Marion Beauvalet : « Face à la crise climatique, nationaliser TOTAL ? »


Interview réalisée le 31 mai 2024 avec Marion Beauvalet, doctorante, membre de la France insoumise et candidate aux élections européennes.

Nos Révolutions (NRS) : Bonjour Marion, et merci de nous accorder cet entretien. Vendredi 24 mai, tu faisais partie des militant·es qui ont occupé l’Assemblée Générale du groupe TOTAL. Peux-tu nous expliquer pourquoi ?

Marion Beauvalet (MB) : L’objectif est d’empêcher ce qu’Andreas Malm décrit comme le business as usual dans son essai Comment saboter un pipeline. C’est une action qui se déroule depuis plusieurs années maintenant. L’année dernière, je m’étais déjà rendue au blocage de l’assemblée générale de TOTAL. L’an passé c’était Alternatiba qui conduisait l’action, cette année, c’était Extinction Rebellion, soutenu par d’autres collectifs et associations.

Ces blocages ont un sens quand nous voyons l’ampleur de l’urgence climatique et la place qu’occupe TOTAL dans le monde. Il s’agit d’une multinationale climaticide, qui prospère en pillant des ressources fossiles et ce, de manière impérialiste. TOTAL continue en effet à déployer l’extraction d’hydrocarbures et vise à augmenter selon les objectifs énoncés par Patrick Pouyanné sa production de 2 à 3% par an, en puisant dans les énergies fossiles. Tout cela n’est plus possible alors que l’année 2023 a été l’année la plus chaude jamais enregistrée, que le dérèglement climatique a déjà des effets désastreux qui ne feront que s’intensifier, tout en mettant en danger nos existences.

Parmi les actions qui ont eu lieu, des militant·es ont déployé un immense portrait de Patrick Pouyanné avec écrit “wanted”. L’autre action – celle où nous nous sommes retrouvés nassés – se déroulait au siège d’Amundi, le principal actionnaire de TOTAL. Ces actions ont pour objectif de mettre la lumière sur ces grands groupes et leurs actionnaires dont les activités compromettent notre avenir à toutes et tous, d’autant plus qu’ils le font en exploitant ressources fossiles et travailleurs, en enregistrant toujours davantage de profits et en augmentant les dividendes versés.

NRs : Peux-tu nous en dire plus sur les accusations de climaticide qui visent TOTAL ?

MB : Aujourd’hui, ces accusations sont largement documentées et analysées par des ONG. TOTAL a actuellement plusieurs projets notamment en Ouganda et en Tanzanie. Le projet Eacop constitue le plus long oléoduc chauffé (maintenu à 50 °C) du monde. Nombre d’ONG demandent la suspension du projet puisque le projet émettrait 34,3 millions de tonnes de CO2 par an, alors que l’Agence internationale de l’énergie appelle à cesser tout investissement sur les énergies fossiles dans les années à venir.

Ce projet va à rebours de l’Histoire. 118 000 habitant·s se retrouveraient privé·es de leurs terres, principalement des agriculteurs. Le groupe effectue également des prélèvements de gaz dans l’Arctique pour ne citer que ces quelques projets. Avec l’exploitation du gisement de Vaca Muerta (Argentine), le groupe pollue les nappes phréatiques. Nous pouvons enfin citer le soutien du groupe à la junte militaire en Birmanie, ou encore le recours au travail forcé dans ce pays pour construire un gazoduc.

Il est intéressant de noter que ces projets s’inscrivent donc à la fois dans des logiques climaticides et impérialistes en tant qu’ils s’approprient des espaces au détriment de l’environnement, des objectifs fixés pour limiter le dérèglement climatique mais également au détriment des personnes qui vivent là où TOTAL veut déployer ses projets. Nous sommes face à un capitalisme extrêmement prédateur qui détruit et privatise tout.

NRs : Quel rôle jouent la diplomatie française et l’Union européenne dans la position internationale de TOTAL ?

MB : En France, plus de 75% de l’énergie consommée vient de sources non-renouvelables et totalement importées (charbon 1%, pétrole 36%, gaz naturel 20%, nucléaire 17%). Les réserves mondiales risques d’être épuisées à l’horizon d’un siècle. De plus, la combustion des énergies fossiles est responsable de 70% des émissions de CO2. Les énergies fossiles sont à l’origine de particules fines responsables de centaines de milliers de décès dans le monde. Selon un rapport de l’Agence européenne de l’environnement, 235 000 personnes sont mortes dans l’Union européenne en 2021 du fait de ces particules fines.

En plus des victimes pour des raisons sanitaires, le problème de l’approvisionnement énergétique est à la source d’un certain nombre de conflits modernes, notamment en Afrique subsaharienne ou au Proche-Orient. Il y a aujourd’hui un manque de volonté politique concernant la bifurcation énergétique. Néanmoins, le peu de politiques contraignantes et la répression des militants écologistes tendant à faire de la France et de l’UE des alliés et défenseurs des intérêts privés de ces groupes.

NRs : Que pourrait-on faire au niveau européen pour contraindre TOTAL ?

MB : Plusieurs éléments peuvent être envisagés au niveau européen et au niveau national. Nous pouvons tout d’abord penser à un pôle public de l’énergie, en sortant du marché européen de l’électricité, qui irait de pair avec une politique de planification écologique ambitieuse qui intègre la règle verte (ne pas prendre à la planète plus que ce qu’elle peut reconstituer) dans ses principes. Andreas Malm propose même de nationaliser TOTAL pour en finir avec l’extraction de pétrole et rediriger l’entreprise vers le captage et à la séquestration du CO2 atmosphérique. L’État peut donc agir en nationalisant un certain nombre de groupes polluants, dont TOTAL, et encastrer leur production dans le cadre d’une politique planificatrice ambitieuse.

Il faut également bloquer les prix de l’énergie puisque nous voyons nos factures augmenter dramatiquement et occuper une place toujours croissante dans nos dépenses. La politique de planification peut aussi se décliner au niveau européen, de même que la démarchandisation de l’énergie qui peut être remplacée par une coordination entre les États, reposant par exemple sur des principes de solidarité. Tout cela peut se faire par la conquête du pouvoir au niveau de l’État et au-delà, mais ça ne saurait suffire. À mon sens dans ce type d’entreprise, il faut également de redonner prioritairement aux travailleurs le contrôle des outils de production afin que l’auto-organisation et le contrôle populaire président. Cela permet de faire de la planification une politique démocratique.

NRs : La répression dont des militant·es et toi-même avez été la cible est-elle habituelle, au regard des précédentes actions contre la politique de TOTAL ?

MB : L’an passé déjà il y avait eu quelques gardes à vue lors de l’action de blocage. Il convient néanmoins de préciser que la criminalisation des militants écologistes n’est pas une chose nouvelle et s’inscrit dans un contexte plus large de criminalisation du mouvement social. Cette année, la répression a été particulièrement forte puisque nous avons été près de 180 personnes à être interpellées de manière il faut le dire parfois brutale.

Pendant la nasse puis les interpellations, la police a commis des violences à l’encontre des personnes mobilisées, alors que nous sommes toutes et tous ressorti·es de garde-à-vue au bout de quelques heures, sans aucune poursuite. Il faut également préciser l’absurdité de ce qui s’est passé. À Paris, nous sommes rapidement sorti·es, sans doute du fait des mobilisations en soutien aux personnes arrêtées qui se mettaient en place.

Dans le même temps, des militant·es écologistes ont été emmené·es dans un car dans lequel ils ont passé plus de sept heures de détention et sans possibilité d’aller par exemple aux toilettes. Des personnes arrêtées ont fait des malaises. Ces mauvais traitements sont inacceptables. En plus d’être grave, tout cela est aussi absurde : alors que les dernières sorties de nasses étaient faites vers 19h et que nous étions sorti·es des commissariats parisiens, eux étaient emmenés dans des commissariats en banlieue. Cela n’a aucun sens. Tout cela est dégradant, violent, humiliant et globalement absurde tant la répression en plus d’être brutale semble arbitraire.

Aussi cette répression, si elle correspond à une intensification de la répression relativement à l’action contre l’assemblée générale précédente, s’inscrit dans un cadre plus large de répression à l’encontre de celles et ceux que Gérald Darmanin qualifie “d’éco-terroristes”. Michel Forst, rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs de l’environnement analysait en début d’année 2024 que les actions de défense de l’environnement font trop souvent l’objet d’une violente répression, en prenant par exemple le cas de Sainte-Soline. Cette criminalisation semble sans limite puisqu’elle va jusqu’à mettre en danger la vie des personnes mobilisées, comme cela a été le cas pour Serge tombé dans le coma blessé par les gendarmes suite à l’explosion de la grenade GM2L lors de la mobilisation contre les mégabassines en 2023.

NRs : Quelques jours après, la manifestation contre Greendock à Gennevilliers, à l’appel des Soulèvements de la Terre, était également réprimée. Ces luttes sont-elles liées ?

MB : Ces luttes sont liées à plusieurs titres, en tant qu’elles s’opposent à des grands groupes pollueurs qui s’approprient les espaces (Haropa porte le projet de Greendock). La mobilisation contre Greendock vise à préserver des espaces naturels mais également à s’opposer à des mauvaises conditions de travail dans la logistique (avec des emplois particulièrement pénibles, précaires, pour satisfaire des besoins qui correspondent souvent à ce que le sociologue Razmig Keucheyan qualifie de besoins artificiels). Greendock est un immense entrepôt qui doit être implanté sur les rives de la Seine. Lors de la manifestation du 25 mai, 54 militant·es ont été interpellé·es et une partie du cortège a été gazé et a reçu des grenades de désencerclement. Certaines personnes interpellées auront des poursuites pénales.

Les syndicats comme la CGT ou encore Sud Rail soutenaient cette mobilisation puisque Greendock n’est pas seulement une mobilisation liée à l’aménagement du territoire et à la destruction des espaces naturels. Dans le cas des entrepôts logistiques, la qualité de l’emploi est également en jeu. Nous sommes donc face à une lutte qui embrasse un nombre important de sujets, comme c’est le cas pour la mobilisation contre Total. Il s’agit plus largement de luttes pour une vie digne et pour reprendre le contrôle de notre avenir face à des grands groupes.


Image d’illustration : Photographie de Marion Beauvalet reproduite avec l’aimable autorisation de l’auteur, M. Damien Bastian.


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