Salaire minimum au Bangladesh : la mode éthique en grève, la France en sourdine


Par Hadrien Bortot.

Dix ans après le drame du Rana Plaza, le Bangladesh fait face à un conflit social sans précédent des travailleurs et travailleuses de l’habillement.

Depuis le 23 octobre dernier, les ouvrier·es de la confection sont en grève pour le triplement du salaire minimum afin que celui-ci atteigne 230 dollars par mois. Ce secteur regroupe plus de cinq millions de travailleurs et travailleuses dans tout le pays.

Le Bangladesh est le deuxième plus grand exportateur mondial de textile avec plus de 3 500 usines. De grandes marques telles que Adidas, Gap, Calvin Klein, H&M, Giorgio Armani, Ralph Lauren, Hugo Boss, Nike et Tommy Hilfiger y fabriquent leurs vêtements à moindre coût. Le secteur représente plus de 85% des exportations du pays. La production est organisée autour d’importantes concentrations industrielles comme par exemple à Daqqa, capitale du pays, où sont regroupées 600 usines de confection.

Les salaires bangladais sont parmi les plus bas au monde. Depuis 2019 et malgré l’inflation ils n’ont pas progressé, et stagnent autour de 83 dollars par mois. Selon le collectif L’éthique sur l’étiquette, le coût de la main d’œuvre représente entre 1,5 et 3% du prix de vente d’un jean. La responsabilité des donneurs d’ordres internationaux est immense. Le modèle économique de la fast fashion, comme celui du luxe, pourrait aisément payer décemment les ouvrier·es de l’habillement.

Pour l’instant la situation à Daqqa est bloquée. Les manifestant·es ont refusé une première hausse des salaires de 56%, considérant que celle-ci n’était pas suffisante. Depuis 3 semaines les grèves et manifestations se multiplient et se durcissent, dans un climat de tension extrême avec des occupations et des saccages d’usine.

Les syndicats dénoncent avec force les liens d’intérêts entre députés, ministres et industriels. Rien d’étonnant, quand on connaît le chiffre selon lequel 30% des députés du Bangladesh sont des propriétaires d’usines textiles. Rien d’étonnant non plus de voir le mouvement réprimé très fortement. Le 8 novembre dernier, la police a ouvert le feu sur les manifestant·es, tuant une travailleuse de l’industrie textile.

La centrale syndicale des travailleurs et travailleuses du textile a également dénoncé dans un communiqué la place de la France dans la répression du mouvement en cours, « en fournissant une technologie de surveillance agressive utilisée de manière barbare contre les défenseurs des droits de l’homme, les syndicalistes et le mouvement démocratique. »

Selon le Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU, la situation au Bangladesh est très préoccupante. Dans un communiqué du 30 octobre dernier, ce dernier indique « En réponse aux manifestations, la police aurait attaqué les manifestants à l’aide de bâtons, de matraques, de balles en caoutchouc et de grenades assourdissantes. Elle a également perquisitionné les domiciles de militants de l’opposition dans tout le pays, arrêtant et détenant sans discernement des centaines de personnes, y compris des membres de la famille des militants ». Tout cela prend place à quelques mois des élections générales, qui auront lieu en janvier 2024.

La voix de la France est une fois de plus absente sur la situation au Bangladesh. Pire encore, en septembre dernier Emmanuel Macron était en visite à Daqqa pour signer un important accord stratégique afin de « renforcer la place de la France dans la région indopacifique ». Le communiqué conjoint signé le 13 septembre dernier rappelait que « le Bangladesh et la France partagent une amitié profonde, fondée sur des valeurs démocratiques communes, la promotion des droits de l’Homme, le maintien de la paix et le développement durable ».


Pour aller plus loin
fashionfinal_2020_-_a3_-_hd_sansreperes-2.pdf (ethique-sur-etiquette.org)
https://www.ohchr.org/fr/press-briefing-notes/2023/10/bangladesh-political-protests
https://globalmayday.net/wp-content/uploads/2023/11/Call-of-GWTUC-08.11.2023.pdf
https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2023/09/11/communique-conjoint-entre-la-france-et-le-bangladesh-partenariat-pour-la-paix-la-prosperite-et-les-peuples
Bangladesh. Les morts, les arrestations et la répression à répétition lors des manifestations doivent cesser – Amnesty International

Image d’illustration : Usine textile au Bangladesh, par Tareq Salahuddin (CC BY 2.0)


Share via
Copy link
Powered by Social Snap