Le parti-pris de Nos Révolutions, discuté le 31 août 2025.
Le 16 janvier dernier au cœur de l’hiver, François Bayrou jubilait. Après le départ de Michel Barnier, chassé en décembre 2024 par l’Assemblée nationale, il affrontait lui aussi une motion de censure… mais en sortait vainqueur. Seuls 131 député·es1 (insoumis·es, écologistes et communistes, ainsi que huit socialistes) décidaient de contester sa politique.
Comme à chaque reflux du mouvement populaire et de la contestation, les partis et médias dominants sont alors devenus plus confiants, plus agressifs. Tout au long du printemps les principales figures gouvernementales, Retailleau, Darmanin et Dati en tête, ont pu déployer leurs projets de réformes autoritaires et démagogiques, sous les applaudissements nourris des médias du système. Pendant ce temps les Français·es, dans leur grande majorité2, continuaient à nourrir la plus grande méfiance pour ce gouvernement de menteurs, de tricheurs et d’usurpateurs.
Et puis en juillet, à l’orée des vacances d’été, tout a changé. Les annonces budgétaires du Premier ministre (année blanche, déremboursement de médicaments, suppression de jours fériés…) ont été vues comme la provocation de trop. Pour des millions de gens, contraints aux privations depuis des années, elles ont donné le signal de la contre-offensive.
Puissance du 10 septembre
Tout au long de l’été les appels, les prises d’initiatives se sont multipliés de toutes parts. La proposition du 10 septembre s’est rapidement dégagée, s’annonçant comme le point de départ du bras-de-fer avec Bayrou. Dans ce bouillonnement démocratique, des organisations mais aussi de simples citoyen·nes ont pris la parole, parfois en leur nom, parfois anonymement. Comme dans tout moment d’effervescence populaire, l’orientation politique du mouvement est restée indécise : certains voulaient combattre Bayrou et les riches, quand d’autres dénonçaient le soi-disant assistanat avec le mot d’ordre « C’est Nicolas qui paie ».
Dans le courant du mois d’août c’est finalement le slogan le plus combatif, « Indignons-nous, Bloquons tout » qui l’a emporté. Le mouvement du 10 septembre s’est ancré du côté de la contestation sociale, malgré des tentatives médiatiques de le décrire comme venant de l’extrême droite. À l’approche de la rentrée, les partis de gauche se sont lancés dans la bataille : insoumis·es, communistes, écologistes et socialistes affirment soutenir la mobilisation. Le souvenir des Gilets Jaunes est encore frais dans les mémoires : hors de question d’opposer méfiance ou mépris à un mouvement populaire spontané. Dans les territoires des centaines de syndicats se joignent d’ores et déjà au mouvement, ainsi que la CGT et Solidaires nationalement. Le RN, quant à lui, restera à la niche : il n’a « pas vocation à organiser des manifestations »3.
Le 10 septembre s’annonce donc autour des mots d’ordre des classes populaires et du mouvement social. Évidemment, tant que les rues ne seront pas remplies de manifestant·es nul ne connaîtra son ampleur ni son orientation réelles. Mais surprise, le 25 août Bayrou annonce convoquer l’Assemblée en session extraordinaire le lundi 8 septembre pour solliciter un vote de confiance. Le gouvernement s’apprête à tomber, deux jours avant que le peuple ne descende dans les rues… Et voici que la cacophonie reprend de plus belle au sein de l’autoproclamé “bloc central”, avec les prétentions présidentielles concurrentes de Attal, Bergé, Braun-Pivet, Philippe, Bertrand, Lisnard, Retailleau, Wauquiez… Cette situation confère au mouvement une lourde responsabilité : celle d’aller bien plus loin que la simple chute de Bayrou (ou de celui qui lui succédera), en mettant le changement de politique, et donc de régime, à l’ordre du jour.
À l’école des mouvements populaires
En toute hypothèse, le mouvement du 10 septembre devrait s’engager consécutivement à la chute de Bayrou et son budget. De fait, de nouvelles questions brûlantes s’imposeront alors : forcer Macron à démissionner, établir une véritable démocratie en convoquant une Constituante, mettre les riches au régime sec pour régler le déficit, transformer l’économie au bénéfice des classes populaires et moyennes…
Évidemment, un tel niveau d’ambition suppose d’anticiper un niveau d’affrontement élevé avec les riches et les institutions qui les servent. Or ces dernières années, de nombreuses révoltes populaires sont venues contester la politique de Macron, parfois la mettant en lourde difficulté, parfois allant jusqu’à faire vaciller les institutions elles-mêmes. Pourtant ni les Gilets Jaunes, ni le mouvement des retraites, ni les révoltes pour Nahel n’ont réussi à engager la France sur la voie du progrès social et de la vraie démocratie. À la fin, « l’ordre règne » à Paris. À la veille du 10 septembre, il est donc vital de tirer les leçons des forces et faiblesses de ces mobilisations, pour faire mieux et remporter la bataille qui s’annonce.
En ce sens et à ce stade, nous jugeons utile d’agir dans les directions suivantes :
1. Favoriser tout ce qui élargit le mouvement et approfondit la sympathie populaire à son égard, aussi bien dans les modalités d’action et le ciblage (mesures de blocage différenciés et de gratuité, refus des divisions racistes ou religieuses…) que dans les mots d’ordre. L’Assemblée Constituante pour une VIe République, le blocage des prix, la hausse des salaires et prestations sociales sont pour nous trois priorités à même de rassembler des millions de Français·es dans la lutte.
2. Accueillir des millions de Français·es non seulement dans la lutte, mais aussi dans la délibération politique et stratégique. Comme sur les ronds-points des Gilets Jaunes ou dans les assemblées de grévistes, ce sont aux masses populaires de débattre, voter et décider en conscience des suites du mouvement.
3. Construire le plus tôt possible des espaces de coordination des différentes composantes de la lutte : syndicats, associations, partis, parlementaires et élus locaux, intellectuels, collectifs et assemblées citoyennes… Notre peuple n’a pas le temps pour les tergiversations, les débats de protocole et de préséance. L’enjeu est de coordonner de près la mobilisation, sans en contraindre les formes ni les contours, afin de la rendre plus efficace et lui ouvrir la voie du pouvoir.
4. Disposer rapidement de moyens de pression populaire sur les partis de gauche et les parlementaires, afin de les pousser à la solidarité avec le mouvement et de couper court à toute tentation du centre-gauche de s’entendre avec les macronistes. L’expérience du mouvement des retraites, dans lequel une bonne partie des parlementaires se ridiculisait dans des appels à la modération (« faire voter l’article 7 », etc…) tandis que la colère montait dans la rue, ne doit pas être reproduite. À l’inverse, les manifestations de juillet 2024 devant le siège des Verts pour appeler à l’unité ont montré l’importance de matérialiser la pression populaire auprès des directions politiques. Bref, face à Bayrou l’offensive populaire doit avancer d’un même pas, des rues du pays jusqu’au Palais Bourbon.
5. Mettre dès à présent en garde contre les tentatives de division catégorielles, qui ne sauraient tarder, et les dénoncer vivement lorsqu’elles se produiront. Souvenons-nous qu’en 2023, le gouvernement excluait les policiers de l’application de la réforme des retraites, afin de parer à toute révolte parmi ces derniers. Seul un peuple uni et averti peut vaincre ce type de manœuvre grossière.
6. Faire face à la répression. Des Gilets Jaunes aux retraites, on se souvient comment le « maintien de l’ordre » a pu étouffer la mobilisation populaire tout en laissant les mains libres au gouvernement pour magouiller, du Parlement au Conseil constitutionnel. Le mouvement à venir doit faire du règlement de cette question une priorité, car parvenu à un certain point de la mobilisation, c’est elle qui conditionne toutes les autres. Il doit, d’un côté, développer ses propres capacités de résistance et de l’autre, savoir créer de l’hésitation dans les rangs de la police. Cela passe par des démonstrations de force, mais aussi par des initiatives visant à susciter la sympathie d’agents en colère contre la politique du gouvernement.
Pour mettre en débat ces idées, les militant·es – politiques, syndicaux, associatifs, organisé·es ou non – peuvent jouer un rôle essentiel. N’ayons pas peur de la colère populaire, rendons-nous utiles au mouvement ! Vive le 10 septembre, toutes et tous dans la lutte !
Signataires
Lilli Attanasio
Jean-Jacques Barey
Emmanuelle Becker
Chloé Beignon
Hugo Blossier
Hadrien Bortot
Josiane Bouali
Sophie Bournot
Marie-Pierre Boursier
Arnauld Carpier
Juan Francisco Cohu
Emmanuel Delaplace
Manel Djadoun
Maxime Driefrich
Rosa Drif
Anaïs Fley
Nadine Garcia
Laureen Genthon
Nina Goualier
Antoine Guerreiro
Marie Jay
Alexis Ka
Noâm Korchi
Helena Laouisset
Nina Léger
Sébastien Lorian
Colette Mô
Nuria Moraga
Frank Mouly
Basile Noël
Philippe Pellegrini
Élisa Picamilh
Hugo Pompougnac
Mona Queyroux
Mathilde Rata
Annabelle Skowronek
Clément Vignoles
Bozena Wojciechowski
- https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/scrutins/526 ↩︎
- https://www.publicsenat.fr/actualites/politique/sondage-avec-68-dopinions-negatives-francois-bayrou-bat-deja-un-record-dimpopularite ↩︎
- https://www.lemonde.fr/politique/article/2025/08/22/bloquons-tout-le-rn-n-a-pas-vocation-a-organiser-des-manifestations-le-10-septembre-selon-sa-vice-presidente_6633476_823448.html ↩︎
Image d’illustration : « Les Gilets Jaunes », photographie du 23 février 2019 par Patrice Calatayu (CC BY-SA 2.0)