Par Manel Djadoun.
Fin janvier, l’Assemblée nationale a voté un texte visant à restreindre davantage le droit du sol à Mayotte. Porté par Les Républicains (LR), le texte a été adopté avec le soutien des députés macronistes et surtout du Rassemblement national.
« Nous allons prendre une décision radicale, qui est l’inscription de la fin du droit du sol à Mayotte dans une révision constitutionnelle que choisira le président de la République », déclarait dimanche dernier le ministre de la Justice Gérald Darmanin. Cette phrase aurait tout à fait pu être prononcée par Jordan Bardella ou Eric Zemmour.
Dans la même continuité, les ministres Bruno Retailleau et Gérald Darmanin ont demandé un débat public sur le droit du sol, suggérant une remise en question de ce principe. De son côté, François Bayrou a plaidé pour une réflexion collective sur une question « plus large » : « qu’est-ce qu’être Français ?« .
L’ensemble de ces éléments d’actualité prennent racine dans des rapports de forces politiques, idéologiques et économiques qui structurent les luttes de classe en France. Ceux-ci invitent, à chaque occasion, la gauche et le mouvement social à prendre position dans le débat public, à s’organiser pour lutter contre telle ou telle offensive, à mettre en échec le vote de lois qui mettent en danger la vie de milliers de personnes.
Si la dynamique politique française s’articule depuis des années autour des questions migratoires, du racisme et de la répression des classes populaires, notamment des immigré·es, c’est que les classes dominantes y voient un intérêt politique.
Sur le plan idéologique, ces offensives permettent de renforcer la position de l’extrême droite et de ses idées, dans l’objectif d’affaiblir les mouvements progressistes, en rupture avec l’ordre politique et le programme macronistes. En effet, chaque victoire du gouvernement sur la restriction des droits et l’application de politiques racistes constitue un recul immense pour la gauche et réduit considérablement sa crédibilité, ses possibilités de victoire.
Ces offensives sont d’autant plus importantes sur le plan politique, car Macron a été confronté à la montée de la colère sociale et des mobilisations qui ont lourdement fragilisé son camp politique : Gilets jaunes, mouvements contre la réforme des retraites et le 49-3, révoltes urbaines après l’assassinat de Nahel… Gagner des batailles idéologiques et politiques contre la laïcité, l’antiracisme et les droits fondamentaux des migrant·es est pour Macron le meilleur moyen de démoraliser et mettre à genoux la gauche et ses idées.
Plus largement, la France est loin d’être le seul pays à emprunter les chemins des politiques racistes et répressives contre les classes populaires immigrées. Partout, les classes dominantes occidentales tentent par tous les moyens de préserver l’ancien ordre du monde. Le cas des États-Unis est particulièrement significatif.
Ce tournant réactionnaire s’explique en partie par la contestation croissante, à l’échelle internationale, de l’hégémonie des pays occidentaux, en particulier des États-Unis. Un nombre croissant de nations refuse de se plier aux exigences du système économique mondial dominant, ainsi qu’à ses institutions et ingérences.
Pour la France, cela se traduit par un déclin de son influence en tant que puissance impérialiste. Sa domination dans les territoires d’outre-mer est remise en question en divers points : en Nouvelle-Calédonie, où la lutte pour l’indépendance du peuple kanak s’intensifie, en Polynésie française avec la force revendications indépendantistes, et à Mayotte suite à la gestion calamiteuse de l’État lors du Cyclone Chido.
En Afrique, particulièrement au Niger, au Mali et au Burkina Faso, la France se retrouve en difficulté et sa présence sur le continent est largement rejetée au sein de ses anciennes colonies. Ce changement du rapport de forces la prive d’accès à des matières premières et l’affaiblit d’un point de vue géostratégique et géopolitique. C’est aussi avec cet esprit revanchard que les classes dominantes françaises s’attaquent aux populations immigrées ou « issues de l’immigration » qui arrivent en France.
Il est évident que ces offensives vont se multiplier. Elles pourraient cependant servir d’étincelles pour mobiliser contre elles l’ensemble de la société. Il incombe désormais à la gauche de se préparer à les contrer et de définir, avec urgence et discernement, une voie antiraciste capable de faire échouer toute nouvelle politique raciste et xénophobe.
Image d’illustration : « Bruno Retailleau lors du colloque ARCEP Neutralité des Réseaux », photographie d’avril 2010 par Olivier Ezratty (CC BY-SA 3.0)