Par Antoine Guerreiro.
Deuxième partie de notre série en 4 volets sur les élections générales du 4 juillet 2024 au Royaume-Uni.
Le 4 juillet 2024, c’est donc avant tout la détestation envers les Conservateurs qui conduit Keir Starmer, leader du Labour, à la porte du 10, Downing Street. L’abstention massive est le symptôme le plus évident de cette colère populaire, qui ne trouve pas de candidatures sur lesquelles se porter. La participation s’élève à 59,9%, contre 67,3% en 2019. Depuis 1885 jamais l’abstention n’a été aussi élevée pour des élections générales au Royaume-Uni, mis à part en 2001 (59,4% de participation)1. Si les sondages, annonçant des écarts immenses et donc un résultat « connu d’avance », ont sans doute joué dans cette désaffection, le programme très modéré du Labour y est aussi pour beaucoup.
L’arrivée du Labour ne s’est traduite par aucun enthousiasme, ce qui se confirme d’ailleurs par son score en trompe-l’œil. Si les Travaillistes obtiennent 63% des sièges à la Chambre des Communes, ils ne récoltent en réalité que 34% des voix au plan national2. Le mode de scrutin uninominal majoritaire à un tour favorise, de fait, les partis en capacité de l’emporter dans le plus grand nombre de circonscriptions, dont les « marginal seats », c’est-à-dire celles aux résultats traditionnellement serrés. La personnalité très neutre de Keir Starmer, tout comme leur programme visant à cliver le moins possible, ont sans doute convaincu une partie des électrices et électeurs de droite de souscrire à cette alternance sans alternative.
Selon Sir John Curtice de la BBC, la part des voix obtenue par le Labour a « à peine progressé de 2% au Royaume-Uni. C’est entièrement le résultat d’une hausse de 17% en Écosse. Au Pays de Galles, le vote pour le parti a baissé de 4%, tandis qu’en Angleterre il n’augmente que de 0,5% par rapport à 2019 »3. Ce ne sont donc pas les Travaillistes qui ont gagné, mais les Conservateurs qui ont perdu (-19% de voix) ; ceci notamment au profit du parti d’extrême-droite mené par Nigel Farage (ancien leader de UKIP) qui récolte 14% des voix, et marginalement, des Lib-Dems. Cette division des voix de droite aboutit par exemple au passage au Labour de la circonscription de Bury St Edmunds, conservatrice depuis 1820. Starmer profite aussi d’un effondrement du Scottish National Party, miné par des scandales financiers et l’absence de perspectives pour l’indépendance écossaise.
Ceux qui voudraient nous faire croire qu’un énième programme social-libéral peut être la recette d’un succès durable pour la gauche racontent, une fois encore, des salades. Les classes populaires en tout cas, ne s’y sont pas trompées. Ainsi Starmer récolte au total 3,2 millions de voix de moins que… Jeremy Corbyn en 2017, et même 600 000 voix de moins que lors de la grande défaite de 2019 face à Boris Johnson. Dans sa circonscription de Holborn et St Pancras, le nouveau Premier ministre ne recueille que 18 884 voix (soit 49%), contre 36 641 voix en 2019. Il faisait face à la candidature indépendante d’Andrew Feinstein4, ancien député sud-africain de l’ANC venu le défier, qui réalise 19%.
Ainsi, la majorité parlementaire écrasante des Travaillistes ne repose que sur une faible approbation populaire. Des bases pour le moins très fragiles pour gouverner, alors que les conditions de nouvelles secousses politiques sont en passe d’être réunies…
Rendez-vous le 24 juillet pour la troisième partie de notre série en 4 volets sur les élections générales du 4 juillet 2024 au Royaume-Uni.
- « U.K. Election Turnout Set to Be Lowest in Over 20 Years », Jenny Gross, le 5 juillet 2024 (New York Times) ↩︎
- En 2017, le Labour obtenait 40% des sièges pour 40% des voix ; et en 2019, 31% des sièges pour 32% des voix. ↩︎
- « The dramatic Tory decline behind Labour’s landslide », par Sir John Curtice, le 5 juillet 2024 (BBC) ↩︎
- « Why I’m standing against Keir Starmer in his constituency », par Andrew Feinstein, le 2 juillet 2024 (OpenDemocracy) ↩︎
Image d’illustration : « Prime Minister Keir Starmer works in Downing Street », photographie du 6 juillet 2024 par Simon Dawson – No 10 Downing Street (CC BY-NC-ND 2.0)