Affaire Depardieu : les secteurs culturels face à l’antiféminisme présidentiel


Par Chloé Beignon.

Lors de la conférence de presse donnée le mardi 16 janvier, Emmanuel Macron a assuré n’avoir « aucun regret » quant à ses propos défendant l’acteur Gérard Depardieu, qui faisait l’objet à ce moment-là de 3 plaintes pour viol et agression sexuelle. Ces propos reflètent les positions des représentants de la majorité de droite qui font preuve, au mieux, d’une frilosité sur le sujet de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles (VSS) et dans de nombreux cas, d’une solidarité avec les hommes violents.

Alors que les secteurs de la culture ont été parmi les premiers espaces de libération de la parole grâce au mouvement #MeToo, les mots d’Emmanuel Macron ont sonné dans l’oreille de nombreuses personnes comme un fracassant retour en arrière. La “grande cause du quinquennat” – la lutte contre les violences faites aux femmes – semble avoir été bien vite oubliée.

La prise de position d’Emmanuel Macron sur le sujet de Gérard Depardieu, en louant “le génie de son art” et en mettant en lumière le fait qu’il serait “un grand acteur”, reflète la normalisation de la violence et des phénomènes d’emprise dans le secteur culturel. En effet, le mythe de l’artiste torturé, provocateur ou incompris perdure dans l’imaginaire collectif et sert de justification à des comportements particulièrement violents. Ainsi, la misogynie est considérée par leurs pairs et une partie du public, notamment M. Emmanuel Macron, comme une facette de la personnalité des artistes, soi-disant indissociable de leur talent.

En parallèle, les phénomènes de « starification » peuvent conduire à des dynamiques d’emprise, c’est-à-dire l’exercice d’une influence particulièrement forte de certains artistes sur les personnes avec qui elles sont amenées à travailler. Cette « starification » masque qu’il s’agit en réalité de relations entre des patrons et des travailleurs, ces derniers étant encore plus exposés en tant que dominés. Les dynamiques d’emprise renforcent aussi la domination que ces artistes exercent déjà en tant qu’hommes dans une société patriarcale. Elles se retrouvent dans de nombreux autres domaines, comme celui du sport ou de l’enseignement, et sont un terreau particulièrement propice aux violences. Les témoignages de femmes victimes d’emprise et de violences se sont multipliés ces dernière années, aussi bien dans le secteur du jeu vidéo1 que par des jeunes dans les écoles d’art, davantage vulnérables encore face à des hommes plus âgés2. Elles appellent à une vigilance accrue et à la mise en œuvre de dispositifs de lutte contre les violences d’autant plus ambitieux.

Pourtant, il est maintenant clair que le gouvernement n’est pas un allié des luttes féministes tel qu’il aimerait le faire croire, dans le secteur culturel comme partout ailleurs. Les positionnements d’Emmanuel Macron sur le sujet sont un véritable dommage pour les politiques publiques de lutte contre les VSS. Comment les victimes peuvent-elles avoir confiance dans des dispositifs portés par des institutions publiques, quand le Président de la République défend publiquement un potentiel agresseur en indiquant qu’il rend « fier la France » ?

La position conservatrice du Président s’est une fois de plus révélée par sa récente opposition à une directive européenne instaurant une définition harmonisée du viol basée sur l’absence de consentement3. Sans exemplarité de la parole politique, il apparaît impossible de mener des politiques publiques efficaces et de réussir à convaincre les professionnels d’être eux-mêmes irréprochables.

L’affaire Depardieu illustre que le chemin à parcourir pour pouvoir écouter, protéger et accompagner de manière inconditionnelle les femmes présumées victimes ou victimes de violences – et, encore mieux, éviter les violences de se produire – reste encore long.  Le ministère de la Culture a pourtant porté diverses initiatives pour lutter contre les violences depuis 20174 : cellule d’écoute externe au sein du Ministère et dans les secteurs du spectacle vivant, de la musique et du cinéma, plans de formation et de prévention dans les écoles sous tutelle et conditionnement de l’attribution de certaines subventions dans le cinéma et la musique au suivi d’une formation sur le sujet des VSS.

Ces politiques publiques, bien qu’elles aillent dans le bon sens, devraient être plus rapides et ambitieuses encore pour répondre à la situation d’urgence à laquelle font face les victimes, que des associations déjà surchargées de travail doivent accompagner. Un rapport publié par la Cour des Comptes5 faisant le bilan de la politique d’égalité du gouvernement souligne d’ailleurs le manque de coordination et de continuité de ces politiques, qui souffrent d’être souvent un simple affichage politique.

Plusieurs associations féministes comme Nous Toutes rappellent qu’un budget global de 2,6 milliards d’euros minimum est nécessaire à une politique efficace de lutte contre les violences de genre. Dans le secteur de la culture, une action de sensibilisation et d’intervention en cas de violence menée à toutes les échelles, à la fois par l’État, par les collectivités territoriales et dans les structures culturelles par leurs directrices et directeurs, apparaît absolument nécessaire pour pouvoir mettre fin aux violences.

Cela implique de se battre pour que la culture reste un service public. En effet, la soumission des secteurs culturels aux logiques de rentabilité du système capitaliste les écarte de tout contrôle et renforce les logiques de pouvoir et d’emprise. Cela implique aussi que les responsables culturels prennent également part à ce travail en mettant en œuvre des mesures concrètes – formation, cellule d’écoute externe, référent VSS… – auprès de leurs équipes.

La présence de dispositifs activables en cas de violence, sur les tournages de film ou dans les studios de musique par exemple, permet de créer un environnement de travail plus sécurisant et plus sain pour les femmes. Ils sont indirectement bénéfiques à leur créativité et à leur reconnaissance professionnelle. En attendant qu’une réelle volonté politique face surface, comme cela fut le cas en Espagne avec l’arrivée de la gauche au pouvoir, les associations féministes et les professionnelles de la culture continuent de se battre pour que les victimes soient reconnues et que, sans attendre le résultat de procédures judiciaires très longues, elles puissent être protégées de leurs agresseurs pour sortir de la souffrance et continuer à exercer leur métier.


  1. #MeToo… Is it in the game ?, enquête IFOP, 12 mai 2023 ↩︎
  2. Dans les écoles de théâtre, des élèves dénoncent une culture de la violence, Le Monde, 26 octobre 2021 ↩︎
  3. Loi européenne sur le viol : « Macron est sur la même ligne qu’Orban, c’est une honte », Médiapart, 20 janvier 2024 ↩︎
  4. Bilan de la feuille de route égalité 2018-2022, Ministère de la Culture ↩︎
  5. La politique d’égalité entre les femmes et les hommes menée par l’État, Cour des Comptes ↩︎

Image d’illustration : « Marche mondiale contre les violences sexistes et sexuelles faites aux femmes », par Gustave Deghilage (CC BY-NC-ND 2.0)


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