Cet article du 23 septembre 2025 est extrait de la lettre hebdomadaire de Patrick Le Hyaric. Cliquez ici pour lire la lettre de la semaine, et ici pour vous y abonner.
Nous nous sommes tant époumonés, tant dépensés en marches, en manifestations, en réunions, en dépôts de résolutions, en explications, en voyages de soutien que nous ne pouvons que nous réjouir qu’enfin (!) la République française, par la voix de son président, reconnaisse aux Palestiniens le droit de disposer de leur terre et d’y bâtir leur État.
Il aura fallu attendre longtemps, très longtemps, trop longtemps, alors que le Parlement français a voté pour cette reconnaissance en 2014, alors que l’Organisation des Nations unies, dès 1947, par sa résolution 181 prescrivait la création de deux États, un État israélien créé en 1948, un État palestinien dont l’existence ne fait plus de doute pour 158 pays sur 193 mais qui, 78 ans plus tard, reste à créer.
Cette déclaration de reconnaissance n’est pas symbolique. Elle est politique. On s’en convainc aisément au vu des agressifs propos et des menaces du Premier ministre israélien et de ses alliés d’extrême droite au gouvernement. Son affolement redouble depuis que la diplomatie française a réussi à unir derrière elle plusieurs pays occidentaux, dont des pays très proches de l’actuel État israélien comme le Royaume-Uni ou l’Australie. Nous apprécions le pas ainsi fait, sans évidemment oublier que ces États ont laissé jusque-là les pouvoirs israéliens détruire méthodiquement depuis des décennies les bases de l’édification d’un État palestinien.
158 sur 193 désormais…
Désormais, le nombre de pays reconnaissant l’État de Palestine et donc la conscience nationale palestinienne est porté à 158, auquel il faut ajouter le Vatican. Mieux encore, des cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, les États-Unis restent le seul pays à refuser de reconnaître au peuple palestinien son droit à un État, conformément aux multiples résolutions de l’ONU votées depuis 1947.
Il s’agit bien d’une défaite politique du pouvoir israélien, permise par l’immense mouvement mondial des peuples du monde contre une injustice contre les horreurs perpétrées à Gaza, et d’une victoire de la juste cause palestinienne. Celle-ci avait été tant marginalisée, après ce que l’on a appelé les « printemps arabes », que Netanyahou avait décidé en 2024 d’interrompre toute négociation avec l’Autorité palestinienne et renforçait le blocus sur la bande de Gaza, allongeait le mur de séparation et accélérait la colonisation.
Dire la vérité sur l’histoire
L’histoire n’a donc pas commencé le 7 octobre 2023, date des attaques terroristes du Hamas contre des jeunes civils israéliens bien souvent militants de la paix et de la justice. Une histoire marquée par le vol des terres, des fermes, de l’eau et des maisons de Palestiniens, par l’érection d’un mur de séparation, par une cohorte de prisonniers politiques, par des bombardements quasi journaliers sur Gaza mise sous blocus bien avant le 7 octobre 2023, par des vexations, des humiliations, des injustices quotidiennes faites aux Palestiniennes et Palestiniens lors des passages aux check-points militarisés, des intrusions de l’armée israélienne dans les camps de réfugiés et, aujourd’hui, dans le nettoyage ethnique et l’entreprise d’écrasement, d’anéantissement, d’annexion de Gaza, réalisés avec les armes de l’Occident.
Du reste, si l’État palestinien avait existé comme le prévoit le droit international, les pogroms du 7 octobre n’auraient jamais existé. Et si Netanyahou, dans son œuvre de division de l’OLP et du peuple palestinien, n’avait pas décidé de financer et d’entretenir le Hamas depuis plus de trente ans, l’histoire aurait été bien différente.
Un État c’est un territoire, des populations regroupées, une capitale, des institutions…
Dans ce contexte, tout en la jugeant bien tardive, nous ne sous-estimerons pas la proclamation de reconnaissance de l’État de Palestine par la République française. Nous ne l’exagérerons pas non plus puisqu’elle n’est que l’affirmation du droit inaliénable d’un peuple à l’autodétermination conformément au droit international et aux innombrables résolutions de l’ONU adoptées en ce sens. Mais elle constitue un cran de plus dans le balancier du rapport des forces en faveur du droit et de la justice d’un peuple colonisé, martyrisé, bombardé, affamé, déplacé avec la complicité de l’occidentalisme prétendument libéral. Elle doit maintenant se concrétiser. Il n’y a en effet pas d’État sans la reconnaissance d’un territoire visible défini dans les résolutions onusiennes, sans des populations regroupées, sans institutions assumant les fonctions régaliennes, sans sécurité, sans capitale.
La reconnaissance ne peut pas être un aboutissement, mais un palier supplémentaire dans le combat pour l’application du droit international. Elle ne doit pas non plus être une nouvelle couverture morale à une passivité criminelle. Elle doit maintenant se transformer en mobilisation internationale pour faire cesser le génocide à Gaza, pour obtenir un cessez-le-feu immédiat, pour mettre fin à tout aussi immédiatement à l’occupation et à la colonisation de la Cisjordanie, pour créer les conditions de la libération de tous les otages israéliens et de tous les prisonniers politiques palestiniens enfermés dans les sombres geôles israéliennes.
Les conditions pour une concrétisation
Il faut pour cela avoir le courage d’utiliser l’outil des sanctions économiques, de rompre des traités commerciaux, technologiques et militaires, et de cesser de fournir des armes aux criminels de Tel-Aviv.
Il faudra aussi cesser de mettre sur le même pied le pouvoir israélien et la Palestine occupée. Il ne peut y avoir de trait d’équivalence entre un colonisateur et un colonisé, un occupant et un occupé. Et ce n’est pas parce que nous parlons d’Israël qu’il faut s’abstenir de nommer les choses. D’immondes choses, d’abjects actes qu’un langage convenu – utilisant mensonges et demi-mensonges, torsions de l’histoire de cette terre, intérêts économiques et projets géopolitiques des forces du capital international sciemment tus – interdit de nommer : génocide, apartheid, nettoyage ethnique, crimes de guerre et crimes contre l’humanité, guerre d’accaparement. Tous ces mots passés sous silence pour protéger l’agresseur, le criminel et banaliser l’horreur.
Le rejet ferme de toute forme d’antisémitisme n’autorise pas le mutisme sur le projet d’effacement d’un peuple entier. Réclamer l’application du droit des Palestiniens à l’autodétermination n’a rien à voir avec l’antisémitisme, qualificatif utilisé par les hommes du pouvoir pour disqualifier le mouvement de la cause palestinienne en France et dans le monde, et qui, maintenant, est appliqué au président de la République française lui-même. Et ceux qui s’offusquent bruyamment devant les micros de voir des drapeaux palestiniens dans les manifestations ou lors de la course cycliste la Vuelta en Espagne ou à la Mostra de Venise n’arrivent pas à saisir l’intelligente alerte des peuples : Gaza nous concerne toutes et tous. On ne peut être tranquille ici quand nos semblables, quand des enfants innocents par dizaines de milliers sont écrasés, assassinés sous des bombes américaines d’une tonne.
Ne pas laisser faire le crime à Gaza, ne pas laisser la Cisjordanie être dépecée jour après jour, revient aussi à refuser de frapper sur le dernier clou du cercueil d’un ordre international fondé sur des règles. Un ordre libéral, certes, qui institue le double standard qui saute aux yeux quand on compare le traitement en Occident de l’agression russe contre l’Ukraine et la guerre génocidaire que mène l’armée israélienne contre le peuple palestinien. Cependant, sans cadre commun international, comme le souhaitent un Trump ou un Poutine, les conséquences historiques risquent d’être terribles. Ce serait une voie plus dégagée encore à la poussée du néofascisme à l’échelle internationale. Un autre ordre international est nécessaire, où l’égalité entre les peuples ne saurait être un vœu pieux.
Aller plus loin donc…
Dans cet effroyable contexte, il faut donc aller plus loin que la reconnaissance de la Palestine. La reconnaissance sans rupture politique, économique avec l’État d’Israël, sans sanctions, sans embargo, sans isolement international sera forcément interprétée, par la clique fascisante au pouvoir à Tel-Aviv, comme un sauf-conduit ou un acte de dédouanement. Des tentatives d’intimidation existeront évidemment, des provocations aussi. Rien ne serait pire que de courber l’échine.
Or, notre pays, tous ceux qui reconnaissent l’État de Palestine et l’ensemble du mouvement populaire disposent d’une force juridique incomparable avec l’avis de la Cour internationale de justice de juillet 2024 qui affirme que l’occupation de La Palestine viole le droit international. Ce texte est conforté par la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies du 18 septembre 2024 demandant à Israël de restituer les terres volées et occupées. On aurait aimé que le président de la République le rappelle comme un point d’appui.
Il est impératif d’intensifier les efforts et les actions, et d’intensifier la solidarité concrète avec le peuple palestinien aussi. Cesser l’envoi d’armes, interdire aux navires transportant des armes et des munitions d’accoster dans les ports européens, interdire aux avions transportant des armes et des munitions pour Israël de survoler l’espace aérien européen ou d’atterrir dans les aéroports, rompre les relations commerciales. Des initiatives diplomatiques doivent être prises en direction des peuples arabes et des liens noués avec les progressistes et les syndicats israéliens qui tous les jours se battent et manifestent à Tel-Aviv.
Mouvement populaire et initiative diplomatique
En lien avec le gouvernement espagnol et celui du Royaume-Uni, la France pourrait constituer un groupe de pays européens pour porter une stratégie de mise en place des sanctions européennes, de protection du peuple palestinien et de discussions serrées (et non soumises) avec les États-Unis pour que ce pays cesse sa participation à une guerre de génocide. Au-delà, il conviendrait aujourd’hui de s’appuyer sur d’autres pays du « sud » particulièrement l’Afrique du Sud.
L’amplification de la mobilisation des peuples du monde et des sociétés permettra d’aller au-delà de la seule déclaration de reconnaissance de l’État de Palestine. Le document issu de la conférence qui vient de se tenir lors de l’Assemblée générale des Nations unies contient des éléments pouvant conforter ce mouvement : retrait des forces israéliennes de la bande de Gaza, arrêt des déplacements forcés, protection du peuple palestinien par une force de protection, contrôle de Gaza par l’autorité palestinienne, mais aussi engagement d’un processus pour mettre fin à l’occupation et à la guerre de colonisation.
Un nouveau moment peut s’ouvrir alors que le pouvoir israélien et celui des États-Unis sont de plus en plus isolés. Le mouvement des peuples a permis d’obtenir que de nouveaux pays reconnaissent l’État de Palestine. Maintenant, il faut obtenir que vive la Palestine dans ses frontières de 1967, avec Jérusalem-Est pour capitale, le respect du droit au retour des réfugiés – et ce, conformément aux résolutions adoptées à l’ONU ses huit dernières décennies.
Image d’illustration : Drapeau palestinien – Image tirée de la lettre de Patrick Le Hyaric.