRE), invitant les parents à retirer leurs enfants de l’école une journée par mois à partir de janvier 2014, pour marquer leur refus de l’enseignement « de la théorie du genre dans tous les établissements scolaires » ont été lancées.  Ces parents accusaient déjà l’éducation de vouloir pervertir les enfants. Ce mouvement s’inscrivait dans le sillage des mobilisations conservatrices contre le Mariage pour tous, mené par “La Manif pour tous”.  Sous la pression de ces opposants réactionnaires et religieux, le programme avait été lâchement abandonné par les socialistes au pouvoir. Ce gouvernement va-t-il encore céder aux pressions des familles conservatrices ?

Nous le savons, ne pas agir contre l’ampleur de ces violences sexistes et sexuelles, c’est favoriser le silence des victimes. Il est urgent de mettre un terme à l’incapacité des adultes et des institutions scolaires à gérer ces violences. Le gouvernement abandonnera-t-il encore une fois les jeunes Français et Françaises face aux violences qu’ils subissent ?  Va-t-il abandonner son rôle d’éducation, de protection des plus jeunes en leur refusant un socle de connaissances communes tout au long de leur scolarité en matière de sexualité et de vie affective ? 

Éduquer à la vie affective, relationnelle et sexuelle est un enjeu de société majeur. L’école doit être protégée des pressions obscurantistes des familles et des groupes politiques réactionnaires, afin qu’elle soit un lieu d’émancipation et de lutte contre les inégalités et les violences sociales. Les forces progressistes de ce pays ont pour tâche de faire appliquer ce programme et d’affirmer qu’il est essentiel de permettre à tous les enfants de s’extraire des déterminismes sociaux, familiaux et des idées conservatrices.


Image d’illustration : « Manifestation à Paris (France) contre le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, 13 janvier 2013 », par Ericwaltr (CC BY-SA 3.0)


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