Cet article du 4 octobre 2025 is excerpted from Patrick Le Hyaric’s weekly letter. Click here to read the full letter for this week, and here to subscribe to it.
La multitude des bulles de colère qui montent du pays disent la force des demandes de justice fiscale, sociale et écologique. Voilà qu’elles escaladent le débat public au point de ne plus pouvoir être tues.
Cloîtrés en leur palais, agissant en qualité de fondés de pouvoir du grand capital, les dignitaires du régime en capilotade ne veulent n’y rien entendre. Au contraire, toutes les arguties, tous les mensonges, tous les faux considérants, toutes les peurs sont convoquées pour justifier l’inégalité entre contribuables fortunés et plus modestes.
L’argument le plus spécieux étant celui consistant à expliquer que la demande d’un petit pas vers la justice fiscale en augmentant les contributions des 1 800 personnes dont le patrimoine dépasse 100 millions d’euros les pousserait à fuir le pays. Voilà l’aveu que des ultra-fortunés existent bien ! Voilà dévoilé le haut niveau de leur patriotisme !
Des millions de personnes, le 15 du mois, ne peuvent plus faire leurs courses pour manger, tandis qu’une infime minorité se vautre dans la fortune. Soyons clairs, l’accumulation de leur capital n’est que le résultat de l’exploitation de celles et ceux qui ont du mal à remplir leurs caddies et de la valorisation de la rente spéculative et de ce qu’ils appellent bien pudiquement « l’optimisation fiscale ». Celui qui a du mal à joindre les deux bouts ne fera jamais « d’optimisation fiscale » sur l’injuste TVA qu’il doit payer sur ses besoins quotidiens.
La taxe Zucman ne ferait coucher sous les ponts aucun des nantis. En effet, la fortune des 500 premiers privilégiés de la fortune a augmenté de 500 % ces 15 dernières années. S’ils étaient assujettis à un impôt de 2 %, il faudrait un siècle pour qu’ils reviennent à la fortune dont ils disposaient en 2010, en supposant qu’ils ne fassent plus aucun bénéfice entre-temps.
Ce sont eux, – accompagnés des ogres de la finance qui pompent sous forme d’intérêts le budget de la nation, tout en détruisant nos capacités industrielles et agricoles – qui portent la responsabilité des déficits et des dettes. La politique menée pour eux depuis des décennies appauvrit les familles populaires, affaiblit et détruit les services publics, empêche d’affronter les immenses défis écologiques – alors même que l’humanité vient de franchir la septième limite planétaire. Ce sont eux qui plongent l’économie dans un marasme dont il faut souhaiter qu’il ne devienne pas irréversible.
Le cran supplémentaire que vient de franchir la classe des possédants, dans sa lutte contre toute forme de justice, alors que ses mandataires sont au pouvoir en dit long sur un système économique et politique devenu de plus en plus vulnérable sous l’effet des protestations populaires liées aux souffrances sociales et aux injustices.
Les manœuvres de communication, les changements de Premier ministre, les visites à Matignon, les appels à la raison « économique », les longs et creux développements autour de « la culture du compromis » sont des simulacres rances qui attisent chaque jour un peu plus le rejet de la chose publique, le rejet de la politique.
La démocratie pourrait rendre son dernier souffle sur l’autel des inégalités galopantes. La cause des problèmes et des enlisements n’a rien à voir avec l’existence ou pas de compromis. Elle a tout à voir désormais avec la voracité du capitalisme et son pouvoir économique et politique qui impose sa loi de fer en dehors des choix des électrices et des électeurs. Un président de la République qui n’a pu être élu qu’avec les voix des forces de gauche pour faire barrage à l’extrême droite, des partis de gouvernement qui ne peuvent rassembler qu’un quart des électeurs inscrit, la négation permanente des demandes populaires ne peut qu’approfondir une crise institutionnelle qui mute en crise de régime portant en son sein une décomposition, une désagrégation de la nation.
Dès lors que l’infime minorité des 10% des Français les plus fortunés s’approprie la moitié du patrimoine national, que les grandes entreprises se voient octroyer sans conditions entre 211 et 270 milliards d’euros d’aides publiques pendant que les salaires et les petites retraites sont bloqués, que les médicaments sont moins bien remboursés, que l’âge donnant droit à la retraite est sans cesse reculé, la décomposition s’avance.
Elle peut générer le pire si les forces progressistes et écologistes ne se ressaisissent pas pour travailler leur unité et nourrir l’unité populaire, alors que l’union des droites et extrême droite est en discussion. Les forces progressistes et écologistes peuvent dans l’immédiat porter ensemble au parlement les demandes de l’intersyndicale pour plus de justice sociale ; plus de justice fiscale grâce à une réelle progressivité de l’impôt ; la fin des aides publiques aux entreprises sans conditions sociales et environnementales ; l’amélioration et la démocratisation de la sécurité sociale et des services publics ; la défense du statut de la fonction publique ; des baisses de TVA sur les produits de haute nécessité dont l’électricité ; une ré industrialisation correspondant aux besoins civils de l’époque en lien avec l’indispensable bifurcation écologique ; une diplomatie du climat et de la paix et l’annulation des récentes augmentations des budgets militaires.
Le travail commun et les actions de l’intersyndicale sont précieux pour les salariés et les retraités. Il ne faut pas qu’il soit affaibli par les dissensions et les discordes, les exclusions et excommunications au sein des forces progressistes.
La question fondamentale désormais pour tous les salariés et les retraités est l’ouverture d’un débouché politique progressiste au bouillonnement de colère qui parcourt les entreprises, et les écoles, les rues des villes et les allées des villages. Elles ont la responsabilité d’abattre le mur de paralysie contre lequel les poussent les puissances d’argent et leurs commis politiques. Ne pas le faire aujourd’hui revient à laisser prospérer les extrêmes droites et se répandre un fascisme dont il faut observer les méfaits aux États-Unis, seulement dix mois après l’accession de D. Trump à la Maison Blanche.
Au-delà, le moment est venu de porter les questions politiques fondamentales pour une transformation structurelle permettant de sortir du capitalisme : la répartition des richesses ne peut se penser qu’avec la perspective de la maîtrise et l’appropriation réelles du travail par les travailleuses et travailleurs de toute catégorie. L’amélioration de la démocratie institutionnelle doit s’accompagner de la conquête par les travailleuses et travailleurs du pouvoir sur la nature et le sens de la production, de leur souveraineté sur le travail. Il devient temps de poser la question l’appropriation sociale et citoyenne des grands leviers de l’économie et de mettre fin à la propriété lucrative.
Le temps est venu de pousser la justice et la démocratie jusqu’au bout. Il n’y a pas de compromis possible avec l’authentique justice, avec l’éthique, avec le transfert du pouvoir réel à celles et ceux qui créent les richesses : les travailleuses et les travailleurs.
Image d’illustration : « Manifestation intersyndicale du 2 Octobre 2025 à Paris », photographie par jpromani – Photothèque du mouvement social