ÉDITO. Deux guerres, deux affiches et la même lutte pour la paix

Par Antoine Guerreiro.

Deux affiches, collées dans les rues de Lille ces derniers jours, auront fait beaucoup parler.

La première, titrée « Qui va aller mourir en Ukraine ? »¹ accuse le candidat PS/Place Publique aux européennes Raphaël Glucksmann de vouloir « envoyer les enfants d’ouvriers à la guerre ». « Va-t-il aller faire la guerre ? » interrogent les Jeunes communistes du Nord, à l’initiative de cette campagne qui vise également d’autres personnalités politiques comme Éric Ciotti (député et président de LR), Victor Catteau (député RN) ou encore la députée macroniste lilloise Violette Spillebout.

Cette dernière, par ailleurs porte-parole du groupe Renaissance de l’Assemblée nationale, a dénoncé le 14 avril une « incitation à la haine »². Une accusation reprise par des médias et validée par plusieurs responsables politiques. « Affiche inadmissible et insultante », abondait même dès le lendemain Igor Zamichiei, dirigeant national du PCF³…

Misère du débat public français, dans lequel chacun s’emploie à s’offusquer de la forme, sans jamais regarder en face la réalité des problèmes posés. Quoi qu’on en pense, c’est bien la question de l’entrée progressive de la France dans la guerre d’Ukraine qui est soulevée par cette affiche. La France, par la volonté de son président, chef des armées et avec l’assentiment majoritaire de son Parlement, s’est effectivement placée aux avant-postes d’une confrontation militaire future avec la Russie.

Ceux qui veulent faire taire les militant·es de la paix visent à banaliser cette marche vers la guerre, à la rendre anodine, presque naturelle. Ils entendent ainsi effacer leurs propres responsabilités individuelles – pourtant aisément retraçables au fil des votes, des interventions – dans l’escalade actuelle, alimentée par l’extrême-droite russe de Poutine d’une part, par l’OTAN et ses leaders toujours plus nationalistes de l’autre.

« Les politiciens s’insurgent face à des affiches, nous nous insurgeons contre leurs positions irresponsables. La situation au Moyen Orient nous le prouve encore aujourd’hui, le choix de la guerre est toujours dramatique pour les peuples » ont fort opportunément réagi les JC du Nord⁴.

La seconde affiche⁵, éditée par la France Insoumise, annonçait une conférence ce 18 avril sur la situation en Palestine à l’université de Lille, avec Jean-Luc Mélenchon et Rima Hassan, candidate sur la liste de Manon Aubry aux européennes.

S’il est vrai que dans le contexte actuel, la seule évocation du thème et des intervenant·es aurait pu provoquer une épidémie de syncopes à l’extrême-droite, c’est en fait un minuscule logo, en bas à droite de l’affiche qui fut l’objet de toute l’attention médiatique dans le pays.

Sur le logo de l’association étudiante « Libre Palestine », agréée auprès de l’Université de Lille, figure en effet une carte correspondant aux frontières de la Palestine mandataire de 1922 à 1948⁶ – c’est-à-dire englobant les territoires actuels d’Israël, de la Cisjordanie et de la bande de Gaza.

Que n’a-t-on pas entendu à ce sujet ! Faire figurer cette carte, accolée au mot « Palestine », équivaudrait à vouloir « rayer de la carte » l’État d’Israël. Cette carte est pourtant utilisée par tous ceux qui, en Israël, en Palestine ou ailleurs, visent à représenter et porter un propos sur cette région du monde.

Face à tant de manipulations l’association étudiante a, là aussi, produit un communiqué très argumenté, expliquant avoir « mobilisé une carte qui représente une région du monde traversée par un processus de colonisation indéniable et dont la définition des frontières est un enjeu de lutte non stabilisé »⁷.

Ce petit logo a justifié un déferlement médiatique inouï, des dénonciations du PS au RN, des appels à l’interdiction de la conférence au sein de l’université, du président de région Xavier Bertrand (LR) au vice-président de l’Assemblée Sébastien Chenu (RN), des députés macronistes au président du Sénat Gérard Larcher (LR). Tous ces doctes personnages, entrés depuis quelques mois en processus de fusion idéologique sur la base des thèses lepénistes⁸, justifient leur posture par la « lutte contre l’antisémitisme ».

Il est vrai que, fidèle à sa longue tradition de manipulation de l’opinion, l’extrême-droite a fait de la perversion du sens des mots une spécialité. Par le mot « antisémitisme », on ne devra plus comprendre « le racisme dirigé contre les Juifs »⁹ (dans lequel l’extrême-droite est compromise jusqu’au cou), mais l’opposition aux opérations de l’armée israélienne à Gaza, qui comportent selon la CIJ un risque génocidaire¹⁰. C’est uniquement à l’aune de cette perversion langagière qu’on peut comprendre le procès tordu fait à la gauche. Là aussi, les soutiens français du massacre orchestré par Benjamin Netanyahu et son gouvernement d’extrême-droite ne peuvent supporter d’être mis face à leurs responsabilités historiques.

Au final, quels résultats auront eu ces campagnes de dénigrement ? L’affiche des Jeunes communistes du Nord a vu des répliques fleurir en d’autres points du territoire, pour mettre partout face à leurs responsabilités les promoteurs de la guerre. Quant à la conférence de la France Insoumise, déplacée dans une salle en ville, interdite le même jour par le préfet puis maintenue sous la forme d’un rassemblement en plein air, elle aura connu une publicité d’ampleur nationale pendant près d’une semaine.

Reste qu’en tentant de criminaliser le camp de la paix, la droite et l’extrême-droite visent à mobiliser leurs troupes, à consolider toujours plus leur grande coalition anti-populaire en construction. C’est pourquoi face aux intimidations, les démocrates, les militant·es de la paix ne doivent surtout pas reculer. Cela implique évidemment de ne jamais renoncer au moindre moyen d’expression, à commencer par « l’affiche qu’on colle au mur du lendemain »¹¹…

Image d’illustration : Pxhere.com (CC0 1.0)