Par Antoine Guerreiro.
Mouvement des retraites, grève des policiers, colère des agriculteurs… Pour les commentateurs de l’actualité française, chaque nouvel épisode du bouillonnement social qui agite notre pays devrait trouver sa traduction politique dans l’ascension, naturellement inexorable, du Rassemblement National.
Pour ceux-là, déjà la victoire de Marine Le Pen à l’élection présidentielle de 2027 est en ligne de mire, au moins à en croire la multiplication des (discrets) changements d’allégeance éditoriaux.
Il est vrai qu’à cinq mois des élections européennes de juin, le parti d’extrême-droite récolte régulièrement entre 25 et 30 % des voix dans les sondages, toujours loin devant le parti macroniste.
Il est vrai, aussi, que depuis l’arrivée du gouvernement Attal, l’intégralité de la politique de la Nation est dictée par la réaction à opposer au RN. Par « réaction », entendre la reprise systématique des concepts, des mots d’ordre et des préoccupations de l’extrême-droite.
Ainsi 13 ans après l’arrivée de Marine Le Pen à la présidence du FN, le parti devenu « RN » dispose non seulement d’un électorat de masse d’une grande stabilité, de nombre de gouvernements « amis » en Europe, mais aussi et surtout d’une influence incomparable sur le débat politique français, garantie par la solide colonne vertébrale idéologique qu’il s’est construit après avoir mis à l’écart de ses structures ses franges trop ouvertement néonazies.
Depuis 2011, la force du RN repose en effet sur la constance et la cohérence des quelques idées simples qui ont fait son succès, bien au-delà des niches traditionnelles des extrêmes-droites françaises :
- L’homme est un loup pour l’homme. Le monde est impitoyable, il faut se protéger de tous les dangers extérieurs (ou intérieurs) à la Nation, qu’ils soient sécuritaires, économiques ou culturels.
- L’ordre économique capitaliste est immuable. La seule solution réaliste est donc de réserver la richesse disponible aux seuls « nationaux » (envisagés sur un critère tantôt civique, tantôt ethnique).
- La sécurité prime toujours sur la liberté. En abdiquant toute combativité et en s’en remettant entièrement au seul pouvoir d’État, les « classes moyennes » pourront être protégées des « classes dangereuses ».
Ces trois idées, qui participent depuis longtemps au bloc de la pensée dominante dans notre pays, forment prises ensemble un redoutable argumentaire au service du parti lepéniste.
Car si l’adhésion à ces idées, à la vision du monde qu’elles sous-tendent, est si massive dans notre pays, c’est bien parce qu’elles s’enracinent dans le vécu ! La dureté du marché du travail et de la concurrence en son sein, tout comme le retour des grandes guerres en Europe accrédite, effectivement, l’idée d’un monde devenu impitoyable. La cuisante défaite contre la retraite à 64 ans confirme, effectivement, le caractère visiblement immuable de l’ordre capitaliste. La déshumanisation systématique par le pouvoir d’État des banlieues populaires propage, effectivement, l’idée qu’il vaudrait mieux s’en protéger.
La défaite des mouvements populaires de l’année 2023, leur humiliation par le pouvoir macroniste, n’a fait qu’offrir un terreau plus favorable encore au vote du ressentiment et de l’impuissance qu’incarne Marine Le Pen.
C’est pourquoi tous ceux qui ont pensé pouvoir, ici plagier, là contourner, la colonne vertébrale, la logique inhérente au vote RN, en ont été pour leurs frais. Au système de pensée lepéniste, seule une pensée tout aussi cohérente peut répondre. À la dureté du monde, opposons la solidarité internationale et la coopération entre les peuples. Contre la solidité de l’ordre capitaliste, proposons les luttes combatives jusqu’à la victoire. Face à la peur des « classes dangereuses », promouvons l’unité du bloc populaire autour d’intérêts partagés.
Cette cohérence, c’est évidemment celle de la gauche de rupture, du projet collectiviste, communiste : celui qui s’est incarné, lors des dernières élections nationales, dans la Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale. Pour qui refuse de se résoudre dès aujourd’hui à l’inéluctabilité du lepénisme, c’est bien le camp, et le projet, qu’il s’agit de renforcer.
Image d’illustration : Marine Le Pen au Kremlin le 24 mars 2017, par le bureau de presse et d’information de la présidence russe (CC BY 4.0)