Seattle vient de se donner une nouvelle maire : Katie Wilson. Sur la côte Ouest des États-Unis, Seattle est une grande métropole du Nord-Ouest pacifique, ville portuaire de plus de 800 000 habitant·es, connue à la fois pour la tech, l’industrie et ses inégalités croissantes.
Katie Wilson, 43 ans, n’est pas une professionnelle de la politique mais une organisatrice de terrain. Elle s’est fait connaître en cofondant le Transit Riders Union, qui organise usager·es des transports, locataires et travailleurs autour du coût de la vie, du logement et des services publics.
Au terme d’une campagne de terrain, largement financée par les petits dons et les bons de démocratie, elle a remporté la mairie en faisant face à des millions de dollars dépensés contre elle par les milieux d’affaires. Proche des Démocrates Socialistes (DSA) elle est considérée aujourd’hui comme « la Mamdani de l’Ouest ». Nous publions ici son premier discours devant la presse, où elle affirme une ligne claire : une ville au service des classes populaires, du logement, des transports publics et du pouvoir des habitant·es. Traduction par Hadrien Bortot.
« C’est un honneur, et je ferai tout mon possible pour en être digne.
Il est difficile pour moi de croire qu’en début d’année, je n’avais absolument pas l’intention de me présenter à quelque fonction politique que ce soit — encore moins au poste de maire de la plus grande ville du Nord-Ouest Pacifique, ma maison depuis vingt et un ans.
C’est la ville où ma fille est née et où elle grandira. C’est la ville où j’ai passé ma vie d’adulte, où j’ai travaillé à réparer des bateaux et à rénover des appartements, et où j’ai cofondé, il y a quatorze ans, le Transit Riders Union avec des amis et membres de la communauté pour organiser et défendre les intérêts des travailleuses et travailleurs.
Seattle est une grande ville, une ville spectaculaire. Mais nous sommes aussi désormais une grande métropole avec de grands problèmes : le sans-abrisme, un coût de la vie devenu insoutenable pour les familles qui travaillent, des divisions croissantes entre classes sociales, entre communautés et quartiers.
Il y a neuf mois, j’ai pris la décision de me présenter à la mairie parce que je sentais que les habitants de Seattle et leur gouvernement n’étaient plus en phase, que les électrices et les électeurs cherchaient une nouvelle direction, et que nos problèmes nécessitaient un nouveau leadership.
Ces neuf mois ont été, je crois qu’on peut le dire, rudes et éprouvants. Mais aujourd’hui, la bataille est terminée, et il est temps de se rassembler. Le maire Harrell m’a appelée en début d’après-midi pour me féliciter pour cette campagne victorieuse. Peu après, j’ai regardé en direct le discours très réfléchi et sincère qu’il a adressé à la population de Seattle.
[…] Les neuf derniers mois ont été pour moi une expérience remarquable. Un journaliste a appelé mon équipe l’autre jour et a demandé : « Qui est le stratège derrière cette campagne ? ». Parce que personne ne nous avait vu venir. Personne ne nous avait vu venir. Et même s’il est vrai que quelques personnes brillantes ont contribué à cet effort, la véritable réponse, ce sont les milliers de bénévoles qui ont donné de leur temps, de leur énergie, de leurs efforts tout au long de ces neuf mois.
C’était une campagne de terrain, de bout en bout : financée grâce au programme pionnier de bons pour la démocratie de Seattle, et portée par les bénévoles. Nous avons frappé à plus de 52 000 portes depuis la primaire. […] À tous les bénévoles : merci, merci, merci.
Tellement de cœurs, d’esprits, de mains et d’énergies ont pris part à ce travail quotidien : création de visuels, tournage de vidéos, rédaction de textes, publications sur les réseaux sociaux, porte-à-porte, organisation de réunions chez l’habitant, de rencontres publiques, et tellement d’autres choses encore. Quand on y pense, c’est vertigineux.
Et chaque personne a compté, parce que nous faisions face à la campagne d’attaques la plus chère de l’histoire électorale de Seattle. Des intérêts économiques puissants ont investi près de 2 millions de dollars dans un comité d’action politique pour empêcher mon élection, parce que, pour certains dans notre ville, le statu quo fonctionne exactement comme prévu.
Pour les travailleuses, les travailleurs et les personnes les plus modestes, tout cela ressemble à une crise du coût de la vie ; mais pour d’autres, ce n’est rien d’autre que la routine. Eux ont l’argent ; nous, nous avons le peuple. Et le résultat de cette élection le démontre. Les travailleuses et les travailleurs de notre ville sont épuisés. Ils et elles sont prêts pour quelque chose de nouveau, quelque chose de plus porteur d’espoir, de plus juste, de plus égalitaire. Et je suis déterminée à me battre de toutes mes forces pour faire advenir cette vision commune.
Il y a énormément de choses que je veux accomplir comme maire. Je veux que chacune et chacun, dans cette grande ville qui est la nôtre, ait un toit au-dessus de sa tête. Je veux un accueil de la petite enfance universel, des centres aérés gratuits pour tous les enfants jusqu’à la fin du collège. Je veux un réseau de transports en commun de classe mondiale.
Je veux de grands espaces publics sûrs où les enfants peuvent courir librement. Je veux un logement stable et abordable pour les locataires. Je veux du logement social. Je veux que beaucoup plus de terres et de richesses soient détenues et gérées en communs plutôt que par les grandes entreprises.
Je veux une économie solide, avec des petites entreprises florissantes, des emplois correctement rémunérés qui permettent de vivre dignement, et des droits forts pour les travailleuses et les travailleurs.
Je veux une ville où chacune et chacun dispose des bases d’une vie digne : une alimentation saine, l’accès aux soins et des communautés solidaires. Je veux une ville où votre santé, votre espérance de vie et l’avenir de vos enfants ne dépendent ni de votre quartier ni de votre couleur de peau.
Je crois que j’entre en fonction avec un mandat fort pour porter cette vision. Je crois qu’il est significatif que tout cet argent ait été concentré sur des attaques contre ma personne, et non contre ma vision ou mon programme. C’est parce que cette vision et ce programme sont soutenus par une large majorité des habitants de Seattle, comme en témoignent les victoires éclatantes des autres candidates et candidats progressistes élus cette année.
Collectivement, je crois que nous arrivons au pouvoir avec un mandat solide pour affronter la crise du coût de la vie, traiter sérieusement la question du sans-abrisme et construire une ville pour les classes populaires. Il y a une chose que j’ai répétée tout au long de cette campagne : je suis une organisatrice communautaire, et je ne cesserai pas de l’être en entrant à la mairie1.
Je peux exercer des responsabilités depuis l’Hôtel de Ville, mais justement parce que je viens de ce travail de terrain, je sais à quel point les mobilisations, l’organisation collective et les mouvements construits en dehors des institutions sont décisifs. Je veux gouverner en ouvrant des espaces pour ces mobilisations, en les encourageant et en y répondant.
Aux habitantes et habitants de Seattle, je dis ceci : ce que je pourrai réellement accomplir dépendra de vous. Cela dépendra du soutien, de la pression et de la force collective que vous serez capables de construire dans les mois et les années qui viennent. Ce sont vos actions et vos initiatives qui continueront à faire avancer notre ville et notre société.
Quand je dis que c’est votre ville, cela signifie que vous avez le droit d’y être, d’y vivre dignement, quel que soit votre parcours, quel que soit votre revenu, cela signifie aussi que nous avons une responsabilité collective envers cette ville et les uns envers les autres. toutes celles et ceux qui se sont opposés à mon élection ou qui doutent de ma capacité à diriger — vous vous reconnaîtrez, et vous êtes nombreux — je sais qu’il y a, ici ou là, de l’inquiétude, parfois même de la peur.
Je pourrais dire, sur le ton de la provocation : « Tant pis, il va falloir vous y faire ! » Mais plus sérieusement, ce que je veux vous dire, c’est que cette ville est aussi la vôtre. Je suis une bâtisseuse de coalitions. Je sais que nous sommes embarqués ensemble, et que nous ne relèverons pas les grands défis de notre ville si nous ne les affrontons pas ensemble.
Je serai une maire pour toutes et tous. J’écouterai, j’apprendrai. Et même si nous ne serons pas toujours d’accord, je suis absolument déterminée à travailler avec chacun, chaque fois que ce sera possible, pour le bien de la ville et de l’ensemble de ses habitants. Je sais aussi, particulièrement dans les temps difficiles que nous traversons, à quel point les partenariats seront importants non seulement au sein de Seattle, mais aussi avec le comté de King, l’État de Washington et au-delà.
Je me réjouis de travailler en étroite collaboration avec tous les membres du conseil municipal et notre nouvelle procureure de la ville, avec le futur exécutif du comté de King, Girmay Zahilay, avec le gouverneur Bob Ferguson et le procureur général Nick Brown, et avec bien d’autres encore, pour améliorer la qualité de vie dans notre ville et notre État, et protéger nos habitants contre les abus de pouvoir au niveau fédéral.
En tant que progressiste et en tant que socialiste, je crois à la bonne gouvernance. Notre gouvernement, c’est la manière dont nous agissons collectivement, dont nous accomplissons ce qui ne peut être fait qu’ensemble.
Je crois que notre ville doit être capable de relever de grands défis et de mener des projets ambitieux. Et je crois que c’est une très mauvaise chose quand les gens commencent à perdre confiance dans la capacité de leur gouvernement à être réactif, efficace, et à obtenir des résultats pour ses citoyens.
J’ai hâte de travailler aux côtés de tous les agents publics dévoués qui travaillent pour la ville de Seattle : non seulement pour faire avancer un programme de transformation, mais aussi pour assurer les services de base, communiquer avec les habitantes et habitants, coopérer avec tous les quartiers, et reconstruire cette confiance dans l’action publique, si essentielle et pourtant si rare aujourd’hui.
Je sais que tout le monde attend des informations sur notre processus de transition et sur l’équipe que nous sommes en train de constituer à la mairie. J’aurai des annonces plus précises la semaine prochaine, mais pour l’instant, je veux simplement exprimer ma profonde gratitude envers celles et ceux qui se sont mis au travail immédiatement après la primaire afin que nous puissions démarrer dans les meilleures conditions.
Je ne vais pas tous les nommer, car je ne sais pas s’ils souhaitent l’être publiquement, mais je tiens à remercier tout particulièrement mes deux coresponsables de cette phase de pré-transition, Ryan Watt et Kate Brunette Cruiser. Je suis extrêmement enthousiaste pour le travail qui nous attend, et reconnaissante envers toutes celles et ceux, y compris de nombreuses personnes qui n’ont pas soutenu ma campagne, qui me contactent aujourd’hui pour aider et faire en sorte que l’administration Wilson réussisse.
Je ne suis pas trop fière pour accepter les conseils et l’aide qu’on m’offre, et je sais que, ensemble, malgré l’ampleur des défis, nous allons accomplir de grands progrès au cours des quatre prochaines années.
C’est votre ville. Et j’ai hâte de vous servir comme votre prochaine maire. Merci. »
- Aux États-Unis, une community organizer est une militante dont le travail principal consiste à organiser les habitant·es pour qu’ils agissent collectivement sur des enjeux concrets : logement, transports, salaires, accès aux droits… À Seattle, Katie Wilson a cofondé et animé le Transit Riders Union, une organisation qui regroupe des usagers des transports et des travailleurs pour défendre un meilleur service public, des tarifs accessibles et des droits pour les locataires et les salarié·es. Elle a participé à des campagnes victorieuses sur :
– la création de titres de transport à tarif réduit pour les personnes à bas revenu ;
– des hausses du salaire minimum dans plusieurs villes de la région ;
– des protections renforcées pour les locataires ;
– des taxes locales sur les grandes entreprises pour financer le logement social.
Quand elle dit « I am a community organizer », cela signifie donc : « Je viens de ces luttes d’organisation collective des habitants et des travailleurs, ce n’est pas un slogan, c’est mon métier et ma pratique politique ». ↩︎
Image d’illustration : « Seattle Skyline at Sunset », photographie du 31 décembre 2017 par Jay Huang (CC BY 2.0)
