Syrie : Plus que jamais, les Kurdes du Rojava ont besoin de soutien international


Par Pascal Torre*.

La situation syrienne

La situation en Syrie est la réplique de phénomènes qui se déroulent à plusieurs échelles.

En 2011, le peuple syrien s’est soulevé contre la barbarie du régime de Bachar al-Assad. Rapidement l’opposition se confessionnalise et passe sous la coupe de l’Arabie Saoudite, mais surtout de la Turquie qui y voit une opportunité de contrôler la Syrie. Les Kurdes, dans l’opposition au régime en place, rejettent ces groupes islamistes qui leur sont hostiles. Ils optent pour une troisième voie qui est celle de l’autonomie démocratique.

En 2015, le régime de Bachar al-Assad est aux abois et ne doit sa survie qu’aux interventions russes et iraniennes avec ses milices. Moscou y voit un moyen de revenir avec fracas sur la scène du Moyen-Orient et de consolider ses bases militaires en Méditerranée.

Isolée dans son soutien aux groupes djihadistes (Al Qaïda ou l’État Islamique) qui subissent des défaites sous l’action conjuguée des Kurdes et de la coalition internationale, Ankara opère un changement radical de stratégie en rejoignant le groupe des accords d’Astana avec la Russie et l’Iran, se faisant fort d’influer sur les groupes islamistes qui se replient dans la province d’Idlib. Leurs affidés djihadistes du Front Al Nosra prennent alors le nom d’Hayat Tahrir al-Cham (HTC) et s’enkystent dans la région avec le renfort de tous les criminels islamistes qui y trouvent refuge.

Progressivement, les positions se figent et le conflit apparaît gelé même si la donne change fondamentalement avec le début de la guerre en Ukraine, l’attaque du 7 octobre 2023 du Hamas et l’agression militaire israélienne qui suit contre le peuple palestinien, à Gaza, en Cisjordanie et au Liban. La mobilisation des forces russes en Ukraine ne permet plus à V. Poutine d’intervenir au même niveau. De plus, les coups portés par Israël au Hezbollah libanais et aux milices pro-iraniennes affaiblissent leur présence en Syrie. Enfin cette guerre qui dure depuis une décennie a plongé ce pays dans la désespérance. 13 millions de Syriens ont fui, l’économie est en ruine alors que la corruption et la prédation des clans au pouvoir ne faiblissent pas. Enfin, l’armée syrienne, usée et en voie de clochardisation, n’est plus en capacité de faire face.

La Turquie a saisi cette opportunité pour donner son feu vert à l’offensive du groupe Hayat Tahrir al-Cham mais aussi aux formations djihadistes pro-turques de l’Armée Nationale Syrienne (ANS), avant l’arrivée de D. Trump au pouvoir.

Les conséquences des offensives pour les Kurdes syriens

Le régime de Bachar al-Assad est désormais renversé sous les coups conjugués d’une double offensive.

Celle de HTC, partie d’Idlib, est le fait d’une coalition de 5 à 6 factions, toutes issues d’Al Qaïda, qui s’est successivement emparée d’Alep, de Homs et de Damas. À Alep, où vit une très importante communauté kurde, ils ont délogé et capturé les combattants des YPG qui assuraient la protection des populations. Pour éviter le pire, les Kurdes ont dû négocier leur retrait mais les populations kurdes qui demeurent dans la ville craignent pour leur sécurité. Elles gardent en mémoire les crimes commis par l’État Islamique.

Parallèlement l’ANS, implantée à la frontière turque s’est engouffrée dans la brèche. Elle s’est emparée de territoires au nord-est d’Alep avec la prise de nombreux villages et de la ville de Tal Rifaat. Cette ville, peuplée majoritairement d’Arabes, avait vu affluer des milliers de Kurdes chassés de leur canton d’Afrin en 2018 par ces milices pro-turques. Actuellement des milliers de Kurdes y sont pris au piège car l’ANS a empêché l’ouverture d’un cordon humanitaire d’évacuation.

Ces assauts pourraient coûter très cher aux Kurdes tout à la fois pour leur communauté mais aussi pour leur autonomie. De nombreux observateurs signalent déjà des violences contre les populations kurdes dans le but de procéder à un nettoyage ethnique. Des milliers de Kurdes fuient, des massacres ont d’ores et déjà eu lieu à Tal Rifaat et le canton de Shehba. Des maisons et des biens ont été saisis, des violences sexuelles et des enlèvements se sont produits reproduisant les exactions commises à Afrin. Les autorités kurdes, face à l’afflux de réfugié·es, font un appel aux organisations humanitaires.

La Turquie, par l’intermédiaire de l’ANS entend constituer à la frontière turque syrienne une ceinture arabe de 250 km de long et de 30 km de large afin de chasser les Kurdes et de détruire l’entité autonome. De plus, ces groupes nationalistes-islamistes qui tiennent le pouvoir n’entendent pas accorder le moindre espace aux Kurdes ni leur conférer une autonomie.

Les Kurdes de Syrie sont dans l’œil du cyclone. Il ne s’agit plus seulement d’une menace militaire mais de la remise en cause de leur projet d’autonomie démocratique. Plus que jamais, ils ont besoin de notre soutien.

* Pascal Torre est coprésident de France-Kurdistan.


Image d’illustration : « Manifestation « Stop à l’offensive turque au nord de la Syrie » (Lausanne, le 15 octobre 2019) », par Gustave Deghilage (CC BY-NC-ND 2.0)


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