À Kalando, le capitalisme international sans son masque


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Le 15 novembre 2025, dans la province congolaise du Lualaba, au moins 32 mineurs ont péri dans l’effondrement d’un pont de fortune sur le site de Kalando. Les faits sont brutaux : une cohue de creuseurs, des tirs de militaires qui déclenchent la panique, une structure bricolée qui s’effondre et engloutit des vies déjà broyées par la misère. On parle pudiquement « d’accident », de « drame », de « mineurs illégaux ». La vérité est qu’il s’agit d’un crime social. Et comme toujours dans l’histoire congolaise, il est signé par l’alliance du capital minier global et du pouvoir local qui le sert.

La mort, une simple variable d’ajustement ?

Le cobalt extrait au Congo n’est pas un minerai quelconque. C’est l’un des piliers de l’industrie mondiale : batteries lithium-ion, voitures électriques, smartphones, stockage d’énergie. L’Occident qui se rêve en champion du « zéro carbone » sait parfaitement que cette transition repose sur des chaînes d’approvisionnement où la vie des travailleurs africains ne pèse rien.

À Kalando, les creuseurs « artisanaux » – une manière polie de parler de prolétaires dépossédés et surexploités – travaillent dans des conditions indignes. Les pluies menacent d’emporter le terrain ? On ferme le site sans mettre celles et ceux qui y travaillent en sécurité sociale. Les mineurs tentent donc de forcer le barrage pour pouvoir travailler. Les militaires tirent dans la foule, les corps tombent dans le vide. Business as usual, la production reprendra rapidement, la mort est un coût anticipé, amorti, intégré.

Voilà la vérité crue de l’économie minière congolaise : une organisation du travail où la protection des êtres humains n’existe pas, car elle serait un obstacle au profit. La mine n’est pas dangereuse « par nature » ; elle est dangereuse par construction sociale, parce qu’elle est une zone de non-droit où seule compte la valeur marchande du minerai.

L’État est le bras armé de la rente

Que faisaient les militaires sur ce site officiellement fermé ? Protéger les travailleurs ? Empêcher les creuseurs de risquer leur vie ? Non : défendre la propriété minière, défendre la rente, défendre un modèle où les ouvriers sont tolérés seulement s’ils s’insèrent dans les circuits officiels, c’est-à-dire contrôlés, imposés, réprimés.

Lorsque les tirs retentissent et déclenchent la ruée mortelle, l’État se révèle dans sa vérité : non pas garant de la sécurité, mais instrument disciplinaire au service d’un capitalisme prédateur. Les creuseurs meurent parce qu’ils n’ont pas de statut, pas de droit, pas d’existence sociale. Ce travail informel existe parce que le travail formel ne protège personne. Il existe parce que l’industrie minière – publique ou privée – n’offre aucune alternative viable aux populations locales. L’État protège la rente, pas le peuple.

Le prix véritable des batteries « propres »

Chaque SUV électrique qui circule à Paris ou Oslo porte avec lui un morceau de Kalando. Chaque batterie « propre » a son envers : des enfants qui trient les cailloux, des hommes qui s’enterrent vivants, des femmes intoxiquées par la poussière métallique.

La transition énergétique mondiale, telle qu’elle est organisée aujourd’hui, n’est pas une rupture avec le capitalisme fossile ; c’est sa mutation. On ne sort pas du pillage : on change seulement de minerais et de continents. On repeint en vert une logique vieille de plusieurs siècles, à savoir l’extraction brutale de la nature et du travail, au profit de ceux qui contrôlent le marché.

La mort de 32 mineurs n’est pas une anomalie. C’est la norme d’un système où le Sud global est assigné au rôle de fournisseur de matières premières à bas coût, et où le Nord se drape dans la vertu écologique tout en exportant les risques, les pollutions et les cadavres.

En finir avec l’accumulation de la douleur

La République démocratique du Congo n’en est pas à son premier deuil minier : effondrements, glissements, inondations, conflits entre compagnies et creuseurs, militarisation des sites, corruption des autorités locales. Chaque catastrophe révèle la même mécanique : la richesse est immense, la population reste pauvre, et la douleur s’accumule.

La seule voie réaliste pour en finir avec la barbarie minière est celle qui a guidé toutes les conquêtes sociales de l’histoire : le contrôle populaire sur la production.

Cela signifie :

  • Reconnaître les creuseurs artisanaux comme travailleurs de plein droit, et non comme intrus.
  • Créer des coopératives minières contrôlées démocratiquement, dotées d’infrastructures de sécurité.
  • Transférer à la collectivité congolaise la maîtrise des concessions, des exportations et des revenus, et développer sur place une industrie de transformation.
  • Rompre avec les contrats opaques et les sociétés écrans qui siphonnent la valeur.

Ce que les mineurs de Kalando montrent au monde, dans leur vie comme dans leur mort, c’est cette vérité simple : il n’y aura pas de futur soutenable dans un régime économique fondé sur l’exploitation.


Image d’illustration : « Artisanal cobalt miners in the Democratic Republic of Congo », photographie du 9 décembre 2020 par The International Institute for Environment and Development (CC BY 2.5)

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