Histoire de l’UNEF, du « Renouveau » à la « réunification », (1971-2001)


Par Frédéric Genevée*.

Ce texte est issu d’une intervention prononcée lors des Journées de Mauprévoir, du 16 au 18 août 2024.

Pourquoi évoquer l’histoire de l’UNEF dans le cadre des Journées de Mauprévoir ? Ces Journées ont été fondées il y a vingt ans notamment par plusieurs anciennes et anciens de l’UNEF et en particulier Étienne Andreux, qui fut trésorier et secrétaire général du syndicat étudiant de 1973 à 1977. Et pourtant, il ne fut jamais ici question de l’UNEF. Cela illustre le fait que l’histoire et de la mémoire de cette organisation ont failli disparaître, et que pendant de longues décennies l’UNEF n’a pas été considérée comme un objet légitime de recherches.

Mais des recherches sur quoi ? Nous avons étudié l’UNEF qui a été qualifiée d’UNEF Renouveau, puis d’UNEF Solidarité étudiante mais que ses militant.es qualifiaient le plus souvent d’UNEF. Elle est née en 1971 d’une scission de ce qui restait de « la grande UNEF », celle connue pour son engagement contre la guerre d’Algérie et dans le mouvement de mai 1968. La scission donna jour en 1971 à deux UNEF :  l’une UNEF dite Unité syndicale puis Indépendante et démocratique et l’autre, donc celle que nous étudions. Elle se réunifièrent en 2001. L’UNEF Renouveau relevait de la nébuleuse communiste, la seconde de la nébuleuse trotskyste dans sa version lambertiste puis de celle du Parti socialiste.

Il y a quatre ans, nous avons pris conscience que les archives de l’UNEF Renouveau et de ses suites avaient disparu lors de la « réunification » de 2001. Mais au-delà même ce cette catastrophe archivistique, il nous est apparu que l’UNEF n’avait que très peu fait l’objet de travaux scientifiques : quelques masters et aucune thèse. Nous étions donc face à une sorte d’« injustice » mémorielle et historique que ne comblait pas l’initiative d’anciens – très nostalgiques – qui publiaient des documents numérisés.

À l’inverse, l’UNEF US puis ID qui n’a pas non plus fait l’objet de travaux scientifiques était plus connue ; d’abord parce que ses archives ont elles été conservées mais aussi parce que plusieurs de ses dirigeants ont écrit et témoigné (Jean-Christophe Cambadélis, Julien Dray, Philippe Campinchi, Olivier Spithakis…). Ils ont ainsi laissé une trace mais pas toujours pour le meilleur, car leurs écrits sont souvent des auto-justifications à la suite de leur implication dans le scandale de la MNEF de la fin des années 1990.

Ils ont ainsi contribué à la mauvaise réputation du syndicalisme étudiant en en faisant simplement un passage obligé de carriéristes de gauche. Nous avons voulu réparer cette « injustice » mémorielle et historique mais surtout contribuer à l’histoire du syndicalisme étudiant en général, lequel fait pour la période postérieure à 1968 l’objet de peu d’études même si l’on doit mentionner le travail pionnier et salvateur du GERME.

Il ne s’est donc pas agi pour nous d’écrire un plaidoyer pro domo, ce qui aurait été tentant pour les anciens de cette organisation que nous sommes. C’est à partir de notre métier d’enseignant d’histoire et de la méthode historique que nous avons travaillé. Il aurait été simple de faire un beau livre, avec de belles photographies de luttes et de manifestations ; de flatter à notre tour la nostalgie mais au final cela nous aurait peu appris et n’aurait que peu de longévité. Cette histoire à notre sens méritait mieux.

Mais comment faire alors que les archives ont disparu ? Nous nous sommes appuyés sur un collectif « Pour l’histoire de l’UNEF ! (1971-2001) » avec lequel nous publions un bulletin qui rassemble témoignages et analyses. Nous avons créé un groupe Facebook puis un site internet. Les réseaux sociaux nous ont permis de reconstituer un réseau d’anciennes et d’anciens… La première étape a consisté à rassembler des archives originales qui avaient été conservées chez les un·es et les autres, de les numériser, de les mettre en ligne et de les confier à la Cité des mémoires étudiantes qui ensuite les déposera aux Archives nationales. Après deux ans de travail, nous avons considéré qu’il était possible d’écrire un livre.

J’ai évoqué cette idée d’injustice mémorielle mais au-delà, quel est l’intérêt d’un livre sur l’UNEF ? D’abord contribuer à l’histoire du syndicalisme étudiant, cet inconnu, contribuer aussi à l’histoire du syndicalisme en général et l’on constatera dans le livre l’histoire parallèle de l’UNEF et de la CGT, contribuer à l’histoire de la gauche pendant une période où elle fut bouleversée et totalement transformée, une histoire pas seulement de la nébuleuse communiste mais aussi celle du socialisme, de l’extrême-gauche et de mouvances comme celle des chrétiens de gauche… L’UNEF est un extraordinaire poste d’observation des mutations du syndicalisme et de la gauche par son effet grossissant des transformations plus lentes et plus difficilement perceptibles ailleurs.

Quelles sources ? Les archives rassemblées et reconstituées, une quarantaine d’entretiens que nous enregistrons et un questionnaire en ligne auquel a répondu 25% des anciennes et des anciens membres du Bureau national – ce qui pour une organisation de jeunesse disparue est exceptionnel.

Quant à la périodisation : 1971-1981, puis 1981-1990 et enfin 1990-2001.

1971-1981 est la période de la domination à l’université de l’UNEF Renouveau. La scission a porté sur le refus des militants communistes d’accepter la transformation de l’UNEF en mouvement politique de masse, qui était la position de la quasi-totalité des organisations d’extrême-gauche à l’exception des lambertistes. Mais ces derniers refusaient que l’UNEF participât aux élections universitaires prévues par la loi Faure au lendemain de mai 1968. La cohabitation était impossible pour cette raison et redoublait l’animosité entre communistes et trotskistes. L’UNEF Renouveau née d’abord comme une tendance créée par le PCF puis comme organisation, profita de la dynamique du Programme commun de la gauche jusqu’à devenir à l’université sa principale promotrice. Elle est ainsi l’acteur principal du mouvement de 1976 contre la réforme des seconds cycles. La décennie s’achève par la l’échec du programme commun et la division que les dirigeants de l’UNEF essaient de neutraliser en déployant l’orientation dite de la Solidarité étudiante, insistant énormément sur l’entraide et les services afin de maintenir à l’UNEF un caractère large et ouvert à tous les étudiant·es.

1981-1990  est une décennie de crise. Alors que l’UNEF Solidarité étudiante est seule parmi les syndicats étudiants à appeler à voter Mitterrand au second tour en 1981, elle ne profite pas de sa position. Le Parti socialiste lui préfère paradoxalement l’autre UNEF qui commence sa mutation d’une organisation de la mouvance lambertiste à celle justement du PS. L’UNEF Solidarité étudiante se trouve en position difficile entre son soutien au gouvernement et à la loi Savary sur l’enseignement supérieur et l’expression du mécontentement de certains secteurs étudiants.

L’UNEF connaît aussi une crise financière liée à la faillite de sa structure de services, puis est surprise par l’explosion du mouvement en 1986 contre la loi Devaquet. Elle met du temps à reconnaître la légitimité de la coordination nationale et à intégrer les structures dont les étudiants se dotent pour se mobiliser. Mais parenthèse dans cette période de crise, l’UNEF tire toutes les conséquences du mouvement et imagine une orientation originale qu’elle qualifie de « stratégie du rassemblement » où l’organisation se met au service du mouvement et n’est plus une fin en soi. Cette réorientation la sauve de la disparition. La décennie s’achève par une très grave crise interne qui voit en 1990 l’UEC prendre le contrôle de l’UNEF pour des raisons qui ne sont pas liées principalement à la question syndicale mais aux divisions internes du PCF – certains dirigeant·es de l’UNEF étant proches des courants critiques du PCF comme les Refondateurs.

En 1990-2001, l’organisation reste déstabilisée par ses divisions internes à la suite du congrès de Toulouse en 1990, par le développement en son sein d’une opposition de plus en plus variée avec l’arrivée de militant·es d’extrême-gauche et libertaires. Mais ce n’est pas une décennie blanche car peu à peu à partir de 1993 l’organisation devient de plus en plus unitaire, prend toute sa place dans le mouvement de 1995, connaît une féminisation inédite dans le champs des organisations avec une direction présidée par Marie-Pierre Vieu et qui est très majoritairement composée de femmes. Les dernières années sont marquées par l’émergence du débat sur la réunification qui divise énormément l’organisation d’autant plus que les résultats électoraux sont mauvais. On entre donc dans un cercle vicieux d’affaiblissement et de divisions qui ne permettent pas d’affronter l’enjeu de la réunification à laquelle pousse le contexte unitaire de la gauche plurielle, la volonté des partenaires syndicaux comme la CGT et la FSU qui préféraient avoir un seul interlocuteur et non deux UNEF. Cela conduit à une « réunification » qui se fait aux conditions de l’UNEF ID plutôt qu’entre deux partenaires égaux.

En dehors de ce récit, nous développons dans l’ouvrage des questions thématiques :
Quelle université voulait l’UNEF ? Une université démocratique et sans sélection
Quel rapport entre l’UNEF et les coordinations nationales ? Une recherche difficile de l’articulation entre le respect des formes d’organisation du mouvement étudiant et d’auto-construction
Quelle place des services pour un syndicat ? Ce fut pendant longtemps la grande originalité de l’UNEF que de vouloir continuer de déployer ce qui avait fait la force de « la grande UNEF » mais fut aussi la cause de sa faillite financière en 1985.
Quel rapport au politique et à la politique ? L’UNEF a tenu une place originale dans la nébuleuse communiste, à la fois marginale – lui laissant ainsi une grande autonomie que revendiquèrent progressivement les autres organisations de la nébuleuse communiste (CGT, SPF, FSGT…) et en même temps d’une grande dépendance matérielle. Cette autonomie n’a été rompue que lors de crises spécifiques comme celle de 1990. Et étonnamment, le PCF semble même s’être totalement désintéressé de son devenir dans la toute dernière période.

Pour conclure, quel bilan et quel héritage ? Il faut d’abord s’ôter de la tête que le syndicalisme étudiant serait mort en 2001. L’UNEF réunifiée est même le principal acteur (avec la CGT) de la seule victoire du camp progressiste de ces vingt dernières années en obtenant en 2006 le retrait du CPE. Il reste que cette question est difficile et si nous l’abordons en conclusion, nous n’avons pas voulu en faire le cœur de notre réflexion. Nous avons même refusé de traiter de ce que les militant·es étaient devenu·es afin d’éviter le piège de la téléologie et d’en remettre une couche sur l’UNEF comme pouponnière de cadres politiques. Pour autant, si il est clair que l’UNEF fut une grande école de formation, l’UNEF fut d’abord un projet syndical de défense des intérêt des étudiant·es. Si ce projet est resté inabouti et inachevé il a marqué le champ politique et universitaire.

L’UNEF a d’abord permis à ses militant·es de réussir leurs études comme le démontrent les réponses à notre questionnaire en ligne. Des luttes ont été victorieuses.  On a aussi assisté à la massification/démocratisation de l’enseignement supérieur et si l’UNEF n’en est pas la seule cause elle y a joué un rôle important. Mais il reste que le capital n’a pas renoncé à remodeler l’enseignement supérieur.

Face à lui, il existe aujourd’hui des organisations étudiantes de lutte qui se réclament explicitement des deux UNEF et donc de l’UNEF Renouveau. Il s’agit de l’UNEF actuelle et de sa scission récente : l’Union Étudiante. Le partage de l’héritage n’est pas univoque. Ces deux organisations se présentent aux élections et font comme l’UNEF Renouveau de la participation aux conseils un axe important de leur activité. Contrairement à l’UNEF Renouveau, elles militent pour une allocation d’études pour toutes et tous et pas seulement pour des bourses sur critères sociaux (ce qui est paradoxalement la position de la FAGE, l’autre grande organisation étudiante née pourtant des associations corporatives).

L’UNEF actuelle contrairement à l’UNEF Renouveau reconnaît le droit de tendances dont l’une s’appelle volontairement et explicitement Solidarité étudiante. Le droit de tendances n’est pas reconnu par l’Union Étudiante… Il y a donc des moments d’oublis et de résurgence de cet héritage et il n’est pas anodin que Sophie Binet l’actuelle secrétaire générale de la CGT ait commencé par militer dans cette UNEF avant de devenir une des dirigeantes de l’UNEF réunifiée.

Ce travail livre de premières réflexions, de premières hypothèses. Nous espérons qu’il suscitera les réactions, les réflexions et de nouvelles recherches. C’est son but.

Liens utiles

Commander l’ouvrage Histoire de l’UNEF. Du « Renouveau» à la « Réunification » (1971-2001), par Frédéric Genevée et Guillaume Hoibian, paru en mars 2024 aux éditions Arcane 17 et Syllepse, 23€.

Consulter le site Internet du Collectif pour l’histoire de l’UNEF

Suivre le groupe Facebook « Pour l’histoire de l’UNEF (1971-2001)


*Frédéric Genevée est professeur d’histoire et fait partie des animateurs du Collectif pour l’histoire de l’UNEF.

Image d’illustration : « UNEF », photographie du 27 septembre 2011 par Rafael Lopez (CC BY-NC-ND 2.0)


Share via
Copy link
Powered by Social Snap