Par Anaïs Fley.
Dix ans d’inéligibilité, cinq ans de prison dont deux fermes aménageables, ainsi que 300 000 euros d’amende. Voilà la peine requise par le parquet du tribunal de Paris contre Marine Le Pen, au terme du procès où elle et 26 autres prévenus sont accusés d’avoir détourné l’argent du Parlement européen pour financer les cadres du RN.
Les « emplois fictifs » sont monnaie courante en politique. De l’affaire Fillon aux assistants parlementaires du RN, l’effarement des accusés et de leurs divers soutiens face aux peines requises est éclairant à de nombreux égards. D’abord, la droite se croit toujours à l’abri de la justice, considérant sans doute sa mainmise sur l’appareil judiciaire comme acquise. Comment l’ordre bourgeois pourrait-il sanctionner le parti de l’ordre bourgeois ?
À l’annonce de la décision du parquet contre Marine Le Pen, Gérald Darmanin a immédiatement appelé à la « combattre […] dans les urnes, pas ailleurs », suggérant très lourdement que la décision du parquet puisse être un genre de complot pour évincer Le Pen de la course présidentielle en 2027. Ayant lui-même échappé à la justice malgré l’accusation de viol à son encontre, on comprend combien l’implacabilité de cette dernière quand il s’agit des fonds européens puisse être déstabilisante.
Dans la vie politique actuelle, le propre des forces qu’on nomme désormais « républicaines » est sensé être leur attachement aux règles du jeu de la démocratie bourgeoise, qui garantit certains principes de base – notamment la séparation des pouvoirs – et permet à la lutte politique de s’exprimer de manière pacifiée. En réalité, pour tous ceux qui profitent du système et n’aspirent qu’à le contrôler toujours davantage, ces règles sont embarrassantes dès lors qu’elles remettent en question leur droit, quasiment héréditaire, à gouverner.
En l’occurrence, ces affaires révèlent aux yeux de tous à quel point l’ordre auquel aspire l’extrême-droite, mais aussi la droite traditionnelle, est une loi de la jungle dans laquelle seuls les plus puissants ont le droit de se défendre.
Au final l’appareil judiciaire français est, comme tout l’appareil répressif, un lieu de la lutte des classes. Si la bourgeoisie l’a façonné à son profit, des siècles de mobilisations populaires et de procès historiques l’ont contraint à s’adapter. D’un côté, la plainte pour viol à l’encontre de Gérald Darmanin est classée sans suite en 2019. De l’autre, Gisèle Pélicot bouleverse le monde en osant montrer au grand jour la banale monstruosité des viols commis par son mari et ses complices, marquant un nouveau tournant historique dans le rapport de notre société à ce crime.
Aujourd’hui, c’est l’inflexibilité du financement des institutions européennes qui l’emporte (pour l’instant) sur l’amateurisme politique du Rassemblement national, apprenant à ses dirigeants qu’à force de jouer avec le feu, on peut finir brûlé.
Image d’illustration : « De droite à gauche : Marine Le Pen, Jean-Marie Le Pen et Bruno Gollnisch au Parlement européen de Strasbourg le 10 décembre 2013 », photographie par Claude TRUONG-NGOC (CC BY-SA 3.0)