Par Antoine Guerreiro.
Depuis le cycle électoral de 2022 et les grands mouvements sociaux qui l’ont suivi, Emmanuel Macron ne dispose plus de majorité absolue à l’Assemblée nationale. Et à l’issue des législatives anticipées de l’été 2024, le président ne peut plus compter que sur une petite centaine de député·es « Ensemble Pour la République » (EPR), constituant avec le Modem et Horizons l’autoproclamé « bloc central ».
Et encore, Macron n’est plus tout à fait maître en sa demeure. Dans le camp qui ne se dénomme plus vraiment « macroniste », les appétits s’aiguisent et les ambitions s’affirment. Toute la faune et la flore des gouvernements successifs depuis 7 ans, de Gabriel Attal à Gérald Darmanin, d’Élisabeth Borne à Édouard Philippe, grenouille et tente de se placer en vue de la prochaine présidentielle… qu’elle survienne en 2027, ou avant.
Les Républicains (probablement bientôt repeints en « Droite Républicaine »), qui ont su habilement se placer à la faveur de la déroute présidentielle, sous la houlette de l’ennuyeux Michel Barnier, n’échappent pas à cette fragmentation des partis bourgeois. Laurent Wauquiez, Xavier Bertrand, Philippe Juvin… Là aussi, mille et une nuances de cravates bleues nous attendent, pour toujours, jusqu’à la nausée, les mêmes politiques au service des ultra-riches.
À l’Assemblée nationale, sous la pression de l’opinion publique et des oppositions, cette désorganisation de l’ex-majorité présidentielle et des arrivistes LR est en passe de virer à la débandade. Deux faits parlementaires, peu commentés ces derniers jours, en sont révélateurs. Le premier, c’est l’élection de la députée LFI Aurélie Trouvé comme présidente de la Commission des Affaires économiques, à la faveur d’un duel entre Stéphane Travert (EPR) et Julien Dive (LR). Le second, c’est le vote en Commission des Finances, par les député·es NFP et ceux du Modem, de plusieurs amendements visant à augmenter la « flat tax », à combattre l’optimisation fiscale ou encore à pérenniser les hausses d’impôts pour les très hauts revenus.
Dans ce contexte, le Budget 2025 a toutes les apparences d’un « supplice chinois » pour le gouvernement Barnier. En Commission puis en séance publique, tous ses arbitrages soigneusement travaillés pour essorer le peuple mais épargner au maximum les grandes fortunes et leurs entreprises, risquent de tomber les uns après les autres. Cette soi-disant « majorité relative » au Parlement va donc bientôt apparaître pour ce qu’elle est : une coagulation momentanée d’intérêts particuliers, mue par la haine de la gauche et l’amour du système en place, ne devant son pouvoir gouvernemental qu’au soutien du RN.
Le RN, lui, est dans une position plus confortable. N’ayant pas à assumer dans l’immédiat la conduite des politiques d’austérité, il peut tranquillement se préparer aux prochaines échéances – présidentielle et/ou nouvelles législatives – en servant, en attendant, d’assurance-vie au système politique bourgeois. Les déclarations hallucinées de Marine Le Pen sur le parti unique « de Wauquiez à Mélenchon » dont elle serait victime, ne servent qu’à masquer les faits. Immigration, libertés, comptes publics, économie : le RN est d’accord sur l’essentiel avec les priorités du gouvernement Barnier.
Ce grand écart lepéniste, entre soutien critique de la coalition gouvernementale et parti de l’opposition populaire, risque d’être toujours plus difficile à tenir. D’une main, les député·es d’extrême-droite appuient le plan d’austérité de Barnier, proposant même 15 milliards de coupes supplémentaires pour plaire à leurs nouveaux maîtres patronaux. De l’autre, ils agitent leur proposition de loi d’abrogation de la réforme des retraites afin de donner des gages aux salarié·es et employé·es qui ont voté pour eux. Mettant publiquement la gauche au défi de voter l’abrogation à la fin de ce mois, le RN compte en réalité sur le rejet de sa proposition. Cela lui éviterait de sortir de l’ambiguïté, et lui permettrait de continuer à recueillir à la fois le soutien de certains milieux populaires, et celui d’une partie des financiers qui tondent la laine sur le dos des premiers.
Face à un « bloc central » passé à la centrifugeuse, et à une extrême-droite au défi de l’écartèlement entre prolétariat et bourgeoisie, la gauche doit, elle, garder un maximum de cohérence sur des positions de rupture. Les tentatives glucksmanno-hollandiennes de retour à la gauche libérale doivent être dénoncées et combattues avec fermeté. Voter NFP doit être synonyme de nouvelle république, de démocratie à l’entreprise, de solidarité internationale, de révolution économique et fiscale. Ce chemin n’est certes pas le plus court, mais c’est le seul qui dans la crise actuelle, permette de l’emporter.
Image d’illustration : « banc des ministres au palais Bourbon », photographie du 6 mai 2013 par Benoit-caen (CC BY-SA 3.0)