Par Hadrien Bortot.
Mardi 13 mai sur TF1, Emmanuel Macron a été sommé par Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, de répondre à une question essentielle : l’État va-t-il reprendre le contrôle des dernières aciéries de France, possédées par ArcelorMittal ? Sa réponse a été sans appel : « Je ne vais pas nationaliser ArcelorMittal parce que ce serait dépenser des milliards d’euros. »
En réalité, il ne s’agit pas d’un débat comptable ou technique. C’est une ligne politique. Une croyance idéologique. Macron ne veut pas que l’État produise. Il ne veut pas que les travailleurs décident. Il ne veut pas que la production soit planifiée. Il préfère verser 300 millions d’euros à ArcelorMittal en 2024, sans aucun droit de regard, plutôt que de reprendre en main notre avenir industriel et écologique.
Le macronisme, c’est le subventionnement avant le déménagement. Cette logique n’est pas nouvelle. Elle gouverne la France depuis 1983, depuis que Mitterrand, au nom de l’Europe et des marchés, a tourné le dos à la rupture et abandonné l’idée d’une planification économique.
Depuis les années 1980, cette logique a laissé mourir la production industrielle, en Lorraine comme ailleurs. Elle a fait crever Gandrange, trahi Florange, et abandonné Hayange à l’extrême droite. Gandrange a enterré Sarkozy. Florange a tué le hollandisme. Fos et Dunkerque seront les tombaux du macronisme.
Mais une certaine gauche n’a pas les mains propres. Trop souvent, elle s’est tue. Pire : elle a validé. Elle a confondu intervention publique et patriotisme économique. Elle a cru qu’un drapeau tricolore sur une usine suffisait à faire un projet politique.
Ce n’est pas de souveraineté nationale dont nous avons besoin. C’est de souveraineté populaire. Pas une souveraineté abstraite, centralisée, incarnée par l’État seul. Pas une relance industrielle pilotée depuis les cabinets ministériels ou par les drapeaux accrochés aux grilles des usines. Mais une souveraineté exercée depuis les ateliers, les bureaux d’études, les syndicats, les bassins de vie.
La « souveraineté nationale » peut très bien cohabiter avec l’autoritarisme économique et le capitalisme de rente. La souveraineté populaire, elle, suppose le pouvoir des travailleurs sur la production, le contrôle démocratique sur les filières, la planification décidée par et pour le peuple.
Nous ne voulons pas d’une industrie « française » au service des profits français. Nous voulons une industrie socialisée au service de l’intérêt général, décarbonée, planifiée, internationaliste, qui construit du commun au lieu de servir les marchés.
Il faut mener la bataille sur le fond, et exiger :
– La nationalisation des secteurs stratégiques, non pour les gérer d’en haut, mais pour les socialiser par en bas.
– Un droit de veto des salarié·es et des territoires sur toute décision de fermeture ou de délocalisation.
– Une planification de la production pour répondre aux besoins sociaux et à la bifurcation écologique, pas aux intérêts des actionnaires.
– La rupture avec l’Europe de la CECA, et la construction d’une Europe de la coopération industrielle, des travailleurs, de la transition partagée.
L’acier ne doit plus enrichir les actionnaires. Il doit servir avant tout à construire les rails, les hôpitaux, les logements, les ponts. La gauche doit cesser de tourner autour de cette question. Soit elle reprend le flambeau de la production et de la démocratie économique, soit elle regarde l’extrême droite en faire sa proie.
Disons-le clairement : c’est la désindustrialisation et la casse des services publics qui nourrissent l’extrême droite. Ne rien faire, c’est lui ouvrir la voie.
Image d’illustration : « Vue de l’aciérie d’ArcelorMittal à Serémange (intégrée au complexe sidérurgique de Florange), depuis les cowpers du haut fourneau P6. Au moment de la photo, l’aciérie vient d’être arrêtée. », photographie du 15 octobre 2012 par Borvan53 (CC BY-SA 3.0)