Le 15 juillet 2010 le casino d’Uriage, près de Grenoble, est braqué par Karim Boudouda et un complice1. Lors de leur course-poursuite avec la police jusqu’au quartier populaire de la Villeneuve, les échanges de tir font un blessé du côté des policiers, et provoquent la mort de Karim Boudouda. S’en suivront plusieurs nuits d’émeutes urbaines.
Nicolas Sarkozy, élu président de la République trois ans plus tôt, se saisit de cette situation pour prononcer le 30 juillet 2010, lors de la prise de fonction du nouveau préfet de l’Isère, un discours « choc » consacré à la sécurité et à l’immigration2.
À l’époque, Nicolas Beron Perez est responsable des Jeunes Communistes de l’Isère, un groupe militant en première ligne de la lutte contre le sarkozysme dans la capitale des Alpes. Aujourd’hui conseiller municipal communiste de Grenoble délégué au Logement, il analyse les conséquences du Discours de Grenoble, point de départ de quinze ans de dérive des milieux dirigeants français vers l’extrême droite.
Le Discours de Grenoble, 15 ans après…
Fait divers : « braquage, course-poursuite !«
Actualité : « échanges de tirs, un mort !«
Couverture médiatique : « émeute, répression, condamnation !«
Propagande démagogique : le Discours de Grenoble.
Le 30 Juillet 2010, le Président de la République entouré du ministre de l’Intérieur et de la ministre de la Justice, déclarait à Grenoble : « La guerre que j’ai décidé d’engager contre les trafiquants, contre les voyous, cette guerre-là vaut pour plusieurs années ».
Quinze ans après, cette déclaration de guerre laisse un goût d’amertume, celui du temps perdu et des vies brisées, celui des boniments belliqueux inefficaces et des incantations guerrières démagogiques, le dégoût amer d’un penchant électoraliste nauséabond pour lier immigration, quartiers et délinquance. Et depuis tout ce temps, d’autres locuteurs lisent inlassablement le même prompteur et le même script poussiéreux et visqueux.
15 ans d’inefficacité en matière de sécurité
Le président Sarkozy avait effectué un choix de société avec l’abandon de la police de proximité, afin de la remplacer par d’innombrables caméras de « vidéoprotection ».
Là où nous préférons la prévention et médiation humaine pour éviter parfois un acte délictueux, d’autres préfèrent le choix de la distance du voyeurisme numérique, pour laisser perpétrer l’acte délictueux et tenter de l’élucider par la suite. La réalité, c’est que l’efficacité de la vidéosurveillance est un fantasme voyeuriste qui n’est démontré par aucune étude sérieuse. Au contraire, selon une étude de la Gendarmerie seules 1,5% à 4,1% des enquêtes sont résolues grâce aux images enregistrées. Même constat de la Cour des Comptes, qui indique qu’il n’existe « aucune corrélation globale […] entre l’existence de dispositifs de vidéoprotection et le niveau de la délinquance commise sur la voie publique, ou encore les taux d’élucidation ».
De même, la loi « anti-bandes » créant l’infraction de « participation à une bande ayant des visées violentes » permettait une répression anticipée. Cette infraction a été largement dévoyée et utilisée lors du mouvement social des Gilets Jaunes avec une justice de classe expéditive, prononçant en moins d’un an près de 10 000 gardes à vue, 3 100 condamnations, 400 peines de prison ferme avec incarcération immédiate.
Ainsi la politique du « résultat » et de l’expéditif comme les peines planchers, qui malgré des annonces tonitruantes n’auront selon l’étude de l’Institut des politiques publiques au final qu’un « faible effet dissuasif », tout en participant à l’augmentation de la population carcérale de 4 000 détenus.
Un système judiciaire expéditif et déshumanisé, n’engendre alors qu’une mécanique punitive :
– Où la personne condamnée dilue sa responsabilité dans un tableau d’équivalence, échappant ainsi à la compréhension nécessaire de la peine au regard du préjudice subi par la société ou par les victimes ;
– Où la personne condamnée est dessaisie d’une peine individuelle, prenant en compte son parcours et le contexte de son délit, empêchant ainsi la justice de prononcer une peine juste propice à empêcher la récidive ;
– Où la personne condamnée est vouée à surcharger un système carcéral et pénitencier indigne et à bout de souffle.
15 ans de surenchère sécuritaire
Dans son discours, Sarkozy ouvrait la possibilité d’étendre la déchéance de la nationalité à « toute personne d’origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d’un policier, d’un gendarme ou de toute personne dépositaire de l’autorité publique ». Une proposition émanant de l’extrême droite… Il faudra attendre les attentats de 2015 et l’état d’urgence pour voir le gouvernement Valls tenter une extension de la déchéance de nationalité, non seulement pour les binationaux naturalisés Français comme c’était le cas, mais aussi pour les binationaux nés Français.
Puis, de Darmanin à Ratailleau , depuis quelques années de nombreuses personnes ont été déchues de leur nationalité, non seulement comme une conséquence directement liée à un acte grave, mais aussi pour des propos réel ou supposés.
Au final comme en 1940, quand les députés communistes Maurice Thorez et André Marty furent déchus de leur nationalité et rendus apatrides, aujourd’hui certains proposent de punir Rima Hassan, eurodéputée de la France Insoumise, née apatride, réfugiée Palestinienne, pour son engagement politique en lui retirant la nationalité française… Du « crime contre l’État » et la Nation, au délit d’opinion il n’y qu’un pas !
« Il est peu de problèmes aussi graves que ceux qui concernent la protection de l’enfance, et, parmi eux, ceux qui ont trait au sort de l’enfance traduite en justice. La France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains. » Tels sont les mots accompagnant l’ordonnance de 1945, qui instaure des procédures de justice différentes pour les mineurs reposant sur trois principes : l’atténuation de la responsabilité, la primauté de l’éducatif, et la spécialisation des juridictions. Tels sont les axes qui ont été attaqués par la droite de manière systématique depuis 2002 !
Par extension, « si le mineur est coupable, c’est que les parents sont laxistes »… Ainsi le Président proposa de suspendre les prestations de la CAF pour absentéisme… Cette idée mise en œuvre en 2010, fut abrogée en 2013 car jugée inefficace…
Réprimer des mineurs, les incarcérer, déterminer leur avenir de manière définitive, alors même que la France, rapport après rapport, manque à toutes ses responsabilités dans la protection et l’aide sociale à l’enfance ! La droite s’acharne contre les mineurs délinquants, avec toujours plus de condamnations tout en abandonnant la protection des enfants de la Nation !
15 ans de stigmatisation et d’amalgame
Alors que la Journée européenne de commémoration du génocide des Roms durant la Seconde Guerre mondiale aura lieu le 2 août 2025, n’oublions pas qu’à Grenoble le Président avait annoncé l’expulsion et la destruction de tous les campements Roms installés en France.
Cette annonce allait entraîner la programmation de véritables rafles parmi ces citoyens européens… Et aujourd’hui encore, de Gérald Darmanin à Bruno Retailleau on ne rate jamais une occasion de stigmatiser les gens du voyages ou le peuple Rom…
Dans la droite ligne du discours de Jacques Chirac avec « le bruit et l’odeur », Sarkozy relançait la plus tragique des fables, celle du lien entre immigration et délinquance… Ne sachant au final sur quelle vague d’immigration surfer, le président, parlait alors d’un flux incontrôlé, ouvrant les vannes à la psychose d’une déferlante, d’un grand-remplacement…
La droite décomplexée n’avait au final qu’un complexe, celui d’être dans l’héritage de la République. Aujourd’hui à de rares exceptions, cette droite a totalement cédé aux incantations de l’extrême droite, dans la volonté de remplacer notre République par une autre entité plus réactionnaire… Aujourd’hui, ils sont trop nombreux à penser que l’amour pour une Nation, le respect pour une Patrie passe inévitablement par la haine de l’autre !
Depuis une quinzaine d’années au final, au gré des élections, des remaniements, la Res Publica de tous a été systématiquement pillée et accaparée pour enrichir la Res Privata d’une poignée de hauts bourgeois, start-upeurs et promoteurs libéraux. Partout des territoires vidés de services publics, partout des cœurs asséchés d’espoir et de fraternité et abreuvés de rancœurs et de désunions !
Bilan du « Discours de Grenoble »… au 30 juillet 2025
Au 30 juillet 2025, l’ancien Président de la République Nicolas Sarkozy, l’ancien ministre de l’Intérieur Brice Hortefeux, l’ancienne ministre de la Justice Michèle Alliot-Marie, ont tous été condamnés dans différentes affaires, les deux premiers pour « complicité de financement illégal de campagne électorale et d’association de malfaiteurs », la dernière pour « prise illégale d’intérêts »…
Au 30 juillet 2025, les chefs de guerre contre la délinquance ne sont au final qu’un gang organisé en costard cravate, et les successeurs de cette ligne idéologique ne sont que des petits caïds tribuns de la pègre, des accapareurs du bien commun, tous issus des mêmes bancs de l’Assemblée nationale où ils gangrènent notre République ! En cœur, ils répètent les mêmes balivernes et mensonges depuis 15 ans, car pour eux, comme le disait Hannah Arendt, « La véracité n’a jamais figuré au nombre des vertus politiques, et le mensonge a toujours été considéré comme un moyen parfaitement justifié dans les affaires politiques. »
Au 30 Juillet 2025, les entorses au Droit tendent à devenir normes, les bavures policières se succèdent à en devenir banales, les agents garants de notre sécurité sont las et fatigués. Des petits fonctionnaires paupérisés sombrent dans la corruption pour arrondir leurs fins de mois, les politiques de prévention et de réinsertion sont à la peine. Le nombre de compatriotes basculant dans la pauvreté ne cesse d’augmenter au même rythme que les multimillionnaires augmentent. On injecte du racisme ordinaire à la télé, distillant la haine du pauvre, attisant la haine de l’étranger…
Au 30 juillet 2025, ils ont mené une guerre inefficace contre nous-mêmes, où nulle défaite n’a été octroyée et aucune victoire claironnée. Nous n’avons retrouvé ni trêve, ni concorde et encore moins la Paix. Plus que jamais, il est temps de tourner la page, pour redonner à la justice sa hauteur de vue, à la police son honneur et à la prévention sa dignité, toutes trois débarrassées des logiques du tout répressif, du tout sécuritaire et du tout stigmatisant !
Série d’affiches éditées en 2010 par les Jeunes Communistes de l’Isère.
Deux d’entre elles (« 2005-2010 : le pyromane court toujours » et « Wanted le braqueur de l’Élysée »), collées sur les murs de Grenoble le 29 juillet 2010 par trois militants de la JC, leur vaudront arrestation et garde-à-vue3. Cette manœuvre autoritaire avait suscité une importante mobilisation pour les défendre : ils seront relâchés sans aucune charge retenue contre eux.





- https://www.leparisien.fr/faits-divers/abattu-hier-apres-le-braquage-du-casino-17-07-2010-1004038.php ↩︎
- https://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/2014/03/27/25001-20140327ARTFIG00084-le-discours-de-grenoble-de-nicolas-sarkozy.php ↩︎
- https://www.humanite.fr/politique/-/des-caricatures-de-sarkozy-sur-les-murs-trois-jeunes-communistes-arretes ↩︎
Image d’illustration : « Nicolas Sarkozy – World Economic Forum Annual Meeting 2011 », photographie du 27 janvier 2011 par Moritz Hager – World Economic Forum (CC BY-NC-SA 2.0)