Par Anaïs Fley.
Jusqu’à leur dernier souffle, Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht ont défendu la révolution internationaliste prolétarienne, au prix de leur liberté et de leur vie. Leur opposition à la Première guerre mondiale, la première depuis sa cellule de prison et le second depuis les bancs du Reichstag, les marginalise au sein du SPD. En votant contre les crédits de guerre en 1914, Liebknecht acquiert le respect du peuple allemand qui le perçoit comme un véritable héros. Dès lors, les deux révolutionnaires n’ont de cesse de critiquer le SPD, sa soumission aux intérêts de la bourgeoisie allemande, sa transformation en un pilier du système capitaliste et en un outil de pacification de la lutte des classes au profit de l’ordre bourgeois. Leur opposition les mène à former la Ligue Spartakiste, qui deviendra plus tard le KPD (Parti communiste allemand).
Ce combat prend un nouveau tournant après la défaite allemande en novembre 1918, alors que la révolution éclate, provoquant la chute de l’Empire et l’abdication de Guillaume II. Les conseils ouvriers et soldats se multiplient, mais le SPD, au pouvoir, s’allie avec l’armée pour contenir les mouvements révolutionnaires, craignant une répétition de la Révolution russe. En janvier 1919, Karl Liebknecht appelle à l’insurrection pour établir une république socialiste en Allemagne, contre l’avis de Luxemburg qui l’estime prématurée. L’insurrection spartakiste est lancée. Cependant, Liebknecht et les délégués révolutionnaires perdent un temps précieux à tergiverser : le peuple mobilisé devient une foule désorientée. Cette débandade ouvre la voie à une répression brutale, orchestrée par le gouvernement social-démocrate allemand qui collabore avec les Freikorps, des groupes paramilitaires réactionnaires.
Quelques jours plus tard, Luxemburg et Liebknecht sont arrêtés à Berlin. Le 14 janvier, on peut lire dans les lignes du Die Rote Fahne (Le Drapeau rouge) une menace acide de Rosa Luxemburg contre le parti social-démocrate : « L’ordre règne à Berlin ! Vous, imbéciles ! Cet ordre est construit sur du sable. La révolution se dressera demain avec fracas et proclamera, à votre grand effroi : « J’étais, je suis, je serai ! » ». Le 15 janvier, Rosa Luxemburg est frappée à la tête à coups de crosse avant d’être abattue, son corps jeté dans un canal. Karl Liebknecht est exécuté d’une balle dans la tête sous prétexte qu’il tentait de s’échapper. Ces assassinats marquent la fin brutale de l’insurrection spartakiste, et une rupture décisive entre les réformistes sociaux-démocrates et les révolutionnaires marxistes.
Peu importe leur idéologie revendiquée (du socialisme à la République) les partisans de l’ordre bourgeois le défendent toujours implacablement, et ce jusqu’au crime, contrairement à ce qu’espérait Rosa Luxemburg. « Socialisme ou barbarie » : les gardiens du vieux monde le plongent inlassablement dans un chaos effréné, brutal, absurde. Les révolutionnaires n’ont rien à gagner à leur prêter le flanc, sinon le désaveu ou même la mort. Si les peuples se souviennent des héros, de Luxemburg et de Liebknecht, ils oublient les perfides et les misérables. Hors une poignée de militants et d’historiens, qui connaît encore le nom de Noske, qui commanda l’assassinat des leaders spartakistes ?
Image d’illustration : Briefmarkenbeschreibung, 30th day of death of Karl Liebknecht (1871—1919) and Rosa Luxemburg (1871—1919), Wikimedia Commons, public domain.