ÉDITO. Contre l’école privée, la gauche doit repasser à l’offensive


Par Juan Francisco Cohu.

Ces derniers jours se sont tenues de grandes manifestations à l’appel des principaux syndicats enseignants, exigeant de meilleurs salaires et conditions de travail, mais dénonçant aussi la posture de défense forcenée de l’école privée par la nouvelle ministre de l’Éducation, Amélie Oudéa-Castéra.

Enseignant·es, parents et élèves sont les premier·es à être légitimement inquiets du maintien, à terme, de la continuité du service public d’éducation. Au-delà de la communauté éducative, la question de l’école privée est un vrai débat qui concerne toute la société : peut-on faire nation ensemble, dans un pays où nos enfants ne grandissent pas ensemble ?

Le refus de la marchandisation de l’éducation, et donc la fin de l’école privée, a toujours été un cheval de bataille de la gauche et des mouvements progressistes en France. On ne peut donc que s’inquiéter des positions prises par de nombreux parlementaires, en rupture avec ces engagements historiques et les revendications actuelles des mouvements sociaux.

Cosignée par 50 sénateurs socialistes, écologistes et communistes, une récente proposition de loi1 déposée à la Chambre haute vise à conditionner le financement public aux écoles privés au respect de critères de « mixité sociale ».

Cette proposition parlementaire marque le renoncement pur et simple à la revendication de fin du financement public de l’école privée ; son initiateur, le sénateur Pierre Ouzoulias, considère que cette position est en « échec stratégique »2. Face à la pénurie d’enseignant·es faisant craindre à terme un « désert d’éducation » dans notre pays, une partie de la gauche semble donc désormais penser que la bataille pour l’école publique est perdue, et que l’éducation privée pourrait jouer un rôle vertueux dans la « mixité sociale ».

Or rappelons les faits : l’enseignement privé accueille déjà des boursiers, mais les places réservées à ces derniers ne sont pas pourvues en raison du coût pour certaines familles d’exercer leur droit d’inscription. Entrer dans une logique d’objectifs sociaux pour l’école privée risquerait donc de donner un coup d’accélérateur aux financements d’État au privé pour financer les frais annexes (transports, cantine…).

Rappelons, aussi, que l’organisation de l’entre-soi et du tri scolaire, le séparatisme social, est au fondement de l’existence d’écoles privées, c’est leur raison d’être. Tout comme l’est la critique régulière de l’école publique, autour de l’idée qu’il existerait des écoles publiques de mauvaise qualité qu’il s’agirait d’éviter ; c’est d’ailleurs bien ce qui a choqué dans le discours de la ministre.

Si la gauche renonce à contester le financement de l’enseignement privé, elle se met alors à protéger et légitimer un privilège de classe, celui de choisir la « bonne spécialité », le « bon établissement » privé. Ce alors même que déjà dans le public, les stratégies de contournement de la carte scolaire cassent le service public d’éducation. Tout cela constitue une maltraitance de plus contre les enseignant·es qui, impuissant·es, assistent à l’émiettement du secteur public d’éducation.

Tandis que l’extrême-droite souhaite ouvrir l’école publique à la concurrence avec l’instauration de « chèques éducation » et que les macronistes s’apprêtent à la libéraliser un peu plus, il est grand temps que la gauche se ressaisisse.

Pour les savoirs comme pour les richesses, nous ne pouvons nous contenter de revendiquer un partage plus juste : la façon même de les produire et les diffuser doit radicalement changer afin de permettre une prise de pouvoir collective. Les forces progressistes doivent mener une bataille résolue et ambitieuse de défense de l’école publique, en exigeant clairement le redéploiement vers le public des 13 milliards d’euros actuellement accordés au privé.

Il s’agit d’une nécessité, d’une obligation et d’une urgence pour rompre le consensus apparent autour de la « liberté d’enseignement ». C’est l’objectif d’égalité et de réussite de tou·tes qu’il s’agit aujourd’hui de porter.


  1. https://www.publicsenat.fr/actualites/politique/ecole-le-senateur-pierre-ouzoulias-souhaite-conditionner-les-financements-du ↩︎
  2. https://blogs.mediapart.fr/pierre-ouzoulias/blog/050224/exiger-la-fin-du-financement-public-de-l-ecole-privee-anatomie-d-un-echec ↩︎

Image d’illustration : Amélie Oudéa-Castéra le 7 novembre 2017 au Web Summit, par Web Summit (CC BY 2.0)


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