Par Patrick le Hyaric.
Cet article du 4 février 2025 est extrait de la lettre hebdomadaire de Patrick Le Hyaric. Cliquez ici pour lire la lettre de la semaine, et ici pour vous y abonner.
Jamais, sans doute, une telle artillerie – mêlant ministres, grande presse propriété des oligarques et oligarques eux-mêmes – en osmose avec la Commission européenne, ne se sera tant mobilisée pour le vote du budget d’austérité de la nation.
Car, c’est de cela qu’il s’agit : l’austérité pour celles et ceux qui n’ont que leur travail ou leurs retraites, ou, pour beaucoup, de maigres prestations sociales, pour vivre. Malheureusement, ce ne sont pas eux, pas elles, pas celles et ceux qui n’ont rien sur leurs comptes en banque au milieu du mois, celles et ceux qui triment dur au travail, placés sous la menace du chantage à l’emploi et aux délocalisations, qui verront leur sort s’améliorer.
Non. Ce budget va encore aggraver leur situation de deux manières qui vont se cumuler.
Moins de services publics, avec le dogme de la réduction des dépenses. Même la prétendue concession sur les 4 000 postes d’enseignants est un immense bluff, car le gouvernement Barnier avait renoncé à cette saignée. Dans le budget, cela fait 50 millions d’euros en apparence restitués, mais le gouvernement Bayrou réduit encore ce budget de 200 millions d’euros sur d’autres chapitres, dont la formation des enseignants.
D’un côté, le pouvoir prétend être revenu sur le déremboursement de plusieurs médicaments, mais, de l’autre, en prélevant un milliard d’euros sur les mutuelles, il fait augmenter les cotisations de celles-ci d’au moins 6 %. On fait semblant de revenir sur le non-paiement des jours de carence des agents publics pour mieux diminuer l’indemnisation de leurs arrêts-maladies. Dans ce tour de passe-passe, le Premier ministre fait croire qu’il restitue 200 millions d’euros alors que le moindre remboursement lui fait engranger 800 millions d’euros. On peut ainsi multiplier les exemples.
En y ajoutant la violence du veto de M. Bayrou à la moindre augmentation du SMIC et l’augmentation continue des impôts indirects indexés sur l’augmentation des prix des produits de première nécessité, il est certain que la situation des familles populaires va encore se dégrader.
La seconde raison du caractère négatif du budget tient aux effets pervers qu’il va produire. En effet, l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) a calculé que la reconduction à l’identique du budget de l’année 2024 aurait permis une croissance d’environ un point, tandis que le remède imposé par la loi de finances 2025 conduira à une croissance négative. En d’autres termes, l’application de la loi spéciale aurait été moins négative que le budget imposé au marteau du 49.3. En effet, en refroidissant l’activité, en réduisant la création de richesses, les recettes fiscales sont diminuées. Une telle politique budgétaire augmente donc la dette financière tout en augmentant la dette écologique faute d’investissements dans la bifurcation environnementale.
La réduction de la création de richesses répondant aux besoins sociaux et écologiques est trop sous-estimée comme cause de la mauvaise situation financière du pays et de l’Europe.
Or, d’immenses chantiers devraient être ouverts pour une réindustrialisation d’un type nouveau, tenant compte des enjeux environnementaux et des besoins humains, des nécessités d’une bifurcation agroécologique permettant l’installation de centaines de milliers de jeunes paysans et l’amélioration de la santé. Une autre manière de produire et de consommer, assortie d’un ambitieux programme public européen de développement du numérique.
Seulement, quand le budget coupe les moyens pour la recherche de plus d’un milliard d’euros, le pouvoir sacrifie l’avenir. C’est bien cette création de richesses nouvelles et l’assurance pour chacune et chacun d’avoir un travail – non-aliénant –, ainsi que la fin des cadeaux fiscaux et sociaux indus aux grandes entreprises qui permettraient d’améliorer les budgets de l’État et de la Sécurité sociale.
Tout l’argumentaire de la grande bourgeoisie, contre les dépenses publiques et le « coût du travail » vise plus que jamais à détruire l’État social, les services publics et la sécurité sociale. Autrement dit, des conquis typiquement communiste (au sens originel du projet) qui entrave aujourd’hui la liberté totale d’accumulation du capital. Faire croire aux salariés que la baisse de leurs cotisations sociales améliorerait leur salaire vise avant tout à diminuer la part de richesses consacrées au bien commun pour augmenter les profits et à ouvrir du même coup la voie à une protection sociale financée par la capitalisation avec des assurances privées qui se gaveraient encore plus. Ajoutons que la bataille contre les impôts de production (ou sur le capital) cache la volonté d’augmenter à terme la TVA. (L’affaire de la TVA pour les autoentrepreneurs est un premier test)
La lutte des classes que mène le grand capital nourrie d’une violente et permanente guerre idéologique sur ces enjeux doit être partout révélée, décortiquée, combattue avec constance.
Les organisations syndicales, les associations comme ATTAC, la Fondation Copernic, Oxfam, les journaux progressistes, les partis de gauche et écologistes, composant ensemble le Nouveau Front populaire (NFP), devraient lancer une contre-offensive, une grande campagne d’explication et d’aide à l’action pour que les travailleuses et les travailleurs, les citoyens dans la diversité de leurs sensibilités progressistes puissent intervenir, agir pour obtenir de réelles améliorations.
Les conciliabules avec les ministres qui n’ont d’autres soucis que de vendre leur vinaigre dans une bouteille portant la fausse étiquette de miel n’aboutissent qu’à désarmer le mouvement populaire qui a réclamé l’unité et qui attend des parlementaires du NFP qu’elles et ils votent, ensemble, sur la base du programme sur lequel elles et ils ont été élus. Le puissant mouvement de masse qui s’est levé pour barrer la route de Matignon à l’extrême droite au mois de juillet répondrait à l’appel s’il était aidé pour intervenir sur les débats qui ont lieu au Parlement.
Voilà ce qui manque ! Créer les conditions pour que les citoyennes et citoyens puissent intervenir, et exercer pleinement leur souveraineté sur leur vie et leur avenir. Pour cela, l’un des rôles essentiels des forces du NFP est de faire sortir les débats des assemblées pour mettre entre les mains des citoyens tous les éléments permettant de comprendre, de débattre et d’agir. Une telle démarche pose forcément la question de la nature de l’apport des partis et autres forces du NFP pour aider à faire vivre un mouvement populaire conscient, déterminé pour la victoire.
Quand les chefs de file du grand capital français se mobilisent à ce point, la gauche ne peut pas proposer comme débat essentiel la question de savoir s’il faut attendre 2027 pour déposer un bulletin dans l’urne ou s’il faut voter le plus vite possible. Procéder ainsi, c’est désarmer le mouvement en étalant des divisions et en tombant dans le piège de la Ve République qu’on prétend combattre, en faisant de l’élection présidentielle le moment cardinal. Or, aucun progrès social et humain n’a été possible sans que les travailleuses et travailleurs ne s’en mêlent dans l’action unitaire. C’est une leçon fondamentale des acquis obtenus lors du Front populaire de 1936. A contrario, c’est l’enseignement de ce qui a manqué le plus en 1981 et a permis à la composante principale de la gauche d’enfiler les habits du libéralisme. C’est là que la sève de l’extrême droite a monté sans discontinuer.
La question n’est donc pas l’élection présidentielle mais l’aide au déploiement d’un mouvement populaire et politique si puissant qu’il devienne irrésistible.
De même, aucun parti ne devrait aborder les élections municipales avec le souci de « prendre » comme il se dit, la gestion de villes et de villages là où il y a déjà un maire de l’une des forces issues du nouveau Front populaire. Le souci devrait être double : dans l’unité, gagner sur la droite et l’extrême droite et, avec les citoyens, construire un communalisme progressiste bouclier contre le grand capital et fer de lance d’un nouveau rapport de forces pour les classes laborieuses et la jeunesse.
Le nouveau front populaire doit vivre au plus près des lieux de vie et de travail. Et aucune force politique ne peut exclure une autre force au nom de votes différents au Parlement. Procéder ainsi c’est répondre positivement aux désirs des droites et du capital et de la fraction social-libérale du parti socialiste pour empêcher l’union populaire de se construire et fermer la porte à tout changement. A contrario, il faut cesser dans une certaine gauche de faire une distinction entre une gauche qui serait « de gouvernement » et une autre qui ne le serait pas. Non seulement les forces de gauche ont vocation à diriger l’État, mais elles ont surtout le devoir de dégager la voie pour que les travailleuses et les travailleurs deviennent maîtres du travail, de la production et de l’État. Partout il faut redonner goût au combat pour que chacune et chacun maîtrise son destin et celui du pays. On n’y parviendra qu’en rassemblant, en unissant les exploités et les dominés.
Si la majorité de celles et ceux qui aspirent à mieux vivre se sent impuissante, non écoutée par les forces de gauche et écologique, le risque de l’élargissement du chemin de l’Élysée pour l’extrême droite est plus important que jamais. Il l’est d’autant plus que les forces qui sont au pouvoir et le grand capital banalisent les nauséabondes et insupportables idées de l’extrême droite et les reprennent à leur compte.
Une large partie des puissances d’argent font mine de s’émouvoir des choix nationaux capitalistes et autoritaires de Trump pour nous exhorter à franchir un nouveau cap dans des politiques de dérégulation tous azimuts. Autrement dit, dans certains milieux, pour l’instant, la critique de Trump sert aux glissements permettant de mettre en œuvre sa politique au nom du combat contre le nouveau roi de l’imperium.
Nous aurions tort de sous-estimer les effets délétères de cette campagne idéologique sur celles et ceux qui souffrent déjà des coups de canif portés contre l’État social et contre les régulations destinées à sauvegarder l’environnement et la nature.
Dans cette bataille, il nous faut rendre coup pour coup et animer le combat de classe avec tous les moyens d’information et de partage dont nous disposons. Dans leurs diversités, les forces du nouveau Front populaire ont la capacité de mener cette bataille politique, culturelle et idéologique. Face aux multiples dangers, face à la volonté de noyer le mouvement populaire dans les larmes des désillusions et des désespérances, il devient urgent de combler ensemble les manques : l’unité, la bataille des idées, des élaborations communes nouvelles et l’aide à l’action populaire. Ne voit-on pas les nuées de cet orage qui menace ?
Image d’illustration : « ECHEC029.jpg », image mise en ligne par Kadbzh (CC BY-SA 4.0). Image modifiée par recadrage et retouche.